Bilan de 16 années du travail du Point de Capiton

Aux membres du CA,
Aux adhérents,
Aux intervenants,
A toutes celles et tout ceux
qui ont cheminé un jour avec le Point de Capiton,
….le temps d'un groupe de travail ou d'un séminaire, le temps d'une rencontre, d'un colloque, ou de plusieurs…

Voici 16 ans, un 9 novembre 1989, avait lieu la première réunion publique du Point de Capiton, à Carpentras.
C'était aussi le jour de la chute du Mur de Berlin.
Le 5 novembre 2005, soient 16 ans après, je lâche la main de ce grand adolescent, bien campé sur ses deux jambes : son Assemblée Générale et son Conseil d'Administration, tenant à bout de bras ses projets : le prochain colloque sur " les nouvelles formes de la parenté ", quelques rencontres avec des auteurs, et les rencontres publiques témoignant de la réflexion des groupes de travail en cours d'élaboration.

L'association avait été créée en septembre 1989 par Mireille Laurent, (installée à Carpentras comme psychothérapeute) Françoise Ricard (enseignante en Ecole Maternelle) et moi-même, ( psychanalyste à Avignon et Montfavet depuis plus de dix années).
Il nous importait de mettre un peu de souffle, de pluridisciplinarité, d'échanges constructifs, de débats, dans ce qui était vécu par nous comme des étouffoirs de la pensée, je veux dire les dogmatismes, tant au niveau de la psychanalyse que de l'enseignement.

Pour chacune d'entre nous, cette histoire était aussi liée au féminisme, à ce qu'il avait interrogé de la psychanalyse et du politique. Ce courant du féminisme qui, tout en considérant la différence des sexes comme une richesse pour l'humain, fait de l'égalité sociale et symbolique son horizon.
Il nous semblait que le dogmatisme de la pensée avait fait taire les voix divergentes, certes, mais aussi l'invention et la revendication, si facilement alors taxées d'hystériques.
Or, quoique ait voulu et pu démontrer Freud, l'hystérie continuait, dans les débats de la " communauté analytique " il y a 16 ans, à être taxée de féminine.

L'art alors, nous semblait pouvoir démontrer, sur tous ses versants, de la peinture à la poésie, que la création est ce qui permet à l'humain, homme ou femme, d'interroger le Réel, celui qui est infiltré dans chacune de nos vies, et dont les contours nous échappent.
Plus tard, quelques six mois après la création du Point de Capiton, en mai 1990, Le Réel s'est imposé par le biais de cet évènement alors impensable : la profanation d'un cimetière juif, à Carpentras.

La première réunion publique du Point de Capiton avait eu lieu à Carpentras où nous avions été accueillis gracieusement par l'association " Solidarité-Femmes ".
Lors de cette rencontre, étaient présents des psychanalystes de différentes associations, des philosophes, et des artistes, ainsi qu'une soixantaine de personnes de divers horizons professionnels.

Ainsi, contrairement à ce que nombre de personnes imaginent, le Point de Capiton n'est pas né de la nécessité d'organiser le colloque de Carpentras, tentant de dire et faire silence tout à la fois, colloque qui a semblé être la seule réponse possible à la profanation du cimetière juif de Carpentras en mai 1990.
Il est né d'une dynamique, d'un désir d'ouverture et d'une nécessité de penser avec d'autres les grands thèmes à l'articulation entre ce qu'enseigne du sujet la pratique de la psychanalyse, (côté fauteuil et côté divan), et ce qu'il en est du collectif.

Les événements qui ont fait suite à la profanation ont poussé l'association à situer son travail sur plusieurs axes que l'actualité nous imposait, ceux de l'Histoire et de la mémoire.
A cet égard, je veux rendre ici hommage à Jacques Hassoun, dont la présence clairvoyante en 1990, puis son soutien amical tout au long de ces années et jusqu'à sa disparition, ont accompagné la pérennité du Point de Capiton.

Si la transmission de la psychanalyse, dans son tranchant, avait donc été à l'origine de sa création, le Point de Capiton s'est trouvé sommé par l'histoire en train de se dérouler, d'interroger la mémoire et le déni de l'histoire récente de la seconde guerre mondiale et de la Shoah, déni orchestré par l'extrême droite alors entamant sa percée triomphante dans le midi de la France, puis dans d'autres régions.

Poursuivant ce fil, le Point de Capiton interrogea les grands génocides de ce XXème siècle, les non-dits et les occultations liées à la guerre d'Algérie, la question de l'immigration et du statut d'étranger, ainsi que les grands problèmes éthiques (liés au social, au médical, à la science et aux techniques, ….) auxquels sont confrontés les citoyens, et particulièrement les psychanalystes dont l'écoute ne peut ex-ister sans une préoccupation, un intérêt, une théorisation qui concerne le politique, au sens de " ce qui se passe dans la cité ".


Jamais, lors des colloques et des rencontres publiques, ne se démentît la nécessaire présence de l'art :
Plusieurs colloques eurent lieu sur la création artistique, l'écriture, la poésie, la danse, la voix, le théâtre, … et, à chaque rencontre publique, des expositions ont été organisées.

Le dernier colloque, qui eut lieu en novembre 2003 sur la scène nationale-Théâtre de Cavaillon, " Poésie et Réel : La poésie, margelle du Réel ? ", marqua, pour moi, un temps important de ma présidence : la possibilité de faire entendre, par la poésie et le théâtre, l'humanité des fous et de la folie, dont l'étouffement par le comportementalisme et la mise en statistique des populations les plus démunies et des soignants rendus à l'état d'impuissance, sont un des symptômes graves de nos sociétés.
Ce dernier colloque également a été un des points d'appui pour certains des intervenants qui ont mis en œuvre depuis, des axes de travail importants pour eux.
Pour ce qu'il en est de l'actualité récente, je pense particulièrement :
- au séminaire mensuel de Michel Fennetaux à Paris, sur " Langue, Parole et Génocide ".
Michel Fennetaux avait participé au colloque de Carpentras en 1990, notre compagnonnage s'est poursuivi ensuite, et il m'était apparu indispensable qu'il intervienne à Cavaillon en 2003.
- Je pense aussi à Jeanne Bernard, qui, entendue lors de son intervention sur Imre Kertesz au Point de Capiton par Jean-Michel Gremillet et Esther Gonon de la Scène Nationale de Cavaillon, a été sollicitée à intervenir au théâtre, en novembre dernier, avec Joël Jouanneau, metteur en scène de " Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas " de Kertesz.

Ainsi, la psychanalyse, il me semble, a été transmise dans le cadre du Point de Capiton, par la voie subversive qui doit être la sienne, et non par l'autocélébration d'une conceptualisation qui appartient à ces maîtres de génie et qu'ils nous ont transmise, non pour en faire des objets de musée mais afin que nous osions l'interroger, la mettre à l'épreuve de l'actuel.

Aujourd'hui, je peux dire que cette association que j'ai présidée pendant 16 années, avec tant de plaisir, mais aussi tant d'efforts renouvelés, avec le souci de ne pas sombrer dans le sordide qu'entraînent les non-dits ou les malentendus, de ne pas se laisser entraîner dans des compromissions liées à l'exercice d'un pouvoir, si malingre soit-il, si dérisoire, avec la préoccupation de mettre à l'œuvre dans le collectif ce que la pratique de la cure indique quant à la subversion d'une parole portée par un désir qui ne cède pas sur l'essentiel, je veux parler de la réalité de l'inconscient, aujourd'hui donc, je peux dire que cette association vivante et en éveil m'a apporté autant que j'ai pu, je l'espère, lui donner :

Tant de rencontres inoubliables, avec des psychanalystes, des philosophes, des mathématiciens, des artistes, des historiens, des psychologues cliniciens, des écrivains, des sociologues, des enseignants, des linguistes, des poètes, ….des femmes et des hommes qui cherchent…,
tant d'amitiés tissées par le transfert de travail, et par le bien-vivre ensembles,
tant d'échos des intervenants, ponctuant la validité d'un tel lieu en Vaucluse, sa nécessité, la possibilité offerte d'échapper aux querelles de chapelles analytiques, de prendre la parole librement, librement parce qu'en province nous disait-on parfois, dans la confiance que le désir de travailler un sujet va produire forcément un axe de réflexion à partager,
tant de chemin accompli dans le compagnonnage du Point de Capiton, mine de rien pour certains participants fidèles, qui, un jour, ont pris la plume pour nous l'écrire, ont croisé notre chemin pour nous le dire…

Tout cela, et aussi ce sillon creusé par l'écriture littéraire et poétique, en parallèle de cette aventure du Point de Capiton, et à laquelle je veux aujourd'hui accorder plus de temps.

Si j'en laisse la présidence, me retirant du Conseil d'Administration, je ne quitte pas le Point de Capiton dont je reste membre.

Lors de l'assemblée générale de novembre 2005, je me suis engagée à mener à bien un projet de rencontre avec Alain Didier-Weill, que nous avions reçu lors du colloque " La loi Symbolique " à la Chartreuse de Villeneuve les Avignon.
Je m'y suis engagée auprès d'un groupe de travail se réunissant depuis plusieurs années, ainsi qu'auprès d'Alain Didier-Weill, rencontré lors de son passage à Avignon ce 2 décembre 2005 à la Librairie " La Mémoire du Monde ".
Il venait y présenter une nouvelle revue, " Insistance ", faite de ces tramages entre psychanalyse et politique, de ces tricotages de pluridisciplinarité, de cette importance essentielle accordée à l'Art et à la création, dont Le Point de Capiton a, il y a 16 ans eut l'intuition et qu'il a maintenus comme l'axe vivant qui permet de penser le monde, et le sujet dans le monde.
Dans ce premier numéro de la revue " Insistance ", au titre prometteur, (Jacques Hassoun ne m'avait-il pas dit après le colloque de Carpentras " l'important est le désir de durer " ?), dans ce numéro que je recommande, se trouve un article de Claude Maillard.


Elle m'avait été présentée par Jacques Hassoun il y a une douzaine d'années.
Son soutien ne s'est jamais démenti. Non pas un soutien spectaculaire, mais un compagnonnage fait de rencontres souvent téléphoniques où sa rigueur, alliée à sa générosité ont contribué à faire avancer, en sous-œuvre, le Point de Capiton.
C'est avec elle, et grâce à elle, que j'ai participé à un ouvrage d'art, édité aux éditions Bernard Gabriel-Lafabrie, et qui fut présenté lors du dernier colloque à Cavaillon.
" Portraits de sept femmes psychanalystes " interroge l'articulation entre la psychanalyse, l'écriture et le féminin.

Ainsi, lorsque l'on tourne une page, importe-t-il qu'une transmission ait pu avoir lieu, et que, ici ou là, une belle idée se soit répandue.
Et peu importe alors de savoir qui a inventé la roue, si elle a permis aux hommes, en divers points de la planète, de mieux se rencontrer, et à la parole de tenir la promesse du symbolique dans sa dimension de " mot de passe ".

Je souhaite au nouveau Bureau du Point de Capiton, à son CA renouvelé, une belle route faite de cette rigueur nécessaire qui augure d'un long voyage et d'heureuses surprises.

Bien amicalement
Simone Molina

(décembre 2005)