
COLLOQUE
du Samedi 4 Avril 1998
au "Centre Hospitalier"
84140 Montfavet
Lire les actes
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"Une lettre
dans la boîte, ce moment fragile que l'histoire
oubliera
dans l'éparpillement des heures j'ai rêvé
de mots que l'on glissait
comme des passerelles entre nos vies"
Hélène
Dorion (Ed Le Noroît- le Dé Bleu)
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PROGRAMME
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Simone Molina:
" De la
correspondance à l'oeuvre"
Anne-Rozenn Jolivet:
"
Lou-Andreas Salomé: Une lecture de sa vie ".
"Lou a cinquante ans en
1912 quand elle vient à la psychanalyse. Elle a
déjà rencontré Rilke et Nietzsche.
"
"L'étude de la psychanalyse me hante sans
cesse et plus je m'y plonge, plus elle me retient "
écrit-elle à Freud après le congrès
de Weimar en 1912.
Sa vie, riche de rencontres religieuses, philosophiques,
poétiques, font de cette femme une exception dans
la psychanalyse, aux sources d'une réflexion encore
peu exploitée. En position de " disciple ",
elle garde une grande liberté de pensée,
sans jamais aller jusqu'à la rupture. Elle nous
laisse une correspondance avec Freud, une "lettre
ouverte à Freud" et des textes théoriques.
"
Olympia Alberti:
" Epistolarité
et création ":
" La lettre comme substrat
au tissu romanesque rilkéen, ou la tentative de
libération, par une écriture, de l'émotion
qui deviendra, dans l'acte créateur, une écriture
de la distance, de la maîtrise et du don ."
André Bolzinger.
" On enfile
des perles":
"La correspondance Perec-Lederer
(Flammarion 1997), ouvre une lucarne sur la pratique du
calembour et de la contrepèterie qui soutient l'écriture
de Georges Perec, en particulier dans " Je me souviens"
(Hachette 1978) et dans "Væux" (Seuil
1989). "
RenéPandelon:
" G. Perec
et l'autobiographie "
"Le projet d'écrire
mon histoire s'est formé presqu'en même temps
que mon projet d'écrire W"
" Cette affirmation de G.Perec situe le projet autobiographique
au cæur de son æuvre, dans son temps initial
comme dans son ambition ultime. Mais ce qui va le singulariser
c'est qu'il est en réalité l'Arlésienne.
Car il ne s'agit pas pour Perec de raconter son histoire,
mais bien de tenter de dire l'indicible, de cerner cette
faille laissée en lui par "la grande hache
de l'Histoire ". Indicible qui échappe à
l'écriture, mais que l'écriture a le pouvoir
de désigner, d'inscrire (au moins en creux).
Ce travail de "scrivant " que Perec accomplit
selon des modalités diverses, est une tentative
pathétique et désespérée,
mais génératrice d'une æuvre singulière
et poétique."
Claude Maillard, Michèle
Jung et Simone Molina:
" " Le Scribe" en
ses voix de transfert ":
"Plis sur plis en avancée
d'écriture, " Le Scribe " pose par ses
lectures plurielles plusieurs formes unformelles naissantes
de correspondance singulière, jouxtant le transmissible
entre psychanalystes.
"La notion de public s'en trouve différenciée
et nécessairement inquiétée. (Claude
Maillard) "
(Ce texte est sous copyright
de C Maillard, et n'est donc pas diffusé sur ce
site et sur les actes)
Monique Klepal:
" Correspondances
d'Artistes":
"Six artistes, peintres et
sculpteurs, ont accepté de réaliser ensemble
un numéro spécial du journal
" La Fabrique ", édité par "L'Art
et la Manière" sur le thème "
Correspondances ".
" Chaque artiste avait déjà été
le " rédacteur en chef" des six premiers
numéros sur un thème proposé par
l'éditeur. "
" A travers le cheminement de leurs correspondances,
nous verrons comment ces artistes arrivent in fine, à
leur manière, à traiter ce thème,
ou du moins à réaliser cette édition
et ce qu'ils nous renvoient de la notion de " correspondance
", nous permettant de porter un certain regard sur
celle de Freud et de Ferenczi."
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INTERVENANTS
Simone Molina. Psychanalyste,Présidente
du Point de Capiton.
Anne Rozenn Jolivet : Thérapeute (Montfavet)
Olympia Alberti : Ecrivain (Nice). auteur d'une
thèse sur les correspondances littéraires.
André Bolzinger: Psychanalyste (Grenoble)
René Pandelon : Psychanalyste (Montfavet)
Claude Maillard : Psychanalyste, Ecrivain (Paris),
auteur d'un ouvrage intitulé "Le Scribe",interviendra
avec Michèle Jung, Enseignante, Docteur
en Lettres, qui dirige un théâtre à
Lunel (les ATP de Lunel - Hérault), et Simone
Molina: Psychanalyste (Avignon).
Monique Klepal : Psychologue. Responsable des
Editions " L'Art et la Manière" (Castellet-lès-Luberon)
Discutants : Carole Henzinski : Psychanalyste
(Avignon),
Régine Tetrel: Médecin Psychothérapeute
(Arles),
Edith Thibault: Psychanalyste (Carpentras)
Avec le soutien de I'ECRPF, de
VEL et la participation de " La Mémoire
du Monde "
Nous remercions le Centre Hospitalier pour son
accueil, ainsi que Christian Revest pour son
exposition de toiles dans les salles du Temple du Centre
Hospitalier.
Le C.A du point de capiton:
M. Bellet, B. Demeure, C. Henzinski, A. Lagier, E. Miquel-Garcia,
S. Molina, P. Raimond,E .Thibault.
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ARGUMENT
Le chapitre 1, intitulé
" De la trace à la lettre ", en
mai 1997
nous avait permis de débattre de cette assertion
:
" L'écriture
n'est jamais qu'écriture d'une parole"
Le statut de la trace avait été
interrogé, à travers " l'écriture
de sable des indiens Navajos ", ou à
partir de la clinique psychanalytique auprès
de patients atteints de troubles psychosomatiques.
Nous avions aussi abordé
la problématique de "l'avant-texte"
dans son rapport au texte, avec le travail des ateliers
d'écriture, " Papier de Soi "
et " Voyages en Lectures ".
Enfin, à partir du Witz,
nous avions soulevé la question du passage de
la " scription " à " l'inscription
" et de la place du " bon entendeur"
comme de celle du lecteur.
" Un texte littéraire,
écrivions-nous en mai 1997, ne se réduit
pas à l'univers de la signification. Il est un
lieu, pour l'auteur et pour le lecteur, il a partie
liée avec le temps et avec la perte ".
Les Correspondances seraient-elles
ces lieux de passage entre le Witz, ce " morceau
de littérature " orale dont parlait André
Bolzinger en 1997, et " l'ouvrage" qui pourrait
faire " uvre "?
"Correspondere " signifiait en latin médiéval
" harmoniser ", puis " rendre compte
", dans le sens de " payer en retour ".
Ecrire, et d'abord, écrire à un autre,
serait donc lié à la dette, dette symbolique
dont nul ne peut prétendre pouvoir s'acquitter
un jour.
D'où peut-être aussi
la nécessité, pour certains sujets, de
s inscrire dans une uvre littéraire?
Demeure aussi cette question
: Au regard du temps, qu'est-ce qui signe la pérennité
d'un ouvrage pour qu'il fasse " uvre ",
et non comme attestant d'une époque, voir d'une
mode?
"La Création,
passage obligé ? " était le thème
d'un colloque du Point de Capiton en 1992. Un passage
obligé impose que le sujet s'y risque. Tel est
sans doute le point commun entre l'écriture créatrice
et la psychanalyse: qu'il faille s'y risquer.
Simone Molina.
TEXTES
DES INTERVENANTS
" DE LA CORRESPONDANCE
A L'UVRE "
SIMONE MOLINA
PRESIDENTE DU POINT DE CAPITON
Aborder, dans ce second chapitre, la
problématique de la correspondance dans son articulation
avec " l'oeuvre " c'est tenter d'analyser
en quoi , dans l'écriture, la question de l'Autre
est centrale.
· Qu'est-ce qui est à l'oeuvre
dans une correspondance ?
E. Levinas, dans " Ethique et Infini " disait
à propos du visage : " Et moi, qui que je
sois, mais en tant que première personne, je
suis celui qui se trouve des ressources pour répondre
à l'appel. "
Ecrire à un autre qui est choisi comme adresse
et qui se reconnaît comme tel, n'implique pas
une réponse, mais cette ressource d'une autre
parole, peut-être quelque chose comme un espoir
que, par-delà l'histoire, envers et contre l'Histoire
parfois, il est possible de bâtir quelque-chose
qui serait de l'ordre d'une rencontre chaque fois renouvelée.
Dans la correspondance, c'est un " autre "
électif qui occupe cette fonction d'adresse,
que cet " autre " soit ami, amant, maître
ou disciple. Les effets de transfert sont inhérents
à toute correspondance, et celle entre Freud
et Ferenczi en donne plus d'un exemple. Car, au-delà
de la missive et de son contenu, c'est la béance
du sujet qui est à l'oeuvre dans l'écriture,
sa béance et aussi sa solitude.
" Correspondre ", n'est-ce pas une tentative
de " rendre compte " de cette béance
?: " Correspondere " signifiait en latin médiéval
" harmoniser ", puis " rendre compte
", dans le sens de " payer en retour ".
Ecrire à un autre serait donc lié à
la dette, dette symbolique dont nul ne peut prétendre
pouvoir s'acquitter un jour .
· D'où peut-être aussi
la nécessité, pour certains sujets, de
s'inscrire dans l'oeuvre littéraire?
Car pour certains êtres , que Serge Roux nomme
" ces écrivains brûlés ",
l'écriture est synonyme de " vie "
: pour ceux qui ne peuvent vivre sans écrire,
ceux pour qui l'écriture n'est pas de l'ordre
de l'expression, mais de la création, dans son
caractère d'obligation, c'est-à-dire adresse
au " Autre ".
" La création, passage obligé
? " était le thème d'un colloque
du Point de Capiton en 1992. Un passage obligé
est celui qui s'impose comme le seul possible, le sujet
s'y risque. Tel est sans doute le point commun entre
l'écriture créatrice et la psychanalyse
: qu'il faille s'y risquer.
Pourtant, concernant l'écriture,
le livre de Semprun " L'écriture ou la vie
" nous oblige à penser la question suivante
: L'écriture elle-même pourrait-elle être
sur le versant de la non-vie ?
C'est à cette même question que nous ramène
a contrario le suicide de Primo Levi après qu'il
eut passé ses jours, après sa sortie des
camps nazis, à témoigner de ce qui avait
eu lieu et de son impensable.
Le Réel qui ne s'épuise pas, peut donc
avoir pour effet qu'un sujet s'épuise à
le circonscrire jusqu'à l'apaisement dans la
mort ?
Cette impossibilité à circonscrire le
Réel est ce qui interroge au plus près
de sa propre structure et de sa propre histoire le psychanalyste
dans l'accueil de la parole de l'autre, cet autre dont
la souffrance témoigne de la déstructuration
psychotique ou indique combien certains traumatismes
peuvent mettre en danger de mort psychique un sujet.
De même que la psychanalyse n'est pas outil de
communication verbale, mais lieu où, dans le
transfert, se travaillent pour un sujet les questions
de l'adresse et de l'impossible, c'est-à-dire
le nouage singulier de l'Imaginaire du Symbolique et
du Réel, nouage dans lequel le Réel est
la figure de cet impossible, de même la création
n'est pas équivalente à ce que l'on nomme
" expression artistique ".
L'écriture, pour certains sujets,
n'est-elle pas l'autre visage du Nom ? Un nom qui s'inscrirait
du fait qu'il pourrait être reconnu, parce qu'énoncé
par d'autres. Rappelons ici que, dans l'Odyssée,
Alkinoos interpelle ainsi Ulysse en l'invitant à
dire qui il est : " Jamais on ne vit qu'un homme
fût sans nom ; qu'on fut noble ou vilain , chacun
en reçoit un , le jour de sa naissance ; aux
enfants sitôt nés, c'est le don des parents.
"
Peut-on dire alors que l'écriture, laissant couler
la source de la dette, permettrait d'interroger le don,
au double sens du terme, comme " abandon "
et comme " singularité de celui qui fait
usage de ce qui lui a été donné
à la naissance " ?
C'est, pour un sujet, cette singularité
qui est sollicitée dans le cheminement entre
le texte produit dans la nécessité de
l'écriture et le texte lu ou publié dans
la nécessité du détachement et
de la reconnaissance qui vient, de l'autre, estampiller
l'acte d'écriture comme ayant bien eu lieu.
Cet aller et ce retour sont structurants car liés
l'un à l'autre tout en étant différents
l'un et l'autre. Ce double épinglage est la structure
même du " point de capiton " en matelasserie
Il n'y a donc pas de singularité qui puisse se
passer de porter témoignage de ce qu'elle a mis
en uvre chez le sujet. C'est la raison pour laquelle,
l'une des règles des groupes de travail du Point
de Capiton est de se risquer à dire à
d'autres, au terme du parcours, ce qu'a été
ce chemin. L'autre règle s'en déduit :
l'on ne parle jamais qu'en son propre nom. Car c'est
en disant que l'on se nomme.
L'on nous demande souvent : qu'est-ce-que
veut dire " Point de Capiton " ? Dans une
lettre, qui disait la joie de la lecture, et l'importance
de l'écriture, une correspondante écrit
ceci : " Je ne sais pas ce que vous vouliez dire
par " Point de Capiton ", en tout cas je trouve
que cela rejoint l'écriture : Quelques points
de fixation dans la " bourre " du coussin
pour permettre à la bourre, à la matière,
de prendre forme et de sauver de l'informe, de la folie
".
Voilà indiqué par quelqu'une
qui n'est pas analyste, mais qui, écrit-elle,
est concernée par la psychanalyse, ce qu'est
le " Point de Capiton ". Tout y est, si l'on
précise que la matière dont elle parle
est le langage lui-même, et que ce qui définit
la structure même du point de capiton, c'est la
dimension de l'après-coup :
" Ce n'est jamais que rétroactivement qu'un
signe fait sens, dans la mesure où la signification
d'un message n'advient qu'au terme de l'articulation
signifiante " . Ainsi, ce n'est jamais qu'après-coup
que ce pourquoi nous nous sommes lancés dans
l'aventure que constitue l'organisation d'une telle
rencontre, pourra être aperçu par nous.
Il y faut en outre le désir de découvrir
quelque-chose de ce qui nous y a poussé, pour
n'avoir pas abandonné en cours de route. Tout
ceci pour vous dire que le point de capiton, si on l'entend
comme concept lacanien, est articulé au registre
du désir.
Des fils se sont noués lors de précédentes
rencontres avec certains des intervenants que nous écouterons
au cours de la journée : Je veux parler de Claude
Maillard, qui interviendra cette après-midi,
et qui était présente lors du colloque
de 1994, " La création Passage obligé
? ", de André Bolzinger, qui nous a parlé
du Witz freudien l'année dernière, de
René Pandelon, qui nous accompagne depuis plusieurs
rencontres ( il est intervenu lors du colloque "
Pluralité des langages et singularité
de la parole, et a été à plusieurs
reprises discutant). Qu'ils aient souhaité, tous
trois revenir, qu'ils aient accepté notre proposition
de revenir parler dans cet espace est un véritable
cadeau.
" Un cadeau ", c'est-à-dire un présent.
Je me suis amusée à chercher d'où
vient ce mot " cadeau ". Voici ce que j'ai
eu la surprise de découvrir !
Le mot vient de l'ancien provençal " capdel
", qui était un personnage placé
en tête. " Capdel " vient du latin "
capitellum " qui signifie " petite tête
". " L'on est en droit de penser, précise
le " Dictionnaire historique de la langue française
", qu'en ancien provençal le mot désignait
déjà une grande initiale ornementale placée
en tête d'un alinéa. ".
Ainsi, voyez comme court la langue, et la surprise !
: Cadeau et capiton ont la même origine "
Caput ", ou " tête " :
En effet, " capiton ", provient de "
caput ", qui lui, signifiait " grosse tête
" ! Le mot "capiton " a d'abord désigné
le renflement du fil de soie du fait de l'irrégularité
du filage.
Quant au mot " cadeau ", il vient du latin,
" capitellum ", ou " petite tête
". Au XIV è siècle, un cadeau était
" spécialement une lettre ornée de
grands traits de plume pour décorer des écritures,
remplir les marges, le haut et le bas des pages ".
De " capiton " en " cadeau ", se
découvre la lettre, celle qui ouvre le texte.
Entre la lettre (du cadeau) et le tissage (du capiton)
chemine quelque chose comme une correspondance.
En effet, parmi les intervenants de cette journée,
deux personnes seront présentes du fait du réseau
amical et studieux qui se tisse au cours des années.
Je veux parler de Olympia Alberti, que Serge Roux, président
de Voyage en Lectures, m'a fait connaître, et
de Michèle Jung, dont la rencontre avec Claude
Maillard après le colloque " La création
Passage obligé ? " a été déterminante
dans ses orientations.
Là encore , surprise de certaines correspondances
: Michèle Jung a écrit une thèse
sur Heinrich Von Kleist, qui s'intitule " La perversion
dans l'écriture de Kleist ".
Elle m'a, lors de la préparation de cette journée,
longuement parlé de sa recherche des textes nécessaires
à l'écriture de sa thèse, ainsi
que de la manière inattendue avec laquelle elle
s'était engagée dans ce travail. Du côté
de ce qui cause le désir , une énigme.
Dans son roman, " La dévorade " , Olympia
Alberti fait dire à la narratrice : " Chaque
fois qu'ils jouèrent une scène, même
extraite de sa pièce fétiche, la Penthésilée
de Kleist, n'a-t-elle pas choisi toujours ce masque
de page blanche comme un lieu de retrait où la
voix peut tout dire et partout aller ? "
Pour établir une correspondance entre le travail
de Michèle Jung et cette remarque dans le roman
de Olympia Alberti, il y fallait un lecteur, une lectrice
en l'occurrence, pour qui, soudain, le nom de Kleist
faisait lien signifiant et qui trouvait là, dans
le texte, comme une porte ouverte à nouveau.
Même s'il ne faut qu'un pas pour passer un seuil,
deux traces sont nécessaires pour indiquer que
quelqu'un est passé par là. Le redoublement
de la trace crée la surprise et indique la voie.
C'est ainsi que procède le travail analytique,
par association libre, mais pas si libre que cela, puisque
ce qui force le passage, c'est la chaîne signifiante
elle-même qui nous détermine chacun du
fait de notre histoire. Nous croyons la posséder,
la maîtriser, et, tout comme l'écriture,
elle nous mène...
Toujours dans " La dévorade ", la narratrice
raconte la découverte d'un écrit ancien,
oublié, griffonné sur un bout de papier,
écrit qui est à la veille de s'accomplir
au moment où elle le redécouvre.
Correspondre, cela peut donc être avec soi-même,
à travers les années et le temps qui s'écoule...
Correspondre c'est oser la découverte.
C'est pourquoi, lorsqu'il s'est agi de
clore le travail du séminaire sur la correspondance
Freud-Ferenczi, séminaire qui s'est déroulé
sur presque trois années, lorsqu'il s'est agi
de porter témoignage du parcours de ces trois
ans, il est apparu que nous ne pouvions parler de la
correspondance elle-même. D'autres l'avaient fait
avant nous et probablement avec toute la clarté
nécessaire à l'exégèse.
Nous avons donc privilégié de parler autour
de la correspondance, c'est-à-dire de mettre
quelques mots sur ce qu'avait produit cette lecture,
cette approche de la correspondance Freud-Ferenczi,
pour chaque participant du séminaire.
Aujourd'hui donc, deux personnes interviendront à
partir de ce travail du séminaire, chacune à
sa manière, ayant trouvé son propre fil
: il s'agit de Anne-Rozenn Jolivet, qui interviendra
ce matin et de Monique Klepal qui parlera cet après-midi.
Avant de terminer, je veux vous remercier de votre présence,
vous présenter les quatre discutantes qui sont
dans la salle : Claudine Cortasse, Carole Henzinski,
Régine Tetrel, et Edith Thibault. Un débat
suivra chaque intervention.
Vous dire encore que je vous invite à aller voir
l'exposition des toiles de Christian Revest au Temple
de l'Hôpital. Je remercie Christian Revest de
sa présence. Une collation sera offerte par le
Point de Capiton à 12h30 sur le lieu de l'exposition.
LOU-ANDREAS
SALOME

" LOU-ANDREAS
SALOME :UNE LECTURE DE SA VIE"
ANNE-ROZENN-JOLIVET
Lou a cinquante ans en 1911 quand elle
vient à la psychanalyse. Elle rencontre Freud
de quelques années son aîné en 1912
à Vienne.
Sa vie est déjà bien remplie, tant sur
le plan affectif qu'intellectuel. Lou écrit sa
première lettre après le congrès
de Weimar (27 Septembre 1912).
Depuis qu'en automne dernier, j'ai pu assister au Congrès
de Weimar "..l'étude de la psychanalyse
me hante sans cesse et plus je m'y plonge, plus elle
me retient ". Elle est la seule femme parmi les
collègues avec qui Freud entretient une correspondance
jusqu'à la veille de sa mort en 1937.
Elle reçut l'anneau destiné aux "
disciples préférés ". Elle
sera assidue aux réunions psychanalytiques du
mercredi, pendant lesquelles, elle tricotait.
Elle ne sera membre qu'en 1922.
Freud la considère en associée plus qu'en
élève " L'art d'aller au-delà
de ce qui est dit
vous arrivez et vous complétez
ce qui manque... ".
SON ENFANCE
Ljola est née le 12 Février
1861 à St Pétersbourg d'un père
général, Russe et d'une mère d'ascendance
danoise.
Le père descendait des huguenots français,
(la légende veut qu'Avignon ait été
leur terre natale) qui ont émigré en Alsace,
en Prusse et en Russie, à la suite des persécutions
religieuses du XVI ème siècle.
La Russie désirait " s'occidentaliser ".
Ses parents ont fait un mariage d'amour d'après
ce qui est rapporté. Ljola arrivait après
cinq frères. Une fille n'était pas attendue,
en particulier par sa mère. Le père s'en
réjouit, Ljola gardera toute sa vie cette marque
de l'amour de son père, de cet homme protecteur,
qui la traitait avec la même courtoisie que sa
mère.
Deux frères étaient morts jeunes.
· Frère aîné - Alexandre
appelé "Sacha"
· Le second frère Robert "Le danseur
de Mazurka", il voulait porter l'uniforme mais
le général s'y opposa, il devint ingénieur,
il éleva une grande famille.
· Le 3ème frère Eugène,
ne se maria pas. Il voulait entrer dans la diplomatie,
le père n'y était pas favorable. Il devint
pédiatre.
Avec ses frères, elle avait des jeux de garçons,
bagarres, courses. Les quatre enfants étaient
très turbulents.
Elle refusait d'être traitée comme une
petite fille.
Son père mourut en 1879, elle avait alors 18
ans. C'est son frère aîné, Alexandre
qui devint le chef de famille. Il mourut quand elle
avait 50 ans. Ce fut une grande perte pour elle. Elle
dira " maintenant, me voici vraiment sans protection
".
L'enfance de Ljola se passe entourée d'officiers,
de domestiques, de membres de l'église orthodoxe
grecque et russe, de mahométans, de protestants.
Un entourage riche et coloré. La personne la
plus importante pour Ljola, sa nourrice Nianka lui donnera
l'amour de la Russie et du peuple russe, c'était
une femme pieuse qui avait fait le pèlerinage
à pieds à Jérusalem.
Sa gouvernante française était censée
lui apprendre les bonnes manières et le français.
En effet, le passé aristocratique de l'Europe
avait trouvé refuge dans cette Russie encore
endormie, pendant que le reste s'industrialisait.
Ljola vivait un conte de fées, dans l'ignorance
la plus complète, de ce que cachait cette enfance
dorée dans une résidence située
sur l'un des grands canaux de St Pétersbourg,
quartier des ambassades.
Mais elle ne participait pas aux réceptions de
ses parents. Ljola était une rêveuse (elle
se suffisait à elle-même) elle s'inventait
toutes sortes d'histoires où Dieu tenait une
place particulière, une place à l'image
de son père.
Son premier choc fut la perte de la foi à la
suite d'une histoire que lui avait raconté un
serviteur pour se moquer d'elle. Comme elle était
très émotive, elle se demandait pourquoi
les deux vieux qui étaient devant sa porte, avaient
petit à petit disparus. (Bonhommes de neige qui
avaient fondu au soleil) .
Elle attendait une réponse de Dieu quand elle
se confia à lui. Mais aucune réponse ne
vint. Elle commença à douter de l'existence
de Dieu (perte du sentiment de refuge). Un livre qu'elle
écrit après 20 ans traite de cette interrogation.
"Une lutte pour Dieu"
Plus tard à 70 ans, elle confiera à Freud
que cette question la préoccupait toujours.
SES AMOURS
Elle fut amoureuse à 8 ans du baron
Frédéricks, un adjudant du Tsar Alexandre
II.
Plus tard, sa mère organisait des réceptions
pour qu'elle soit en contact avec les jeunes gens de
son " rang ". Ljola s'y prêtait docilement,
mais cela ne l'intéressait pas, elle préférait
les gens de la rue, les paysans avec qui elle parlait
quand elle se promenait.
L'idée de mariage la préoccupait. Il n'était
pas question qu'elle devienne une maîtresse de
maison. Elle n'ignorait pas que les mariages en blanc
existaient. Elle voulait avant tout garder sa liberté.
Pouvoir aller et venir à sa guise. Elle se rendait
bien compte que dans le mariage, la femme se sacrifiait
et devait renoncer à quelque prétention
intellectuelle que ce soit.
Dans l'air couvait des idées révolutionnaires,
les garçons et les filles s'embauchaient pour
connaître la vie des ouvriers, ou bien allaient
à l'étranger se placer dans des emplois
subalternes, afin d'éprouver la condition des
gens du peuple. Ljola rêvait de tout cela. Elle
en discutait avec ses frères dans sa chambre.
Les gens avaient des sentiments simples. Ils exprimaient
leurs émotions, que ce soit la violence comme
la tendresse. Elle fréquentait les lieux de culte
feutré où l'encens exaltait sa ferveur
enfantine. Elle adorait par dessus tout les eaux de
la Volga qui l'identifiait complètement à
son pays.
C'est ainsi qu'elle aimait la Russie. Des slogans circulaient
dans sa tête et la transportaient: " Fraternité
et Russie ".
La 1ère grande rencontre de sa vie fut Henrick
Gillot, un pasteur de l'église hollandaise qui
la prépara à sa confirmation.
SA PREMIERE GRANDE RENCONTRE:
Henrick Gillot était un homme d'une
prestance qui faisait accourir le " tout
St Petersbourg ". Il appuyait ses sermons sur "
des arguments scientifiques et philosophiques plutôt
que sur la Bible ".
Ainsi il affirmait. " La science et la foi ne sont
point contradictoires
l'homme a été
doté par son créateur d'un esprit aussi
bien que d'une âme. L'ignorance, l'aveuglement
et la superstition... sont les vrais ennemis de Dieu.
Plus l'homme pénètre profondément
dans les mystères de la nature, plus il se rapproche
de lui ".
Ces arguments avaient une grande influence sur le scepticisme
des intellectuels Russes qui acceptaient cette alliance
"science et foi".
Ljola s'affronte avec sa mère à propos
du pasteur de la famille. C'est en entendant un prêche
de Gillot qu'elle sait " qu'elle avait enfin trouvé
l'homme qui pouvait l'aider et l'aiderait ".
" Maintenant ma solitude est finie " se dit-elle.
" Voilà ce que je cherchais". Elle
lui écrit, il la reçoit. Elle étudie
avec lui l'histoire des religions : le christianisme,
le bouddhisme, l'hindouisme, l'islamisme. Tout cela
est consigné dans des carnets. D'autres traitent
de la philosophie, de la doctrine de la Trinité,
du théâtre sur la période classique
de la littérature française : Corneille
- Descartes - Pascal. Elle lit Kant - Kierkegaard -
Rousseau - Voltaire et Schopenhauer.
Ils se fréquentèrent pendant 1 an (1878
- 1879), année pendant laquelle son père
est souffrant. La mort de son père, sa rupture
avec l'église et la mise au courant au près
de sa mère de sa relation suivie avec Gillot,
changent la vie de Ljola. Plus tard elle écrira
un roman " Ruth " qui retrace son premier
amour.
Elle aimait Gillot, d'un amour filial. Lui voulait la
demander en mariage. Il avait fait des démarches
secrètes. Devant le refus " catégorique
" de Ljola, tout basculait.
Ljola, fidèle à elle-même, désire
poursuivre ses études à l'étranger,
d'autant que grâce au pasteur Gillot, elle avait
découvert ses possibilités intellectuelles.
Son choix s'arrête sur Zurich, centre universitaire
qui admet les femmes.
Son désir d'aller à Zurich n'était
pas dans le but d'une libération sexuelle comme
ses compatriotes, ni pour se préparer à
un travail de missionnaire parmi le " peuple russe
".
Elle voulait travailler avec Aloïs Biedermann,
théologien de l'époque.
Pendant des semaines, Lou lutte pour obtenir de sa mère
l'autorisation de son départ. Le gouvernement
Russe refuse son passeport parce qu'elle n'est pas confirmée
. Aussi, elle part en Hollande avec sa mère et
Gillot, pour être confirmée (1880).
Cette cérémonie est célébrée
par Gillot en Hollandais, et a comme seul témoin
la mère de Ljola. Celle-ci ne comprenant pas
le hollandais ne comprit pas les paroles prononcées
:
" Ne craint point :car je t'ai appelée par
ton nom, tu es mienne ".
Ljola comprit qu'il ferait toujours partie de sa vie.
Il avait des difficultés à prononcer son
nom " Ljola ". Il dit Lou, ce fut son passeport
pour la liberté.
Avec ce premier amour elle quittait sa famille, son
pays, elle avait manifesté assez de détermination
pour refuser ce que lui proposait Gillot, le mariage.
LOU ETUDIANTE ET HORS DE SON PAYS :
A 19 ans (1880) Lou arrive donc à
Zurich, ville dont la devise s'inscrit en ces termes
. " Prière et travail ". Ville qui
a vu défiler les grands de ce monde les Romanov,
Lénine, Mozart, Thomas Mann.
Le væu secret de sa mère qui l'avait accompagnée,
était que Lou se marie. Elle ne voyait pas l'utilité
des études de Lou.
Lou travaille dur, si bien qu'au bout de quelques mois
sa santé s'affaiblit, au point qu'elle se met
à cracher du sang. Le sud lui est recommandé.
Elle part avec sa mère en Italie, à Rome.
Elle écrit des poèmes :
Prière à la vie :
" Assurément, un ami aime
son ami
Comme je t'aime, O Vie, mystérieuse Vie ;
Rires ou larmes, peu importe ce que tu nous donnes.
Richesse et bonheur, ou lutte et chagrin,
Chèrement je t'aime, j'aime ta douleur même
".
Elle avait fait lire ses poèmes
à son ancien professeur d'histoire de l'art,
Kinkel. Il les aimait, celui-ci lui avait donné
une lettre de recommandation auprès de Malvida
Von Meysemberg (grande dame du mouvement féministe
allemand). " Ses efforts altruistes lui avaient
valu l'affection et l'admiration de l'élite révolutionnaire
de l'Europe ".
Malvida était l'amie de Wagner, elle l'avait
beaucoup aidé et avait assisté à
la pose de la 1ère pierre du Festival de Bayreuth
où elle rencontre Nietzsche.
Nietzsche, lors d'ennuis de santé est invité
par Malvida.
C'est chez Malvida que Lou rencontre Paul Rée
(Paolo ainsi le nommait Malvida). Celui-ci communique
tout de suite pleinement avec Lou. Il la raccompagne
le soir jusqu'à son hôtel. Bientôt,
il est amoureux et se confie à Malvida qui n'accepte
pas, met au courant la mère de Lou.
Lou est scandalisée, les hommes sont-ils destinés
à n'être que des maris ou des amants? Lou
raconte à Paul Rée un de ses rêves
" partage d'un grand appartement avec deux amis.
Au centre, il a un grand cabinet de travail - bibliothèque,
plein de livres et de fleurs et des chambres à
coucher de chaque côté. Tous trois travaillent
en harmonie, et le fait que cela soit des hommes et
elle une femme, n'a aucune importance ".
Ce rêve pouvait se réaliser. Il y avait
Paul Rée, Lou, il fallait un autre homme un peu
plus âgé. Ce sera Nietzsche.
Elle écrit à Gillot son premier guide
pour lui parler de son projet de vivre à trois.
Il lui répond sur un ton raisonneur. Lou cite
: " Ce qui est essentiel chez un homme on le connaît
tout de suite ou pas du tout. " Lou était
décidée à vivre sa propre vie,
et le ferait quoi qu'il " advienne "
LOU ET NIETZSCHE :
Lou et Nietzsche se rencontrent en 1882.
L'idée du ménage à trois avait
fait son chemin. Lou était curieuse de rencontrer
Nietzsche quand son ami Rée lui en parla.
Ils se rencontrèrent à Rome dans une chapelle
où Lou et Rée avaient pris l'habitude
de travailler. L'impression que fit Nietzsche sur Lou
était celle d'un homme mystérieux, en
même temps, une certaine attirance et une répulsion.
Son ami Rée demanda sa main de la part de Nietzsche.
Nous l'appellerons la première demande en mariage.
La deuxième demande se passa après leur
passage au Monte Sacro.
Lou dissuada Nietzsche, elle ne voulait pas se marier.
Elle voulait rester libre et rester amis. Dans le discours
de Lou, Rée avait toujours une place privilégiée.
Il accepta avec calme apparent le refus de Lou.
On connaît la célèbre photographie
prise à cette époque par Jules Bonnet,
un photographe réputé en Suisse (détail
p 97) (mise en scène de la photo).
Lou eut par la suite beaucoup de démêlés
avec la sæur de Nietzsche (Elisabeth). Celui-ci
finit par s'éloigner de Lou. Elle continua à
vivre avec Rée, chacun travaillant à son
propre livre. Lou écrit " Une lutte pour
Dieu ", un roman psychologique qui eut un grand
succès, et Rée un traité de philosophie
: " L'origine de la conscience morale ". Nietzsche
le qualifia de " vide, ennuyeux et erroné
".
Rée pensait obtenir un poste de professeur d'université.
Il ne put l'obtenir. Il décida de devenir médecin.
Il consacra le reste de sa vie à cette tâche.
C'est à ce moment-là que Lou et Rée
qui s'étaient jurés de ne jamais se séparer,
se quittent.
Lou avait du succès avec son roman, elle sortait
beaucoup. Paul commençait ses études de
médecine après avoir obtenu le doctorat
de philosophie.
Cette séparation fût douloureuse pour les
deux. Elle rêvait de lui, rêve souvent tragique
. On le retrouva dans l'Inn " près de l'endroit
où Lou et lui avaient passé, plus de quinze
ans auparavant, leurs heures les plus heureuses ".
Il meurt en 1901.
C'est à cette période là (1883-1897)
que Lou rencontra Frédérich Carl Andréas.
Frédérich Carl Andréas s'est présenté
un jour chez elle ; il était venu la voir spécialement
du bout du monde, " des Indes orientales hollandaises
" où son grand père maternel, un
allemand médecin, s'était installé
au début du XIX è m e siècle. Il
s'était marié là-bas avec une malaise.
La mère d'Andréas née de cette
union " exceptionnelle ", lien entre l'orient
et l'occident, avait épousé un homme d'origine
persane de sang royal (les Bagratuni).
ANDREAS ET LOU :
Andréas était né
à Dava en 1846 (Andréas nom issu du prénom
de cette famille qui avait perdu ses quartiers de noblesse).
Il y passe 6 ans de sa vie et rentre à Hambourg
avec ses parents.
Andréas avait fait des études à
Genève. Il était très doué
pour les langues. " Le langage est la clef qui
vous ouvre la vie d'un peuple ".
Il s'était spécialisé dans le perse
(origine de son père) - la langue de ses ancêtres,
il obtint un doctorat à l'université d'Erlangen
, et fut initié aux langues scandinaves - Il
avait aussi étudié la biologie.
Il avait fait une expédition archéologique
dans son ancien pays.
La guerre Franco - prussienne l'oblige à rentrer
en Allemagne.
Donc à 41 ans il a un poste de professeur de
persan et de turc à l'institut des langues orientales
à Berlin. Andréas avait 15 ans de plus
que Lou, leur relation est passionnelle.
En juin 1887 elle épouse Carl Andréas
,elle a 26 ans.
Elle accepta de se marier, mais ne veut pas être
sa femme . Elle veut rester libre et continuer sa relation
avec Rée. Lou reste Lou Andréas pendant
50 ans jusqu'à sa mort. Elle résiste à
toutes les tentatives de consommer le mariage. Un jour
qu'elle dormait, il veut lui imposer son désir,
elle lui serre la gorge, c' est son râle qui la
fait reprendre ses esprits, elle s'aperçoit qu'elle
est en train de l'étrangler.
On peut expliquer ce refus en ce qu'elle voyait en lui
un père plus qu'un mari. On peut associer qu'Andréas
avait peut être des points communs avec le général
Von Salomé, le père de Lou. Dans son journal
Lou mentionne que son mari l'appelait " ma petite
fille ". Il semble que Lou n'ait jamais pensé
à divorcer. Lou est liée extérieurement,
mais libre intérieurement.
Lou voyage à travers l'Europe. Elle est indépendante
financièrement, elle reçoit une aide de
sa famille, et pour ses travaux littéraires.
Andréas restait dans leur appartement de Berlin
avec une femme de ménage (Marie). Andréas
trouve alors un poste à la chaire des langues
asiatiques occidentales à l'université
de Göttingen. Marie les suit dans la maison sur
le Hainberg. " Elle eut deux enfants ", l'un
meurt jeune, l'autre " Mariechen grandit et se
maria, et continua à vivre avec Lou ". Quand
Lou meurt en 1937 elle a fait de Mariechen sa principale
héritière.
Leur mariage a duré 43 ans, de 1887 à
1930 année de la mort d'Andréas "
peut-être, à l'encontre d'autres hommes,
n'avait-il pas possédé Lou, mais à
l'encontre des autres, il ne l'avait jamais perdue.
En fin de compte, elle lui revenait toujours "
.
D'autres hommes, en effet, furent ses amants : Le plus
important fut sans doute le poète Rainer Maria
Rilke qu'elle rencontre en 1897 (elle a 36 ans) et dont
elle écrira dans " Ma Vie " : "
je fus ta femme pendant des années parce que
tu fus la 1ère réalité, où
l'homme et le corps sont indiscernables l'un de l'autre
(...) . Nous étions frère et sæur,
mais comme dans ce passé lointain, avant que
le mariage entre frère et sæur ne devienne
sacrilège " .
C'est en 1911 (elle a 50 ans) que Lou
rencontre Freud au Congrès de Weimar.
Elle assiste à ses premiers cours
de psychanalyse avec Ellen Delp chez Sigmund Freud au
19 Berggasse.
Elle correspond avec Freud pendant 20
ans.
Toute sa vie Lou a lutté pour la
détermination sociale et éducative du
fait de son sexe.
Sa devise était :
" Ose tout... n'aie besoin de rien
".
Peu avant sa mort, elle dit à Ernst
Pfeiffer (son légataire testamentaire) "
je n'ai vraiment rien fait d'autre que travailler toute
ma vie... travailler.... pourquoi ? ".
Elle meurt le 05 Février 1937 à
Göttingen.
Elle est incinérée au crématorium
de Hanovre et enterrée au cimetière municipal
de Göttingen.
Lou note dans son journal " si je laisse errer
mes pensées, je ne trouve personne. Le mieux,
après tout, c'est la mort ".
Sa bibliothèque fut confisquée
par les nazis.
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BIBLIOGRAPHIE
1 - ANDREAS SALOME L, MOSCOVI M PREF.
L'amour du narcissisme. Textes psychanalytiques.
Gallimard/ Paris. 1980 ; 217
2 - ANDREAS SALOME L, PFEIFFER E PREF.
Correspondance avec Sigmund Freud (1912-1936)
suivie du Journal d'une année (1912-1913).
Paris/Gallimard. 1970 . 493
3 - ANDRREAS SALOME L, MOSCOVICI M PREF.
Lettre ouverte à Freud.
Lieu commun.1983;145
4 - ANDREAS SALOME L.
Ma vie. Esquisse de quelques souvenirs.
Paris/PUF.1977 . 295
5 - ANDREAS SALOME L/PETERS HF.
Ma sæur, mon épouse. Biographie de Lou
Andréas - Salomé.
Paris/Gallimard. 1977 ; 312

Rainer Maria Rilke
DE L'ALGUE
A L'ETOILE,
OU DE L'EPISTOLAIRE A L'ECRITURE CREATRICE : COMMENT
?
OLYMPIA ALBERTI
" Et de
même qu'en lisant ta lettre de Paris, je t'avais
presque oublié, comme si c'était une uvre,
cette uvre (le Rodin) s'impose à moi, dans
mon contexte le plus personnel et le plus actuel, comme
si c'était une lettre de toi. "
LA PASSATION DU POUVOIR DE VIBRER (OU LES INFLUENCES
FECONDES).
La lettre est assez souvent chez Rilke
le lieu de l'ébauche créatrice, des balbutiements
de ce qui s'affirmera ailleurs comme uvre définitive,
ayant circonscrit son espace, sa force, ce que Rilke
nomme "aus innerster Fülle" (la plus
intime plénitude).
La lettre de Lou à Rainer, citée en exergue,
ouvre, comme d'évidence, le fond absolu du débat
sur les rapports entre l'écriture "pour
soi", de soi, l'écriture épistolaire,
privée et personnelle ("comme si c'était
une lettre de toi") et l'écriture de création.
L'écriture d'une lettre cesse-t-elle d'être
uniquement privée, devient-elle uvre de
portée universelle? A quel moment, insaisissable,
l'écriture devient-elle Ecriture? Que recouvre
le passage de l'écriture épistolaire à
l'écriture de création - quelle que soit
son espace (romanesque, etc.)?
Période extrêmement féconde pour
le poète, nous le savons par les courriers d'une
richesse rare adressés à Franz Xaver Kappus,
par les uvres (le Rodin, le petit livre sur Worpswede),
les projets dont il parle à Lou, dans ses lettres
intimes, il s'exprime sans fards, malgré sa santé
psychique et nerveuse très instable.
Que l'analyse la plus juste vienne de Lou, est-ce étonnant,
elle qui répond par sa manière de vivre
à la définition radicale du poète
sur l'approche des uvres d'art:
Les uvres d'art sont d'une infinie solitude; rien
n'est pire que la critique pour les aborder. Seul l'amour
peut les saisir, les garder, être juste envers
elles. (Kunst-Werke sind von einer unendlichen Einsamkeit
und mit nichts so wenig erreichbar als mit Kritik. Nur
Liebe kann sie erfassen und halten und kann gerecht
sein gegen sie.)
Jamais la critique littéraire, entendue trop
souvent aujourd'hui comme un exercice de style visant
à faire montre des qualités stylistiques
de l'auteur de l'article plutôt qu'à souligner
les richesses et / ou les originalités de l'uvre
citée, ne pourra aborder au processus créateur,
à son sens, à la portée d'ouverture
spirituelle, au sens rilkéen, que propose l'uvre
d'art littéraire. Les propos de Rilke, là
non plus, n'ont pas une ride.
Lisez le moins possible d'ouvrages critiques ou esthétiques.
Ce sont, ou bien des produits de l'esprit de chapelle,
pétrifiés, privés de sens dans
leur durcissement sans vie, ou bien d'habiles jeux verbaux;
un jour une opinion y fait loi, un autre jour c'est
l'opinion contraire. (Lesen Sie möglichst wenig
ästhetisch-kritische Dinge - es sind entweder Parteiansichten,
versteinert und sinnlos geworden in ihrem leblosen Verhärtetsein,
oder es sind geschickte Wortspiele, bei denen heute
diese Ansicht gewinnt und morgen die entgegengesetzte.)
C'est en cela que l'amour (le besoin de créer,
de rendre en gratitude la beauté reçue
dans une lecture), seul, peut être en écho
véridique dans son jugement et vrai dans sa nature
(son geste) à une création.
Et comment la lecture de Lou, attentive, profonde, aimante
aussi - elle qui voulait toujours savoir ce qu'il pouvait
advenir de la générosité créatrice
du poète - ne serait-elle pas l'approche la plus
juste des textes de Rilke, dont l'uvre, d'une
exigence sans commune mesure avec celle de la plupart
des uvres contemporaines, demande à la
fois accueil, silence et ouverture?
Lou se livre à une analyse de la
lettre et de la création, par le biais du Rodin
qu'elle vient de lire, et qui l'a laissée suffoquée:
" il m'a semblé que de longtemps je ne pourrais
plus t'écrire! J'ai souhaité une longue
période de calme pour pouvoir m'abîmer
dans ce petit livre, gros de plusieurs milliers de pages."
Cette image d'une lecture qu'elle lui renvoie (même
si Lou n'est pas n'importe qui), c'est directement l'accès
à son mode de travail - la facilité et
la profondeur de Rilke paralysent Lou -, ce dont la
plupart des authentiques créateurs, dans la fraîcheur
de regard qu'ils doivent conserver sur leur travail,
ne peuvent prendre conscience. C'est là une des
plus dures épreuves du créateur: il doit
rester dans l'ignorance de ses meilleurs dons, ne pas
même les pressentir, au risque de les priver de
leur ingénuité, de leur virginité.
(Aber das ist ja auch eine der schwersten Prfungen an
dem Schaffenden: er muss immer der Unbewusste, der Ahnungslose
seiner besten Tugenden bleiben, wenn er diesen nicht
ihre Unbefangenheit und Unberhrtheit nehmen will!"
Lou lui offre cet écho intime d'une vraie lecture,
elle s'est "abîmée" pour mieux
en remonter les trésors de conscience. Elle va
alors prononcer des mots essentiels, qui vont non seulement
encourager Rilke à persévérer dans
cette voie - sa voix - mais encore éclairer sa
démarche poétique - parce qu'elle tente
d'en démonter l'enchaînement.
Je me suis demandé, sans réussir à
le comprendre, pourquoi cette lettre qui ne parle à
ton cæur que d'impuissance et de réalités
plus fortes que toi, me parle, à moi, positivement,
et d'un nouveau critère de la force qui t'a permis
de les représenter. Ou, ce qui revient au même:
pourquoi tu me donnes maintenant cette double impression
d'être à la fois déprimé
et grandi."
L'analyse de Lou agit comme un révélateur:
sous l'apparence (que le poète déplore
et dont il se plaint comme d'une réalité)
de fatigue, de faiblesse, de vulnérabilité,
Lou peut lire l'énergie, la création,
la distanciation avec le monde subjectif de Rilke, et
la création accomplie - serait-ce par créateur
interposé (Rodin). C'est cela qui épuise
l'artiste qui n'a pas encore achevé son travail
intérieur - refus de la psychanalyse, crises
nerveuses, blocages, inhibitions multiples -:le passage
du subjectif à l'objectif que représente
la création véritable (qui est distance
d'avec le Moi et objectivation de richesses reconnaissables
par le lecteur comme siennes), la métamorphose
du Je en Nous, et par l'épreuve formatrice, la
mise au monde non seulement de l'uvre mais d'un
être en renouvellement: qualités, capacités
nouvelles, souvent difficiles à appréhender,
qui modifient le regard que le créateur va porter
sur le monde relatif (en quittant l'absolu de la création).
Pendant cette "période Rodin" tu t'es
senti "un peu préservé par cette
immense rencontre", tu as consacré tes forces
de créateur à reconstituer la création
d'un autre. (...) Tu as tout regardé (...) par
les yeux de Rodin (...), en concentrant toute ton énergie
sur l'éloquence de la "physis", alors
que rien de tout cela ne pouvait trouver son moyen d'expression
parfaitement adéquat dans ton instrument, la
poésie."
Rilke n'est pas sculpteur : aucun exercice ne lui permet
de se libérer de l'intensité reçue
et partagée auprès de Rodin, qui travaille
en contact physique avec le matériau (pierre,
marbre, etc.). Lou analyse l'origine de l'épuisement
du poète, dans un premier temps : dans son langage
artistique - l'écriture du poème - les
mondes physique et psychique sont étroitement
liés.
"Mais là, cela n'a pu que t'entraîner
dans l'étrangeté d'un monde inconnu et
dissocier en toi l'âme et les sens. Si tu n'étais
qu'un créateur au second degré, ce travail
sur Rodin t'aurait valu la paisible satisfaction e t
l'agréable fatigue de la tâche accomplie;
mais là, ton travail est resté à
mi-chemin entre l'uvre personnelle et la tâche
imposée; son dévouement même comportait
une part de refoulement."
Et l'analyse que Rilke ne veut pas entreprendre alors,
c'est Lou qui l'y entraîne, par le travail qui
s'élabore dans le cadre épistolaire (pour
le poète, manière d'espace intra-utérin)
- qui débouche sur une re-création de
soi, qui fait la part nette des influences de Rodin,
des besoins du poète, des limites de ses propres
forces.
La création artistique - moyen d'atteindre l'absolu,
manière de prière - exige que l'on s'identifie
à l'objet de son regard - à son sujet.
Et la lettre, exercice apparemment banal de chaque jour,
assouplit l'âme comme dans Le poème du
Forgeron - image de Dieu, chaque jour à l'enclume
: Rodin lui enseigne l'effort du travail quotidien.
Il s'agit de se donner à l'art chaque jour, en
exercice de concentration, puis de méditation,
enfin comme une ascèse libératrice du
Soi.
"La patience est l'épreuve
de l'impatience, (...) l'entente qui veut persister
encore dans la plus extrême confusion."
RICHESSE DU MONDE SUBJECTIF EN MOUVEMENT.
Apprendre, comprendre, c'est enfin prendre avec soi,
faire entrer en soi-même des choses extérieures,
d'abord étrangères, qui devront, un jour
ou l'autre, nourrir l'être en profondeur (Rilke
dit : "in seinem Blute erleben"/vivre dans
son sang) et s'exprimer comme faisant partie intégrante
de soi-même.
Il y a en Rilke les énergies de sa propre création,
qui doivent être refoulées, très
loin, pour ne pas interférer dans son travail
sur Rodin. Il y a ce combat en lui, dont sa vie quotidienne
est en quelque sorte le champ de bataille. Imposer le
silence à des énergies de création
demande une force considérable : c'est aussi
cette force que Rilke développe, parallèlement
à sa monographie. Tout ce que son regard sur
le sculpteur met en résonance de personnel dans
la vie intérieure du poète doit demeurer
muselé, et rester, vibrant, en attente. (On ne
peut oublier ce qu'il exprime avec tant de reconnaissance
à Franz Xaver Kappus, dès la IIème
lettre - le 5 avril 1903:
S'il me fallait dire de qui j'ai appris quelque chose
sur la nature créatrice, ses sources, ses lois
éternelles, deux noms seulement me viendraient;
celui de Jacobsen, le grand, grand poète, et
celui d'Auguste Rodin, ce sculpteur qui n'a pas son
égal parmi tous les artistes d'aujourd'hui
(Wenn ich sagen soll, von wem ich etwas ber das Wesen
des Schaffens, ber seine Tiefe und Ewigkeit erfuhr,
so sind es nur zwei Namen, die ich nennen kann: den
Jacobsens, des grossen, grossen Dichters, und den Auguste
Rodins, des Bildhauers, der seinesgleichen nicht hat
unter allen Knstlern, die heute leben.).
Et puis l'uvre finie, après l'extrême
tension, c'est la fameuse exténuation qu'il confie
à Lou. Elle poursuit son analyse : l'élément
créateur personnel "(...)sous le signe de
la sculpture, c'est-à-dire du corporel, étranger
à l'instrument poétique, a dû retourner
contre toi son énergie et se dédommager,
tel un vampire, sur ton propre corps."
Parce qu'elle était elle-même plus philosophe
et intellectuelle que créatrice, seule une femme
détachée du phénomène de
la création artistique par de longues années
consacrées à la psychanalyse, à
la pratique d'un essai de distance d'avec son propre
Moi, pouvait, avec toutes l'écoute et la tendresse
qu'elle portait à Rilke, faire une approche aussi
juste de l'effondrement physique et psychique du poète,
en août 1903. Elle savait ce que leur rupture
avait coûté au poète, et elle pressentait
qu'il s'était jeté dans sa tâche
tout entier.
La fin de sa lettre est exemplaire à ce titre
: elle va au fond de l'angoisse qui terrasse Rilke,
en fait ressortir les éléments éclairants,
pour lui montrer la vérité, la puissante
richesse du processus qui est en route; un grand créateur
est en train de naître, de s'ébaucher,
comme sortant de la main argileuse de Rodin, sous ses
yeux - sous nos yeux .
"Si tu as subi ces pénibles séquelles
d'accouchement, c'est uniquement à cause de tout
ce qui est né de neuf en toi. C'est pour cela
que tu souffres, et je m'en réjouis: comment
ne le ferais-je pas, quand tu manifestes jusque dans
l'expression de ta souffrance ce que tu es devenu. La
joie qui flotte au-dessus de tes lettres n'est pas encore
retombée jusqu'à toi; elle n'en est pas
moins tienne, et tu connaîtras à son ombre
le repos qui succède à la douleur."
Rarement la passation du pouvoir de vibrer, puis de
créer, n'aura été fouillée
d'aussi près, avec cette grâce, et la justesse
que permet l'amour dépouillé de toute
possessivité. Lou, dans sa lecture du Rodin,
ne cesse de voir Rilke, "comme dans une lettre"
naître et grandir, elle le suit dans s on apparition
et reconnaît en lui la puissance à l'uvre,
dans sa métamorphose.
Le lendemain de cette analyse - le 8 août 1903
- elle lui écrit une seconde lettre, qui commence
par : "Je n'ai pu terminer hier", et elle
va lui révéler l'intensité de cet
accord entre l'homme et son uvre, entre le créateur
en lui et sa réception (phase initiale) du monde.
"La valeur artistique, objective, que le Rodin
doit à ton dévouement créateur
est très grande et ne saurait avoir été
payée trop cher :(...) tu t'es dévoué
à ton contraire, à ton complément,
à la personnification d'un rêve, ...tu
t'es donné comme on épouse."
S'ensuit une analyse très attentive du dépassement
des forces, en Rilke, et de l'expérience intérieure:
"tout était encore devant toi", comme
si, une fois encore de façon abondante et légère,
Lou était la détentrice du secret, celle
qui regarde et voit, respire et délivre, celle
qui était seule capable de proférer l'intime
vérité de Rainer, qui se trouve être
(on a dit maintes fois qu'elle était "une
grande accoucheuse") aussi la vérité
de tout créateur : être porté par
le souffle créateur, c'est avoir la création
devant soi, à accomplir, c'est être toujours
au pied de la montagne, face à l'uvre qui
appelle. Cette "nostalgie"-là dont
parle Lou ne peut être dite, elle ne peut qu'être
éprouvée. Si Lou peut la prononcer, si
Rilke peut l'entendre, c'est qu'entre eux circule autre
chose qu'un banal sentiment d'amitié, de tendresse
: la force d'une destinée unie.
"il faudra peut-être des années avant
que ne s'élèvent en toi, tels des souvenirs,
et grâce à ces heures, ces réalisations
suprêmes de ton être se manifestera la profonde
logique qui lie l'homme et l'artiste, la vie et le rêve.
Quant à moi, je suis certaine désormais
de ce que tu es; et c'est bien ce que ce livre comporte
de plus personnel pour moi : que je nous crois alliés
dans les graves mystères de la vie et de la mort,
unis dans l'élément éternel qui
lie les humains entre eux. Désormais, tu peux
compter sur moi."
Oui, il faudra dix-neuf ans à Rilke pour recevoir
l'entière tempête qui accomplira enfin
Les Elégies, Lou avait pressenti l'importance
de cette durée, le poids de l'accomplissement,
mais comment, à la lecture de ces deux lettres,
comment le poète ne se sentirait-il pas porté,
re-né, remis au monde - mais cette fois, comme
l'artiste en voie de devenir, comme l'être en
complétude - "allié... uni..."?
A travers le devenir, en lui, de la monographie qu'il
a consacrée à Rodin, Rilke a mûri.
A travers sa lecture, Lou l'a reconnu. Les choses de
leur destinée semblent se dérouler comme
si, dans l'ébauche de son monde, de ses visions,
Rilke est renoué à Lou, par la main du
sculpteur, invisible cette fois, mais souveraine.
PROFERER, POUR DEPOUILLER LES ETAIS.
"Lorsque tu as voulu me dissuader de croire que
ta lettre de Paris fût plus qu'une lettre, je
me suis demandé, sans réussir à
le comprendre, pourquoi cette lettre qui ne parle à
ton cæur..."
Déjà, la lettre dont Lou reprend la lecture
est "plus qu'une lettre", elle avance vers
ce quelque chose qui la fera nommer uvre, une
fois dépouillés les étais, les
coutures. La lettre se trouve dans la situation d'une
presqu'île - pas encore æuvre (île)
mais déjà en voie de détachement
du continent (correspondance): la lettre est une manière
de cordon ombilical, de relation à autrui dans
un monde clos, protégé encore - peut-être
la lettre figure-t-elle, nous l'avons suggéré,
une relation intra-utérine à la création:
être encore "dedans", à l'abri
de tout engagement solitaire, risqué. (Nous avons
parlé ailleurs de l'archipélisation de
la lettre.)
Que disait donc cette lettre, qui débordait de
l'espace (déjà ample) de leur correspondance,
pour que Lou en arrivât à parler de "plus"
? Rilke y faisait l'essai du récit, long, détaillé,
de la rencontre multiple que lui avaient offerte les
rues de Paris. Il y faisait vivre des scènes
de rue, des visions, dont il avait été
le témoin - le "martyr" au sens qu'Adamov
donne à ce mot, dans sa préface de la
traduction qu'il fit du Livre de la Pauvreté
et de la Mort.
Cette lettre, datée du 18 juillet 1903, fut publiée
dans la Nouvelle Revue Française du 1er janvier
1934 - nous l'avons retrouvée dans des archives
familiales.
Le début évoque un poème en prose
de Baudelaire, intitulé A une heure du matin.
Puis Rilke avance dans les souvenirs de son arrivée
(alors récente) à Paris, et se met à
parler de l'Hôtel-Dieu.
D'emblée, nous (qui découvrons évidemment
la lettre après le roman) sommes dans Les Cahiers
de Malte Laurids Brigge, c'est la préfiguration
de ce roman, qui porte en germe tous les aspects novateurs
du genre romanesque du XXème siècle: même
écriture que dans Malte, par le biais du monologue,
fondée sur le réel,
avec l'impression que le poète ne s'est pas contenté
de prendre des notes (dans le style des Choses vues
de Victor Hugo), mais qu'il s'est enfoncé dans
les tableaux parisiens, qu'il a souhaité comprendre
le sens des choses, les douleurs infligées par
l'existence pauvre et difficile à partir de ce
qu'il en voyait. A aucun moment la réflexion,
là, ne s'abstrait ou ne devient purement théorique:
elle ne précède jamais la vision du monde.
D'abord il y a récit d'un vécu (vu), puis
analyse et commentaire, avec un constant décalage,
qui rend le récit plus poignant, entre la peinture
nue du réel le plus douloureux, et une écriture
subtile, qui parvient à épeler le réel
et à rendre à la fois, sa profondeur et
sa transparence.
Lettre à Lou:
"comme je fus seul aussi parmi ces hommes, comme
je fus repoussé par tout ce que je rencontrai."
(war ich allein unter ihnen; und wie allein war ich
jetzt unter diesen Menschen)
Cahiers de Malte:
"Car il est bien clair que ce ne sont pas seulement
des mendiants, ce sont des réprouvés."
(Denn das ist mir klar, dass das die Fortgeworfenen
sind, nicht nur Bettler.)
Etrange sensation, presque physique - tant l'écriture
est aussi une histoire du corps - que Rilke fait ses
gammes, qu'il tente de cerner à la fois ses impressions
visuelles et son ressenti intime, qu'il veut rendre
sa vision perceptible, dans toute sa complexité,
à sa lectrice, qui n'est plus seulement Lou,
mais ce regard de l'autre (cet autre regard) avec qui
le partage s'instaure. On pourrait prendre dix phrases
de cette lettre, et en citer dix parfaitement sæurs
extraites des Cahiers de Malte. Cette lettre, c'est
la naissance du roman rilkéen, dans sa richesse,
sa profondeur et son angoissante interrogation de la
vérité.
"Je suivais de longs hôpitaux qui ouvraient
toutes grandes leurs portes " (Da ging ich an den
langen Hospitälern hin, deren Thore weit offen
standen .)
"J'ai vu des hôpitaux." (Ich habe gesehen
: Hospitäler.)
"de longs hôpitaux...leurs portes, d'un air
d'impatiente et vorace miséricorde." (mit
einer gebärde ungeduldiger und gieriger Barmherzigkeit.)
"Dans les sanatoriums, l'on meurt si volontiers
et avec tant de reconnaissance à l'égard
des médecins et des infirmières, on meurt
d'une des morts organisées par l'établissement."
(In den Sanatorien, wo ja so gern und mit so viel Dankbarkeit
gegen ärzte und Schwestern gestorben wird, stirbt
man einen von den an der Anstalt angestellten Toden.)
"Ils portaient d'ailleurs l'empreinte, le masque
trompeur des villes géantes." (Und sie trugen
das trostlose, missfarbene Mimicry der bergrossen Städte.)
"Il y a des gens qui gardent un visage pendant
des années..." (Da sind Leute, die tragen
ein Gesicht jahrelang...)
"Les voitures traversaient mon corps, les plus
pressées n'essayaient même pas de m'éviter
et passaient sur moi, avec mépris, comme sur
une vieille flaque d'eau sale." (Die Wagen fuhren
durch mich durch, und die welche eilten, machten keinen
Umweg um mich und rannten voll Verachtung ber mich hin
wie ber eine schlechte Stelle in der altes Wasser sich
gesammelt hat.)
"Les tramways traversent furieusement ma chambre
en sonnant. Les automobiles passent par-dessus moi.(...)
Le tramway se rapproche fiévreusement du cri,
passe par-dessus, passe par-dessus tout." (Elektrische
Bahnen rasen läutend durch meine Stube. Autemobile
gehen ber mich hin (..) Die Elektrische rennt ganz erregt
heran, darber fort, fort ber alles.)
Que ce soient les murs des hôpitaux, l'ironique
morgue médicale qui cache mal l'angoisse des
soignants comme des soignés, la vie (déjà)
trépidante de Paris et l'agressivité des
voitures et autres tramways, Rilke voit tout, observe,
note, et traduit immédiatement par le ton de
sa lettre le sentiment de désarroi qui monte
en lui - donc en Malte, qui naîtra de ses plus
profondes anxiétés.
" Quels êtres j'ai rencontrés depuis,
presque chaque jour: cariatides délabrées,
sur lesquelles pèse toute la souffrance, tout
l'édifice des souffrances et qui vivent là-dessous,
lentement, comme des tortues. Passants parmi les passants,
ils allaient, abandonnés, seuls à seuls
avec leur destin. (...) Ils palpitaient comme ces tranches
de poisson qui se putréfient mais vivent encore.
Ils vivaient de rien, de poussières, de suies,
des ordures de leur surface, de ce qui échappe
aux crocs d'un chien. (...) Des lambeaux, des lambeaux
d'hommes, des morceaux de bêtes, des épaves
de choses ."
(Und wasfr Menschen bin ich seither begegnet, fast an
jedem Tage; Trmmern von Karyatiden, auf denen noch das
ganze Leid, das ganze Gebäude eines Leides lag,
unter dem sie langsam wie Schildlkröten lebten.
Und sie waren Vorbergehende unter Vorbergehenden, alleingelassen
und ungestört in ihrem Schicksal. (...) zuckten
wie Stcke eines zerhauenen grossen Fisches, der schon
fault aber immer noch lebt. Sie lebten, lebten von nichts,
vom Staub, vom Russ und vom Schmutz auf ihrer Oberfläche,
von dem was den Hunden aus den Zähnen fällt.(...)
Stcke, Stcke von Menschen, Theile von Thieren, berreste
von gewesenen Dingen.)
"Ce sont des déchets, des pelures d'hommes,
que le destin a recrachés. Encore humides de
la salive du destin, ils restent collés aux murs,
aux réverbères, aux colonnes de publicité
ou bien ils s'écoulent lentement le long des
rues, en laissant derrière eux leur trace sombre
et sale." (Es sind Abfälle, Schalen von Menschen,
die das Schicksal aus gespieen hat. Feucht vom Speichel
des Schicksals kleben sie an einer Mauer, an einer Laterne,
an einer Plakatsäule, oder sie rinnen langsam die
Gasse hernter mit einer dunklen, schmutzigen Spur hinter
sich her.)
Notons, et c'est en cela aussi que l'acte épistolaire
s'inscrit comme une étape latérale majeure
de l'écriture créatrice, que l'écrit
voué à un destinataire unique permet de
faire vivre la part subjective, intime, privée,
qui est éprouvée par le poète,
et de l'objectiver, de la distancer; après quoi,
il n'est pas facile (ce serait le dire trop vite)
mais il est possible de créer, c'est-à-dire
de passer du réel à l'image du réel,
de la réalité brute et brutale à
la métaphorisation de celle-ci, dans l'écriture
qui fait de la vie non plus la pierre qui broie l'être,
mais la page l'on peut écrire sa version de l'histoire
vécue, peut s'écrire une approche de ce
qui fut reçu.
UNE LETTRE ? TOUT UN ROMAN !
Comment ne pas voir que la seule différence,
entre ces deux textures d'écriture, est infime:
la lettre comporte encore quelques traces de présence
d'un Moi qui dit je, un restant de combat de part subjective
(j'ai repris, ... je suivais, ... j'ai rencontré(s)...),
là l'écriture romanesque, faisant de Malte
un simple miroir qui va se briser, s'éparpiller
dans les morceaux du désespoir, retire quand
cela est possible les étais du pronom personnel
à la première personne.
Mais quand la phrase romanesque l'exige, nous retrouvons
le "je" de Malte, qui n'est pas seulement
le reflet du Moi rilkéen - qui lui, éclate
dans la première citation extraite de la lettre:
"O, Lou, quel martyre quotidien pour moi! Car je
comprends tous ces êtres.(...) Quelque chose m'arrachait
à moi-même, me plongeait dans leur vie,
dans toutes leurs vies, dans toutes leurs lourdes vies
(...)" (O, Lou,ich habe mich so gequält, Tag
für Tag. Denn ich verstand alle diese Menschen
(...) Es riss mich aus mir heraus in ihr Leben hinein,
durch alle ihre Leben durch, durch alle ihre beladenen
Leben.)
"Que veulent-ils de moi? Sont-ils là à
m'attendre? A quoi me reconnaissent-ils? " (Was
vollen sie von mir? Warten sie auf mich woran erkennen
sie mich?)
Encore nous faut-il préciser qu'à ce moment-là
- dans l'écriture romanesque -, la visée
de l'emploi du pronom personnel n'est plus l'écho
de la subjectivité rilkéenne, dépassée
(et distanciée par l'usage fictionnel), mais
l'écho de cet écart fatalement creusé
entre la vision objective du malheur, et son impact
sur la conscience de tout lecteur - de tout passant
que sa condition matérielle, ou intellectuelle
met à l'abri de cet extrême dénuement.
La scène de l'homme atteint de la danse de Saint
Guy sera plus exemplaire encore de la passation du je
au nous, du Moi au soi: l'impersonnalité absolue
de la souffrance va s'instaurer. Si la douleur est relative
à chacun, la souffrance, physique et morale,
se fait dénominateur commun de la Ville, comme
figure tentatrice et désolante, affliction dévorante
des rues et de l'indifférence humaine.
"tous avec quelque chose d'infiniment subtil sur
leur visage: un amour, une certitude, une joie; lumière
un petit peu louche, un petit peu vacillante qui pourrait,
pourtant, redevenir limpide, si quelqu'un prenait soin
d'elle et la préservait. Mais il n'y a personne.
Personne qui vienne à leur secours (...) tous
ceux que submerge l'angoisse - pourquoi n'ont-ils personne
dans les grandes villes?" (alle mit etwas unendlich
Feinem im Gesicht, mit einer Liebe, einemWissen, einer
Freude, wie mit einem Licht, das nur ein ganz klein
wenig trbe und unruhig brennt und gewiss wieder klar
werden könnte, wenn einer zusähe und hlfe...
Aber da ist keiner, der hilft. (...) allen denen, ber
die die Angst gewachsen ist, - warum hilft ihnen niemand
in den grossen Städten?)
Tout ce qu'exprime cette lettre à Lou déborde
donc la simple confidence amicale, se fait récit
structuré, avancée dans une manière
de perception tragique du monde, perception mise en
scène avec un talent immédiatement perceptible.
Lou ne pouvait pas ne pas voir que là, ce n'était
plus une simple lettre. (Et le poète ne cherche-t-il
pas confirmation..?)
Lettre du 18 juillet 1903:
"La plupart regardaient derrière eux et
je devais prendre garde de les éviter."
(Die meisten gingen eine Weile zurchkgewendet, sa dass
ich darauf achten musste, nicht mit ihnen zusammenzustossen.)
"Ils étaient maintenant tous là,
à regarder ou à chercher vers le bas de
la rue..." (Nun standen alle und blickten hinuntersehend
oder suchend..)
Curieusement, lorsqu'on aborde le passage descriptif
de l'homme "nerveux", on ne peut s'empêcher
de songer - sans doute à cause de la ressemblance
du personnage avec celui que nous dessine Raymond Queneau,
mais aussi grâce aux modifications, de la lettre
au roman - à Exercices de style, tant les différences
de la description épistolaire à celle
du roman sont subtiles.
"un homme svelte, vêtu de noir " (einen
schlanken, schwarzgzkleideten Mann) devient :
" un grand homme maigre dans un pardessus sombre,
un chapeau mou noir..." (ein grosser hagerer Mann
in einem dunklen berzicher und mit einem weichen,schwarzen
Hut...)
Et plus loin, quand il s'agit du désordre des
gestes et des mouvements de son corps que l'inconnu
ne maîtrise plus, nous avons:
"il essayait, des deux mains, de rabattre le col
de son pardessus, qui s'obstinait à se redresser."
(der im Weitergehen beide Hände bentzte, seinen
berzieherkragen, der sich offenbar ärgerlicherweise
immer wieder aufstellte, umzuklappen.)
"je notai que l'homme était aux prises avec
une autre contrariété. Le col de son pardessus
s'était relevé; et il avait beau s'efforcer,
tantôt d'une main, tantôt des deux, de le
baisser, il n'y parvenait pas. " (bemerkte ich,
dass dem Manne ein anderes Argernis entsanden war. Der
Kragen seines berziehes hatte sich aufgestellt; und
wie er sich auch, bald mit einer Hand, bald mit beiden
umständlich bemhte, ihn niederzulegen, es wollte
nicht gelingen.)
Jusque dans le détail des pas et des retournements
de l'homme, le texte romanesque est fidèle à
la trame qui apparaît dans la lettre - mais le
schéma épistolaire est modifié,
et le travail romanesque le structure autrement, avec
des modifications notables dans l'approche de l'homme,
dans l'ordre de ses gestes - dans la durée descriptive
de la scène singulative, comme s'il s'agissait
pour Rilke, dans le développement plus long qu'il
accorde aux faits et gestes dans le roman, de souligner
la résonance qui perdure en lui-même: il
enlève le pronom personnel narratif (son Moi
) mais donne un écho prolongé de la souffrance
de l'autre en lui. Si nous nous permettons d'insister,
c'est que nous sommes au cæur de la problématique:
il s'agit d'en finir avec l'expression égoïste
de la souffrance, pour la faire éprouver à
tous les autres, la leur traduire comme un Mozart traduit
en musique les inspirs de son état créateur.
C'est sans doute cela, le passage de l'épistolaire
au fictionnel, du subjectif brut à l'objectif
créateur: distancer le Moi pour mieux en retranscrire
la profondeur, la capacité de résonnance,
donc de réconciliation fondatrice.
"il voulait seulement donner le change aux passants,
quand à chaque faux-pas, il se retournait comme
pour incriminer on ne sait quel objet. En réalité,
il n'y avait rien." (und dass er nur die ihm Begegnenden
täuschen wolte, wenn er sich nach jedem Stolpern
umwandte als sollte er irgend einen schuldigen Gegenstand
zu Rechenschaft ziehens. Es war in Wirklichkeit nichts
zu sehen.)
"et le plus étrange est que l'homme paraissait
croire lui-même à l'existence d'un obstacle,
car il se retournait chaque fois vers l'endroit fâcheux
avec le regard fait pour moitié d'irritation
et pour moitié de reproche qu'ont les gens dans
ces circonstances." (und das Seltsame war, dass
der Mann selbst an das Vorhandensein eines Hindernisses
zu glauben schien, denn er sah sich jedesmal mit jenem
halb ärgerlichen, halb vorwurfsvollen Blick, den
die Leute in sochen Augenblicken haben, nach der lästigen
Stelle um.)
En construisant sa scène romanesque, Rilke ne
peut s'empêcher de faire agir le personnage, de
lui donner une participation active à son malheur
- cette maladie nerveuse qui le signale aux yeux de
tous, pour la dérision des garçons de
café ou la compassion du poète - comme
s'il éprouvait, par la construction de sa vision
des choses et du monde, du soulagement à rendre
le malade moins passif, plus participant: qu'il soit
comme l'auteur de ce qui l'afflige, et pas seulement
la victime; qu'il en devienne le truqueur, le metteur-en-scène,
un peu celui qui se regarde, et moins celui qui se subit.
Ainsi le passage d'une écriture à l'autre
n'est-il pas simplement sensible dans la forme, plus
travaillée, mais aussi dans l'approfondissement
que Rilke exprime de son témoignage, en quelque
sorte, de la continuation de son vécu - qui continue,
dit-on familièrement, de le travailler - une
fois l'événement terminé en lui-même.
Un artiste est sans doute un être chez qui les
choses ne se terminent pas aussi vite que pour la plupart
des gens.
Rappelons-nous dans Malte, cet aveu du narrateur :
"J'apprends à voir. Je ne sais pas à
quoi cela tient, mais tout pénètre plus
profondément en moi, sans s'arrêter à
l'endroit d'ordinaire tout s'achevait. J'ai un intérieur,
que j'ignorais. Tout y entre désormais. Je ne
sais pas ce qui s'y passe." (Ich lerne sehen. Ich
weiss nicht, woran es liegt, es geht alles tiefer in
mich ein und bleibt nicht an der Stelle stehen, wo es
sonnst immer zu Ende war. Idch habe ein Inneres, von
dem ich nicht wusste. Alles geht jetzt dorthin. Ich
weiss nicht, was dort geschieht.)
Le créateur n'en a jamais fini avec le monde
et la conscience élargie qu'il en a. Et créateur
il est, parce qu'il veut faire quelque chose, répondre
au monde: sans doute est-il un être qui ne cesse
de vivre et de penser la scène à l'intérieur
de lui-même, jusqu'à ce qu'elle ait trouvé
sa voie - sa voix - juste. Et cette voix n'est pas épuisée
par l'expression épistolaire, ce qui mène
à un accomplissement plus distancié, plus
objectif: l'uvre - mais dont la lettre est ici
première objectivation et mise en mots.
Cette forme de compassion active, agissante, qui traverse
et marque cette lettre à Lou, va durer jusque
dans le roman, le narrateur veut tellement venir en
aide à cet homme qui se débat contre lui-même,
dans une solitude, pis: un isolement déchirant
(pour la conscience de Rilke), qu'il va user d'une image
très belle: celle des mains tendues.
Dans un premier temps, l'inconnu semble tout subir.
Puis Rilke s'aperçoit que le malade est divisé,
plus: qu'il est désuni, qu'il est à la
fois l'auteur et le personnage de sa tragédie
intime:
"Mais avec quelle surprise j'étais forcé
de reconnaître, maintenant, que j'avais vu, de
mes propres yeux, sa main gauche, d'un geste incroyablement
rapide, courir vers le col de son manteau, le saisir
à la dérobée et le relever, et
lui, alors, des deux mains, minutieusement, qui s'efforçait
de le rabattre." (Wie staunte ich aber,als ich
aunfeinmal zugeben musste, gesehn zu haben, wie seine
linke Hand unbeschreiblich rasch nach dem Mantelkragen
fuhr, ihn fast unbemerkbar ergriff und aufstellte, worauf
er sehr umständlich mit beiden Händen die
Niederlegung des Kragens versuchte.)
Dans le roman, cela devient:
"Mais je remarquai aussitôt avec un immense
étonnement que, dans les gestes affairés
de cet homme, il y avait deux mouvements: un mouvement
secret, rapide, avec lequel il redressait imperceptiblement
son col et un autre mouvement appliqué, permanent,
exagérément décomposé, qui
voulait s'employer à retourner le col."
. (Aber gleich darauf gewahrte ich mit grenzenloser
Verwunderung, dass in den beschäftigten Händen
dieses Menschen zwei Bewegungen waren: eine Heimliche,
rasche, mit welcher er den Kragen unmerklich hochklappte,
und jene andere ausfhrliche, anhal tende, gleichsam
bertrieben buchstabierte Bewegung, die das Umlegen des
Kragens bewerkstelligen sollte.)
Epuisé de voir l'homme désuni, Rilke écrit
à Lou son désarroi intime, cette impuissance
navrée se trouve un être sain face au ravage
de la maladie chez l'autre.
C'est cet insurmontable déchirement
qui fait advenir l'acte épistolaire: besoin de
partage, d'épancher une compassion. Ecoutons
les termes de sa lettre - retenons l'abondance des expressions
de la détresse dans le cæur du créateur
face aux "actes" du personnage...
"L'homme tout entier s'emplissait d'une agitation
" (dieser ganze Mann sich anfllte mit Unruhe, )
"je devinais sa volonté, son angoisse, dans
le geste désespéré de ses mains
crispées " (und ich sah seinen Willen, seine
Angst und den verzweiflten Ausdruck seiner kramptfhaten
Hände (..)
"Je vivais la métamorphose de cette canne,
qui devenait quelque chose de primordial, dont tout
dépendait. Toutes les forces, tout le vouloir
de l'homme passaient en elle, en faisaient une puissance,
un être (...) auquel tout le malade se suspendait."
(Und ich erlebte es wie dieser Stock etwas wurde, etwas
Bedeutsames, von dem viel abhing: alle Kraft des Mannes
und sein ganzer Wille ging in ihn ein und machte ihn
zu einer Macht, zu einem Wesen (..) an dem der kranke
Mann mit wildem Glauben hing.)
"Un Dieu naissait, un monde se dressa contre lui".
(Hier entstand ein Gott und seine Welt erhob sich wider
ihn.(...)
"J'étais, alors, loin derrière lui,
à la dérive, emporté par son angoisse,
qui se confondait avec la mienne" (Ich war jetzt
dicht hinter ihm, willenlos, mitgezogen von seiner Angst,
die von meiner nicht mehr zu unterscheiden war.)
La scène s'écarte de lui, comme une planète
dans son orbe propre, l'histoire de cette homme ne cesse
pas de le concerner pour autant. Avec la "force
indicible" (und es war alles aus mir herausgenommen)
qui le déchire, que peut faire le poète?
La lettre à Lou se termine sur des questions,
un aveu:
" trouver un livre suffisamment fort pour me tirer
de là? Je me sentais vide; comme si l'angoisse
d'un autre s'était nourrie de moi et m'avait
épuisé..." (Wo giebt es ein Buch,
das stark genug gewesen wäre, mir ber das fortzuhelfen
was in mir war. Ich war wie verbraucht; als hätte
die Angst eines anderen sich aus mir genährt und
mich erschöpft, so war ich.)
Ce qui, psychologiquement, est la très exacte
vérité : Rilke va devoir passer de la
lettre adressée à Lou à l'écriture
romanesque qui demeure un effort de mise à distance
de sa propre souffrance. Alors le travail créateur
va se faire, au plus intime de sa vie intérieure,
et le roman de Malte s'enrichir de cette image douloureuse
et forte:
"Le moment allait venir sa force serait à
bout (...). Et moi qui marchais derrière lui,
le cæur battant, je réunissais le peu de
force que j'avais, comme on réunit de l'argent
et, en regardant ses mains, je le suppliais d'y puiser,
s'il en avait besoin." (Der Augenblick musste kommen,
da sein Kraft zu Ende war (...) Und ich, der ich hinter
ihm herging mit stark schlagendem Herzen, ich legte
mein bisschen Kraft zusammen wie Geld, und indem ich
auf seine Hände sah, bat ich ihn, er möchte
nehmen er es brauchte.)
Cette extraordinaire métaphore du don mental
- celui de la prière fraternelle - ne peut s'exprimer
que dans le roman, parce que la lettre est une ébauche,
un premier jet (besoin de se confier, mise en mots qui
libère un peu de l'oppression demeurée
en soi), un espace de questionnement à soi devant
l'autre; le roman accomplit le désir créateur,
le désir de donner aide, de porter secours -
de bâtir un monde plus près de l'Ouvert,
de l'amour. Voilà pourquoi Rilke peut faire dire
à Malte, à la fin de ce passage:
"Je crois qu'il en a pris; est-ce ma faute s'il
n'y en avait pas davantage?" (Ich glaube, dass
er es genommen hat; was konnte ich dafr, dass es nicht
mehr war?)
Rilke transfuse (et le terme reste proche de sa notion
de création par le sang) dans son narrateur cette
sensation charnelle et pourtant métaphysique
du don de soi, par cela-même que l'homme désuni
ne maîtrise plus: son désir, ses mains.
Et pour parvenir à cette expression d'un Moi
qui devient soi, puis Soi, il fallait la création,
le temps de sa respiration et sa mise à distance
- pour, paradoxalement, arriver à traduire le
désir de proximité d'être, de rapprochement,
de compassion. C'est la fusion des deux synonymes: aimer
/ créer.
Georges Perec
ON ENFILE DES
PERLES
ANDRE BOLZINGER
Georges Perec est assez connu pour que je me dispense
de vous le présenter. Vous savez qu'il était
documentaliste et écrivain, qu'il est mort en
1982 à l'âge de 46 ans. Son uvre
a connu et connaît encore un vif succès
: il avait obtenu le prix Renaudot en 1965 et le prix
Médicis en 1978 ; la publication posthume de
ses inédits se poursuit sans relâche, accompagnée
de nombreux essais critiques ou biographiques. Comment
aborder un auteur si abondant ? Nous ne serons pas trop
de deux aujourd'hui pour vous présenter quelques
réflexions et pour éviter la noyade dans
la masse des références ou dans le flot
de l'admiration inconditionnelle des perecophiles.
Approcher Perec par sa correspondance me donne peut-être
un avantage.
La publication récente des lettres qu'ont échangées
Georges Perec et Jacques Lederer nous met en mains un
document unique ; il est néanmoins de taille
imposante, plus de 600 pages, 136 lettres de Perec et
83 de Lederer qui vont de 1956 à 1961. C'est
à partir de ce corpus que je me propose de travailler
le thème de cette journée et de confronter
l'uvre et la correspondance d'un même auteur.
Mon objectif ne sera pas d'analyser l'évolution
d'une écriture ou la genèse d'une idée,
mais plutôt de cerner ce qui serait permanent,
une certaine façon de parler et d'écrire,
une certaine manière d'être parlant et
de se positionner dans le jeu de la parole et du langage.
Admettons qu'il y ait peut-être plus d'apprêts
et d'artifices dans les ouvrages publiés. Admettons
qu'il y ait vraisemblablement plus de maladresses ou
de négligences dans les lettres, qui n'étaient
pas faites pour être publiées. En passant
des uns aux autres, j'imagine que nous pourrons bénéficier
d'un regard binoculaire et mieux saisir le relief et
les particularités de cette écriture.
Perles de Perec
Avant de commencer, je vous dois quelques
explications sur le titre de cet exposé. Pourquoi
des perles ? Qui va enfiler des perles ? Vous savez
de Georges Perec ce qu'en dit aujourd'hui la rumeur
médiatique : il aurait été un garçon
plein de talents, un digne fils de son père et
surtout un dévot de sa mère. Il a connu
une enfance d'orphelin. Son père est mort sous
l'uniforme pendant les combats de juin 1940, quand Perec
avait 4 ans. Il avait 5 ans et demi quand il a quitté
Paris et quitté sa mère qui fut prise
dans une rafle en 1942 et qui mourut à Auschwitz
après être passée par Drancy. L'enfant
sera élevé par son oncle et sa tante jusqu'à
la fin de l'adolescence. Ils vivront pendant la guerre
dans le Vercors puis ils reviendront à Paris
pour habiter dans le 16e, rue de l'Assomption.
À l'âge de 20 ans, Georges Perec avait
toujours son adresse chez son oncle et sa tante, il
y recevait ses amis de terminale, d'hypokhâgne
et de faculté, il allait en vacances avec eux.
Ils auront été sa seconde famille. Cet
oncle, David Bienenfeld, avait fait des études
de médecine en Pologne, mais l'exercice de la
médecine ayant été interdit aux
Juifs, il émigra en France et fit fortune dans
le commerce des perles fines. Il était spécialisé
dans la perle naturelle du Golfe persique, des perles
pêchées dans les eaux chaudes de Bahreïn.
Il allait marchander là-bas avec des intermédiaires
arabes, il rapportait la marchandise à Paris
pour la revendre sur le marché américain,
avec de confortables bénéfices. Après
la guerre, le commerce de la perle redevint florissant
mais bientôt le marché fut envahi par des
perles de culture en provenance du Japon. L'oncle de
Perec refusa ces nouveaux produits et resta cantonné
dans le commerce des perles naturelles ; il se désignait
lui-même comme
" le dernier des Mohicans " dans le négoce
de la perle véritable.
Les relations de Georges Perec adolescent puis étudiant
avec ce personnage paternel furent rugueuses, comme
il se doit. Ils s'affrontaient régulièrement
à l'heure des repas.
Le négociant en perles fines était un
homme coléreux mais pragmatique ; il a exercé
par sa présence et son autorité une influence
nettement positive sur la maturation intellectuelle,
la réussite scolaire et les premières
années d'étude de Georges Perec. L'heure
de l'émancipation arrive avec le service militaire.
Le jeune homme va porter l'uniforme de janvier 1958
à décembre 1959, c'est-à-dire pendant
vingt-trois mois, à l'époque de la guerre
d'Algérie. Il est incorporé dans un régiment
de parachutistes à Pau : il apprend à
sauter,
il travaille à l'infirmerie, il se sent isolé
et s'ennuie copieusement.
C'est pendant ces deux années de service militaire
que Georges Perec écrit la plupart de ses lettres
à Jacques Lederer. Ils se sont connus en classe
de Terminale au lycée d'Étampes où
ils étaient internes, ils sont devenus copains
pour l'amour du jazz et du cinéma américain
; ils se sentent proches aussi parce que le père
de Lederer est mort dans les camps nazis comme la mère
de Perec. Ils passent des heures ensemble à jouer
aux cartes, à discuter, à boire et à
se disputer. L'écriture a pris le relais quand
ils ont été séparés par
le service militaire. Durant les douze premiers mois
d'armée, Perec écrira 96 lettres à
son ami Jacques, soit en moyenne presque deux lettres
par semaine.
Avalanche de mots
Inutile de vous dire que ce ne sont pas
des lettres académiques. Nous trouvons par exemple,
au début des lettres, une série de formules
familières qui donnent le ton de la correspondance
: " Cher Jacques ", " cher ami ",
" cher vieux ", mais aussi " illustre
andouille " (13 février 58), ou " cher
repéré, indexé, catalogué,
marqué, pistonné, maculé, dépucelé...
" (14 mars 58), ou plus brièvement "
cherge ac " (16 octobre 59). L'apostrophe "
cher, très cher, admirable et charmant ami "
ne sort pas de la plume de Perec mais de celle de Lederer
(22 avril 58). Quant aux fins de lettres, elles sont
plus sommaires, sans effusion, souvent en anglais "
bye ", " see you later ", " see
you soon ", et parfois envahies par des rengaines
de bidasse, du genre " la quille bordel ".
La correspondance des deux compères est une façon
de continuer à bavarder, de poursuivre leur conversation
ludique comme dans un bar.
Le jeu consiste à jouer avec les mots autant
qu'avec les idées. Surtout avec les mots. L'un
et l'autre avaient l'ambition de devenir écrivain
: ils rédigeaient avec beaucoup de sérieux
les plans de leurs futurs ouvrages, tout en faisant
assaut de plaisanterie et de galéjades. Leurs
fantaisies verbales forment un chapelet d'astuces plus
ou moins brillantes, plus ou moins amusantes, plus ou
moins fumeuses. Dans cet exercice de virtuosité,
tout paraît innocent et gratuit, pourtant rien
n'est anodin, rien n'est insignifiant. C'est là
que nous pouvons saisir sur le vif la voix singulière
de Georges Perec.
Si nous analysons la structure formelle
de ces facéties langagières, nous trouvons
d'abord un procédé de juxtaposition linéaire.
Le texte prend la forme d'une liste : liste des disques
écoutés récemment (2 octobre 59),
liste des livres lus (7 mars 58), liste des livres à
lire (1er août 58), liste d'injures rabelaisiennes
(2 février 58), liste des " villes que je
voudrais connaître " (7 juin 58), horaires
des trains pour Paris (15 juin 58), menus des derniers
repas au restaurant (8 mai 58, 18 septembre 58, 9 novembre
59). Certains jours, Perec termine sa lettre par une
rafale de post-scriptum. Et je deviendrais moi-même
perecquien en prolongeant cette série d'exemples...
L'accumulation tient une place centrale dans l'écriture
de Perec. Elle donne une forme littéraire à
son Je me souviens, une litanie de petits souvenirs
secs, ponctuels, sans traitement narratif. On la retrouve
dans La boutique obscure, une sorte de présentoir
pour une centaine de rêves à l'état
brut, sans la moindre ébauche d'analyse ou de
commentaire. Elle est à son comble dans sa Tentative
d'inventaire des aliments liquides et solides que j'ai
ingurgités au cours de l'année mil neuf
cent soixante-quatorze. Aligner des mots mis bout à
bout et sans phrase, voilà ce que l'on peut appeler
enfiler des perles. Il s'agit littéralement de
composer une chaîne verbale sur un thème
donné, de construire un catalogue descriptif.
L'énumération sera interminable, sans
conclusion : les items se suivent et se ressemblent,
le dernier de la liste est encore en attente du suivant.
Le second procédé que Perec utilise dans
ses lettres consiste à rehausser cette enfilade
de mots ordinaires par un élément plus
noble. Il introduit dans le compte-rendu banal des activités
ou des pensées une expression régulatrice,
une formule empruntée à la liturgie du
bien-dire, une référence culturelle, une
citation. Perec a une dévotion particulière
pour ces perles rares qu'il appelle des " mots
sacramentels " (4 juillet 58). Comment échapper
à l'énumération de quelques exemples
? Ils sont particulièrement nombreux : de multiples
emprunts à Gide, à René Char, à
Shakespeare, à Hugo, à Mallarmé,
à Joyce, à une chanson des Frères
Jacques ; on trouve aussi telle phrase de la Condition
humaine, une parodie de La Fontaine " À
ces mots le Jojo ne se sent plus de joie " (juillet
58) ou bien une allusion à Lamartine " Ô
temps ! suspends ton chose " (4 juillet 58). Toute
cette perfusion de littérature, c'est ce que
Perec appelle aussi le bal des mots dits, lui-même
étant " le Mâle des beaux dits "
(26 septembre 58).
La ligne générale
Quelle est la fonction de ces formules
consacrées, de ces mots sacramentels ?
Ils sont là comme des moles de pensées
déjà pensées qui permettent l'arrimage
des énumérations. Le texte de Perec cherche
un soutien dans l'autorité d'autres auteurs et
une garantie par la caution des guillemets. Il en va
de même dans Je me souviens, lorsque Perec égrène
les réclames entendues à la radio, les
noms des musiciens de jazz ou ceux des coureurs du Tour
de France. Dans La vie mode d'emploi, il construit un
labyrinthe de citations vraies ou fausses : est-ce pour
faire jouer le lecteur, pour l'inciter à trottiner
et à s'égarer dans ce dédale de
sept cents pages ?
Je n'y crois guère ; accordons à Perec
que son souci d'écriture n'était pas issu
d'une vocation d'animateur culturel ! Il avait un respect
d'écrivain pour ces mots qui comme par magie
viennent ordonner les listes interminables et inachevées
; ils apportent la scansion qui est nécessaire
pour éviter la dérive du texte.
Un troisième procédé est à
l'uvre dans les lettres de Perec. Comme si une
main invisible avait interverti et quasiment mélangé
les perles, la ligne générale de la phrase
laisse apparaître des permutations de mots ou
de syllabes.
Nous voici dans le domaine de la contrepèterie.
Le procédé est familier aux étudiants
en Sorbonne, Perec a été l'un d'eux ;
mais il en use avec une complaisance quasi irrépressible.
Il aimerait, écrit-il, recevoir une " parthe
costale " (22 mars 58), il se rappelle avoir entendu
jouer les " sapins de chonatte " (4 juillet
58), il s'apprête à lire un roman de "
Beaumone de Sivoir " (12 mai 58), il espère
revoir bientôt la " Mare Gontparnasse "
(novembre 60).
On rit, bien sûr. Mais il n'est pas évident
que Perec cherche à faire rire Lederer. "
Personne ne rit de mes calembours idiots ", confie-t-il
à son correspondant (2 février 58).
Il a lui-même peu d'estime pour " ces avalanches
de mots d'esprit cons " (12 avril 58). Alors pourquoi
cette obstination à jouer avec les mots ? La
réponse de Perec est invariable. Le 22 janvier
58 : " Je dis n'importe quoi, je m'en fous. "
Le 5 octobre 59 : " Je ne sais pas très
bien pourquoi j'ai écrit cette phrase. Pas grave.
"
Dire n'importe quoi serait ici une dérision,
une contrefaçon dérisoire de la règle
d'association libre en psychanalyse. Perec et Lederer
sont des analysants assidus et convaincus; leur correspondance
est remplie d'allusions à leurs analystes, au
rythme régulier des séances et à
l'argent nécessaire pour payer. Mais le trait
perecquien essentiel est sa désinvolture par
rapport à sa parole, l'affirmation qu'il s'en
fout de ce qu'il dit. Qu'importe le sens de ce que je
dis puisque les mots, somme toute, ne sont que des perles
qu'on enfile. Tout est " astuciable et contrepétable
à merci " (5 octobre 58). Un mécano
verbal, un assemblage de syllabes interchangeables,
prêt à n'importe quel calembour.
Perec a écrit un jour pour la radio une petite
partition intitulée Souvenir d'un voyage à
Thouars. Vous savez peut-être que Thouars est
un gros bourg de 12 000 habitants dans les Deux-Sèvres,
à proximité de Bressuire. Mais la question
n'est pas là. Perec avait simplement le projet
de faire entendre que cette musique était aléatoire.
Vous souriez parce que vous recevez à l'instant
ce mot comme une bulle inattendue et drolatique. Ce
n'est pourtant qu'une devinette un peu laborieuse et
somme toute stérile.
Subversion de la subversion
Où va nous mener cette désarticulation
ludique du langage ? Si vous lisez l'album de la comtesse
ou un recueil de calembours circonstanciés, vous
n'ignorez pas que les mots d'esprit et même les
contrepèteries veulent dire quelque chose. Précisément
dire en cachette ce qu'il serait dangereux ou inconvenant
de dire ouvertement. Les règles de la conversation
recommandent de ne pas parler des choses qui fâchent,
ne pas parler de politique, ne pas parler de sexe. La
contrepèterie s'ingénie à en parler
quand même, mine de rien, comme par une subversion
à bas bruit.
Or Perec pratique la contrepèterie à l'envers.
Quand il veut souligner une affirmation par un point
final, il écrit : " Foin pinal ". On
croirait entendre un ado avide de proférer des
gros mots, y compris en simulant un lapsus de dyslexique.
Le génie de la contrepèterie est tout
autre : choisir une écriture blanche pour subrepticement
faire un éclat. Voiler pour dévoiler.
Ici au contraire, rien n'est voilé et il n'y
a rien à dévoiler. Le " foin pinal
" dit tout ce qu'il a à dire, d'ailleurs
il n'a rien d'autre à dire que " point final
".
Dans un glissement provocateur qui remplace une expression
anodine par une formule qui se veut salace, le locuteur
s'ingénie à faire entendre un terme cru,
il expose sans retenue un échantillon, extrait
d'une combinatoire de syllabes. C'est un jeu gratuit
et sans enjeux, quelque chose comme une fracassante
subversion de la subversion.
Dans Le Canard enchaîné, l'album de la
comtesse vient ponctuer l'actualité politique
ou sociale, il en donne un commentaire acide et discret.
Un lecteur comme Perec ne pouvait se reconnaître
dans cette pratique classique de la contrepèterie
soft. Un jour pourtant, en voici une qui lui convient
et qu'il envoie à Lederer : " Ma sur
soulève le cul ". Est-ce à dire que
ce jour-là, le Canard avait adopté le
style hard de Perec ? Il nous faut rétablir le
contexte et les circonstances, sans quoi les contrepèteries
de la comtesse sont sans objet. Nous sommes au printemps
58, un certain général Massu est en train
de " pacifier " Alger, et ce serait un gros
mot, à Paris, de dire qu'il soulève le
cur.
Dans cette époque troublée de la guerre
d'Algérie et des derniers soubresauts de la Quatrième
République, Perec faisait son service militaire
dans un régiment de parachutistes. Rassurez-vous,
bonnes gens, il n'a rien fait de mal. À Pau,
Perec fut un para pépère. Il évoque
simplement pour Lederer ses " compagnons fascistes
" (janvier 58) et les " laïus du capitaine
" (mars 58). Il a lu La question d'Henri Alleg.
Il s'inquiète surtout des manifestations à
Paris. Il redoute une explosion de guerre civile, mais
en ce qui concerne l'Alger et l'Algérie, le ton
reste assez indifférent. Ira-t-il ou non en Afrique
du Nord avec son régiment ? Il en débat
sans passion.
C'est ici que se manifeste à nouveau le jeu avec
les mots. Deux slogans emblématiques s'affrontaient
depuis plus d'un an dans les rassemblements, sur les
tracts et sur les murs. " Algérie française
", criaient les uns. " Paix en Algérie
", criaient les autres. Perec suggère à
Lederer de combiner les deux formules en une seule :
" Paix en Algérie française "
(21 avril 58).
Il est difficile de faire sentir aujourd'hui l'extrême
violence de la condensation ludique proposée
par Perec. En ce début de l'année 58,
ces mots avaient valeur de manifeste et de programme,
ils étaient devenus le symbole et le drapeau
de l'un et l'autre camp. Non pas des mots sacramentels,
mais des mots sacrés. Et Perec s'en fout, il
profane les drapeaux, il trafique les symboles pour
un effet de calembour. Par son halo d'indifférence,
l'effet d'un tel calembour est ravageant.
Paroles sauvages
Imaginons parmi nous un avocat qui voudrait
défendre Perec. Peu lui importait l'Algérie,
dirait-il, mais il ne se foutait pas d'Auschwitz, là-dessus
il ne dira pas n'importe quoi. Il se trouve que Lederer,
dans une lettre, raconte à Perec qu'il vient
de rencontrer Emeline, une jolie jeune femme, une survivante
d'Auschwitz. Et Perec de répondre : " J'aime
pas les ex-déportées. Primo, c'est youtre,
ensuite c'est tatouée. Si on y ajoute quelques
petites expériences, vivisectionnistes et stérilisatrices,
- beuah, beuah, je doute que tu apprécies. "
Il ajoute un peu plus loin : " Remarque que je
m'en fous, et que pour ma part, il me serait très
agréable d'apprendre que tu as baisé ton
numéro matricule (à propos, fais bien
attention à tes pyjamas, choisis-les unis, les
rayures sont très mal portées ces jours-ci).
"
Sur le même ton de persiflage, Perec suggère
aussi de demander à Emeline si elle a connu là-bas
Cyrla Szulewicz, femme Perec , ou si peut-être
elle aurait rencontré et "connu" le
père de Lederer à Auschwitz ? Entre parenthèses,
Perec se justifie par un " besoin pressant de plaisanteries
morbides " ; il tient ces plaisanteries pour légitimes
puisque tout cela ne le concerne pas, dit-il, "
ça ne concerne que nos parents, ça l'a
concernée, elle. "
Poussé dans ses retranchements par ses propres
objections, Perec finit par énoncer qu'"
il valait mieux en fait crever à Auschwitz qu'en
revenir. " Cette lettre étrange, à
la limite de l'odieux, est datée du 12 mai 1958.
Aujourd'hui le lecteur ne peut dissimuler sa surprise
et son malaise devant tant de cynisme, tant de haine
de soi. Le jongleur de mots n'est pas un brutal, simplement
il s'en fout, il écrit n'importe quoi. Et l'indifférence
à ce que parler veut dire porte la violence verbale
à son plus haut degré. Perec semble incapable
de tenir ensemble les trois éléments du
triangle de la parole : ce qui est dit, celui qui parle,
celui à qui il parle. Il ne se pose pas la question
: comment est-il possible que moi, j'écrive ces
mots-là à mon ami Jacques ? On enfile
des perles sans se demander qui les a faites, ni pour
qui elles sont faites. Le rédacteur de la lettre
a pris la responsabilité d'écrire à
Lederer ces paroles sauvages en pensant que ce n'est
pas grave et qu'on a bien le droit de plaisanter.
Celui qui se laisse prendre à ces petits jeux
en vient un jour à écrire ceci : "
Que celui qui n'a jamais été para me jette
la première pierre " (24 septembre 59).
L'obsession de la citation et de son détournement
ludique fait ici retour à l'envoyeur comme un
boomerang. Au départ le texte cité est
un appel à l'indulgence : que celui qui n'a jamais
fauté jette la première pierre ; mais
le sens bascule et se transforme en une demande à
être lapidé, du moins par ceux qui n'ont
jamais porté l'uniforme parachutiste. "
Que celui qui n'a jamais été para me jette
la première pierre. " N'importe quoi...
* * * * *
La lecture de cette correspondance révèle
ainsi un visage de Georges Perec peu conforme à
son image médiatique, mais cohérent avec
son uvre. Un arrangeur de calembours sans foi
ni loi. Un trafiquant de syllabes. Un bricoleur de contrepèteries.
Un collectionneur de mots. Perec fut un amoureux du
symbolique, comme l'était le Président
Schreber avant son délire. Il avait un certain
mode d'emploi de la parole et du langage, une pratique
de scribe qui enregistre sans fin et sans états
d'âme les détails des lieux et des choses,
qui ne craint pas les avalanches de mots et les permutations
à tout-va, mais qui répugne au phrasé
narratif, aux élans imaginaires et aux débordements
passionnels.
Il est arrivé à Freud de
considérer la névrose comme une forme
particulière de culture, en deçà
des manifestations pathologiques avérées.
Ce qu'il appelle alors la " monnaie névrotique
" , c'est une certaine manière d'être
parlant, de se laisser saisir par le jeu des affects
dans un registre équivalent à celui du
rêve, du lapsus ou du symptôme de conversion.
En lisant Schreber avec Lacan, nous avons découvert
qu'il existe dans les affaires humaines une autre monnaie,
celle qui est en usage par exemple dans le descriptif
d'un moteur de machine à laver, dans un récapitulatif
de jurisprudence, dans une circulaire administrative,
dans une recette de cuisine, dans une notice de muséographe,
etc. Perec nous enseigne avec Schreber que la monnaie
névrotique n'est pas la monnaie unique.
GEORGES
PEREC ET L'AUTOBIOGRAPHIE
DOCTEUR RENE
PANDELON
INTRODUCTION
Toute uvre est autobiographique:
"Madame BOVARY, c'est moi" FLAUBERT.
Et ce de l'utilisation (volontaire ou inconsciente)
de sa propre histoire pour alimenter l'uvre romanesque
à l'écriture de:
o mémoires,
o journaux intimes,
o autobiographies,
o confessions...
D'autres parfois, le dénient ou s'en défendent
avec un acharnement révélateur.
La particularité chez Georges PEREC est que l'autobiographie
y est revendiquée, non seulement comme une des
quatre racines ou quatre horizons de son uvre,
à savoir:
· le monde qui l'entoure - horizon
sociologique (les Choses, Espèces d'Espaces)
· la fiction - horizon romanesque (la vie mode
d'Emploi)
· le langage - horizon ludique (la disparition,
les revenentes, les poèmes)
· sa propre histoire - horizon autobiographique
(la Boutique obscure, Je me souviens, W...)
Mais comme le point de départ de
son uvre:
" Le projet d'écrire mon histoire s'est
formé presque en même temps que mon projet
d'écrire " W
" La recherche d'un au-delà de l'écriture,
un pourquoi j'écris auquel je ne peux répondre
qu'en écrivant " Penser/Classer. "
Quatre champs différents, quatre modes d'interrogation
dit-il, qui posent peut-être en fin de compte
la même question, celle de son origine, de son
histoire, articulée à l'Histoire (avec
un/une Grande Hache).
Histoire non pas secrète, non dite, ou refoulée
mais bien forclose, indicible:
" Le trou noir de notre Histoire (des Juifs)...
une des figures de l'Indicible ".
" Il y eut une disparition, la vie continua..,
il n'y eut pas de revenante ".
Je vous propose donc de relever dans l'uvre de
Georges Perec, quelques particularités de ce
projet autobiographique, puis à partir de son
écrit majeur:
" W ou le souvenir d'Enfance "
d'évoquer la fonction de suppléance de
son uvre écrite.
De quelques particularités - Pistes
a) L'Articulation des Ecrits et des "
Horizons"
b) L'Accumulation et l'Epuisement
c) Les souvenirs
d) Les lieux
e) La lettre
f) La contrainte
a) L'Articulation
Quelque soit le mode d'interrogation auquel
ils appartiennent, les textes s'appellent l'un l'autre,
se croisent, se font écho tissant une trame visant
à cerner, au moins en creux ce qui ne peut s'écrire
(noms de personnages identiques, situations et phrases
similaires...).
Chaque écrit est lui-même souvent (toujours)
le carrefour des quatre champs explorés: sociologique,
romanesque, autobiographique et ludique.
Cf. : Quel petit vélo à
guidon chromé au fond de la cour
La vie mode d'emploi
W...
Ce qui soutient l'impression que rien
n'est vraiment dit dans un texte, mais que l'ensemble
de l'æuvre pourra enfin dévoiler quelque
chose.
" Il y a dans ce livre deux textes simplement alternés,
il pourrait presque sembler qu'ils n'ont rien en commun,
mais ils sont pourtant inextricablement enchevêtrés,
comme si aucun des deux ne pouvait exister seul, comme
si de leur rencontre seule, de cette lumière
lointaine qu'ils jettent l'un sur l'autre, pouvait se
révéler ce qui n'est jamais tout à
fait dit dans l'un, jamais tout à fait dit dans
l'autre, mais seulement dans leur fragile intersection
" W.
b) L'Accumulation et l'Epuisement
" Mon ambition d'écrivain
serait de parcourir toute la littérature... d'écrire
tout ce qui est possible à un homme d'aujourd'hui
d'écrire " Penser/Classer.
D'où la réalisation d'une uvre "plurielle"
: romans, essais, poèmes, pièces de théâtre,
écrits autobiographiques, nouvelles, scénarios,
mots croisés, exercices de style...
D'où un véritable travail de "scriptor"
ou de "scribe", ne décidant jamais,
mais développant toujours le " et "
et le " ou ", constant dans ses uvres:
o description de tous les objets présents dans
une pièce, ou visibles à partir d'une
point d'observation (tentative d'épuisement d'un
lieu parisien)
o description de toutes les vies d'un immeuble (la vie
mode d'emploi)
o description de tous les lieux (" Espèces
d'Espace ")
o épuisement de toutes les possibilités
de la langue : des diverses formes de figure rhétorique
(Quel petit vélo à guidon chromé...),
lipogramme, exercices divers, etc...
o accumulation de détails, de descriptions.
Bref, essai de tout écrire, afin
qu'apparaisse en creux ce qui échappe.
c) Les souvenirs
Ecrire son autobiographie, c'est rassembler
ses souvenirs, les ordonner, les habiter, voire les
reconstruire afin qu'ils dessinent le sens d'une histoire,
d'une vie.
Qu'en est-il chez Georges Pérec ?
D'abord l'affirmation (cf. " W ou le Souvenir d'Enfance
")
" Je n'ai pas de souvenirs d'enfance "
puis:
" Désormais les souvenirs existent, fugaces
ou tenaces, futiles ou pesants, mais rien ne les rassemble...
Ils sont comme (cette) écriture non liée,
faite de lettres isolées incapables de se souder
entre elles pour former un mot" .
Et effectivement tous les souvenirs que Georges Pérec
va traquer, retrouver, reconstruire, vont apparaître:
o soit comme des événements hypothétiques,
des impressions fugaces, des photos jaunies, laborieusement
commentées, des instantanés ou des traces
fossiles mais que rien ne relie entre eux et dont il
reste désespérément étranger,
extérieur, spectateur ou découvreur de
lambeaux de vie que rien n'ancre dans son histoire.
o soit (cf. " Je me souviens ") comme une
énumération de souvenirs (480) qui "
ne sont pas exactement des souvenirs, et surtout pas
des souvenirs personnels " mais
" des petits morceaux de quotidien, commun à
tous, banalités arrachées à leur
insignifiance", restaurant une image jubilatoire
de la mémoire.
Mémoire qui a le pouvoir d'arracher
des événements à la disparition,
et celui de leur permettre d'être " revenant
", mais qui pointe en même temps l'impossible
retour de l'élément forclos ; blanc de
l'histoire, ne pouvant s'approcher que comme "
souvenir écran " mais vide de texte et d'image.
d) Les lieux
De l'impossibilité d'écrire
son histoire, de parcourir une chronologie, de marquer
les temps de son enfance va découler un attachement
aux lieux.
Décrire les lieux, tous les lieux, les cerner,
c'est retrouver :
" le lieu même de l'exil, c'est-à-dire
le lieu de l'absence de lieu, le non lieu, le nulle
part, comme si la recherche de mon identité passe
par l'appropriation de ce lieu dépotoir "
Récits d'Ellis Island.
C'est, à défaut d'une filiation (identification
symbolique), s'assigner une place, (filiation imaginaire)
qui serait sienne (un endroit ou serait ses racines):
o exploration de tous les lieux, de la page blanche
au cosmos " Espèces d'Espace ",
o lieux concrets, anonymes, mystérieux des 180
rêves de " la Boutique obscure ",
o espoir de faire l'inventaire aussi exhaustif et précis
que possible de tous " les lieux où j'ai
dormi ",
o lieux parisiens et itinéraires (Pérec/rinations)
Ecrire, décrire, parcourir tous
ces lieux et ces chemins afin que
- " quelque chose qui s'est ouvert,
s'ouvre "
- " quelque chose advienne, parle ".
C'est ce qu'il note dans " les lieux
d'une ruse " (in Penser/Classer) à propos
de sa psychanalyse.
" De ce lieu souterrain, je n'ai rien à
dire. Je sais qu'il eut lieu et que, désormais
la trace en est inscrite en moi et dans les textes que
j'écris. Il dura le temps que mon histoire se
rassemble : elle me fut donnée un jour, avec
surprise, avec émerveillement, avec violence,
comme un souvenir restitué dans son espace, comme
un geste, une chaleur retrouvée. Ce jour là
l'analyste entendit ce que j'avais à lui dire,
ce que pendant quatre ans il avait écouté
sans l'entendre, pour cette simple raison que je ne
lui disais pas, que je me la disais pas ".
Mais nous n'en saurons pas plus. L'événement
eut lieu mais nous en ignorerons la teneur.
e) La lettre
Travail spécifique sur la lettre
comme structure de base de la langue, scription primitive,
trace, matérialité du signifiant qu'il
est nécessaire d'exploiter, de contraindre afin
de réussir à l'inscrire dans une chaîne
signifiante.
Lettre réduite parfois à sa dimension
de signe, de graphe que l'on peut faire jouer, manipuler
(W à ££), jusqu'à ce qu'elle
devienne cicatrice, marque...
Lettre que l'on peut faire disparaître,
revenir et dont les vicissitudes vont constituer la
trame du roman, non seulement sa forme singulière
mais son prétexte, sa logique, ses rebondissements
(disparition du E, du 5ème chapitre, meurtres,
etc... dans " la disparition ").
Lettre permettant de se repérer dans les lieux,
dans les souvenirs, à condition " de la
faire parler "
Cf : " la disparition "
" les revenentes "
" What a man "
etc...
Confert aussi la lettre " gimmel" d'un souvenir
d'enfance maintes fois repris et modifié.
f) La contrainte
Tous les écrits de Georges Pérec
s'appuient sur une ou des contraintes d'écriture,
toujours de plus en plus astreignantes, parfois évidentes
:
o lettres interdites ou seule autorisée
o figures de rhétoriques imposées
o cahier des charges (" la vie mode d'emploi ")
Parfois non indiquées (avouées)
et pouvant passer inaperçues :
emploi d'un temps particulier, épuisement des
formes grammaticales ou rhétoriques, etc...
Ces contraintes constituent à la
fois la condition de l'écriture, mais en même
temps sa trame et son sujet.
Elle semble aussi (surtout) pointer l'origine
: l'uvre naît de la contrainte, s'y nourrit
dans sa forme et sa texture.
La contrainte permet de faire bordure,
cadre à un manque radical.
Elle est à saisir comme "
invention " d'un point de départ susceptible
de palier à l'impossible des origines.
CORRESPONDANCES
ET CREATION
MONIQUE KLEPAL
La correspondance entre Freud et Ferenczi
a duré vingt-cinq ans.
Outre l'amitié et l'estime réciproque
entre ces deux hommes, dans une époque profondément
troublée, je formule l'hypothèse que ce
qui a permis la permanence de leur lien épistolaire
tient à l'objet de leur création respective
et commune : " La Cause ".
J'ai choisi de présenter cet aspect
particulier de la Correspondance et de le relier à
un travail proposé à six créateurs
aux origines et aux pratiques artistiques différentes.
Ne se connaissant pratiquement pas, ils ont comme seul
lien d'avoir réalisé chacun un des six
premiers numéros d'un journal cherchant à
frayer son chemin dans la crise de l'art d'aujourd'hui.
Le travail qui leur est soumis est de traiter ensemble
du thème " Correspondances ".
Ici comme là, la Correspondance
n'est peut-être qu'un point de départ pour
aborder la démarche, les contraintes et les exigences
du créateur.
La création au fil d'une correspondance
Entre Freud et Ferenczi, les relations
connaissent des moments et des centres d'intérêt
qui évoluent de la relation affective à
un centrage sur l'uvre.
Les réflexions sur le travail de création
proprement dit portent sur les différences d'approches,
les conditions de la production, ainsi que ce que requiert
le processus de création.
L'indépendance d'esprit et la liberté
de penser, la notion de don, la conscience d'être
soi-même au regard d'une mission, le tout dans
un contexte de crises, nourrissent la lutte nécessaire.
Comme lors d'une première séance,
ou dans les premiers mots de la séance, tout
semble dit de l'enjeu de Ferenczi dans sa rencontre
avec Freud dans cette première lettre de leur
correspondance, du 18 janvier 1908 : " Je suis
très désireux de vous approcher personnellement,
Monsieur le Professeur, vous dont l'enseignement occupe
sans cesse mon esprit depuis près d'un an, mais
aussi parce que celle rencontre promet pour moi d'être
utile et instructive à plus d'un titre. "
La réponse de Freud coïncide avec une attitude
fréquente au long de cette correspondance, il
reçoit : " Je serai donc très heureux
de vous recevoir le dimanche 2 février. "
Ce grand désir d'approcher Freud
personnellement va engendrer deux ans plus tard, en
octobre 1910, à la suite d'un voyage commun en
Sicile, la proposition de Ferenczi de " franchise
analytique ". Freud se référant au
" cas Fliess " répondra par la négative
:
" Je n'ai plus aucun besoin de cette totale ouverture
de la personnalité. "
A ce refus viendra s'ajouter quatre ans
plus tard un autre, concernant leur rencontre annuelle
que Freud " sacrifie " au travail, mettant
en cause la démarche de Ferenczi : " il
ne m'est pas facile de travailler justement avec vous.
Vous attaque les choses différemment, et c'est
pourquoi vous êtes souvent éprouvant pour
moi. "
Cette remarque permet à Ferenczi
de s'expliquer tout d'abord sur l'objet essentiel pour
lui de sa relation à Freud, qui demeure seconde
par rapport au transfert sur l'analyse : " Je suis
sûr d'une chose : jamais mon jugement ne sera
influencé par le complexe paternel inconscient
au point de m'éloigner de la terre ferme de la
psychanalyse. "
L'affirmation sera reprise en 1918 par Ferenczi : "
Le sol sur lequel nous nous retrouverons certainement
toujours, c'est bien celui de la Science. "
Il va ensuite asseoir sa différence concernant
sa méthode de travail et de recherche : "
je ne peux interdire à mon imagination d'aller
son propre chemin (des chemins détournés,
peut-être ?). Le résultat est : une foule
d'idées qui ne sont jamais mises en actes. Si
j'avais le courage de rédiger simplement mes
idées et expériences - sans me préoccuper
de vos méthodes et de la direction de votre travail
- je serais un écrivain fécond et, finalement,
d'innombrables points de rencontre apparaîtraient
quand même entre mes résultats et les vôtres.
Jusqu'à présent, du moins, ce fut toujours
le cas : j'ai retrouvé dans vos travaux nombre
de mes propres idées (il est vrai, ordonnées
beaucoup plus judicieusement "
Concernant le processus de création
proprement dit, les années 1915-1916 sont marquées
pour chacun par de nombreuses réflexions :
Ferenczi parle de " la partie torturante du travail,
l'élaboration proprement dite ", "
des intérêts scientifiques
, pas vraiment
sublimés..., mais encore intimement liés
à l'objet d'amour, " ainsi que du "
processus de fermentation ".
Freud décrit le " mécanisme de la
production (comme) la succession du jeu audacieux de
l'imagination et d'une critique sans concession "
. Il parle également de la " distance "
nécessaire. Concernant la théorie, il
écrit : " Je tiens à ce qu'on ne
fabrique pas des théories, elles doivent vous
tomber dessus dans la maison comme des invités
inattendus, alors qu'on est occupé à des
recherches de détail. "
Enfin, Ferenczi souligne l'importance du " respect
pour l'indépendance du développement des
idées de chacun. "
En 1919, Freud insiste à plusieurs
reprises sur la liberté et le don face aux pressions,
autorités et courants dissidents qui apparaissent
: " Nous ne sommes pas faits pour aucune espèce
d'existence officielle, nous avons besoin de notre indépendance
tous azimuts
. Nous sommes et restons libres de
toutes tendances, sauf une : faire de la recherche et
aider "..
Il ajoute un peu plus tard : " Tout projet qui
vise à collaborer avec une quelconque autorité
est à rejeter "
La même année, Ferenczi, qui fait état
des effets de la révolution en Hongrie et de
ses incidences concrètes sur la vie quotidienne,
se voit répondre par une citation en français
d'Hernani : " Nous sommes tout de même des
grands d'Espagne, autorisés à s'exclamer
fièrement avant l'exécution:
" Nos têtes ont le droit
De tomber couvertes devant toi. "
Indépendance d'esprit,
notion de don,
conscience de soi,
différences d'approches,
conditions de production,
processus de création.
Ces données se retrouvent-elles
dans la situation vécue avec les six artistes
?
La correspondance support d'une création
Créée en 1993, LA FABRIQUE
est un " journal périodique à parution
aléatoire " qui participe au mouvement général
des publications fertilisant le terreau de l'édition
singulière.
A partir d'un thème proposé par l'éditeur
un artiste ou un écrivain est chargé de
concevoir un numéro. Choisi en fonction de son
intérêt supposé pour le thème
envisagé et de sa capacité soupçonnée
à agréger des compétences, il devient
rédacteur en chef occasionnel.
Il s'appuie sur le thème qu'il aborde à
sa guise, ce qui n'exclut nullement la rigueur dans
le choix de ses collaborateurs. Trois numéros
au moins sont publiés chaque année, le
numéro 14 vient de paraître.
Chaque livraison comporte un éditorial signé
Fabricius (Jean KIépal).
Après la sortie des six premiers numéros,
l'idée fut lancée de réaliser un
numéro double réunissant les premiers
rédacteurs en chef sur le thème "
correspondances "
I - LETTRE DE L'EDITEUR AUX SIX PREMIERS REDACTEURS
EN CHEF (25 09 95) :
" Les uns et les autres vous avez
réalisé l'un des six premiers numéros
de La Fabrique. Cela sur deux ans
un numéro
double (spécial) de La Fabrique pourrait être
consacré à la notion de Correspondances.
Il contiendrait
des textes et ou des dessins résultant
d'échanges entre vous autour de vos représentations
du journal, des propositions de L'Art et la Manière...
ou de vos vagabondages intellectualo-artistiques
Vous seriez collectivement rédacteurs en chef
de ce numéro, dont j'assurerais la coordination.
"
Après réception de l'accord de chacun,
une période de silence, relances de l'éditeur
et quelques informations partielles en provenance de
deux artistes ayant réellement établi
une correspondance entre eux, nous tenant au courant
de leur projet et de la circulation avec chacun des
autres. Cela jusqu'à une réunion du Comité
de rédaction.
2 - REUNION DU COMITE DE REDACTION (23 06 96)
Dans la maison de l'éditeur, lieu
éloigné pour tous, mais connu de chacun
-
Raoul Hébréard affirme que
" se retrouver tous les six dans le journal, c'est
déjà un acte de correspondance ".
Il ajoute " Je revendique un prolongement de ma
première Fabrique " (ce numéro avait
pour thème Espaces). Il suggère que dans
ce numéro spécial de 16 pages la première
page soit réservée à l'éditorial
et non pas à l'un des artistes.
" Pour ce numéro spécial de La Fabrique,
j'ai eu envie d'inviter deux photographes
et de
faire paraître des extraits d'un texte sur la
réalisation d'une exposition au Fort Napoléon
que je viens de terminer avec Denis Falgoux. Ces deux
photographes qui ont vécu l'histoire du Fort
à titres divers et d'une façon personnelle
me sont proches. "
Il consacre son texte au décès très
récent du responsable du Fort Napoléon,
à La-Seyne-sur-Mer. Celui-ci venait d'organiser
une exposition consacrée au travail de Raoul
Hébréard.
Mark Alsterlind dispose au sol toutes
les enveloppes et les photos reçues à
la suite de sa demande aux cinq autres rédacteurs
en chef ainsi qu'à de nombreux autres destinataires.
Son projet consistait à obtenir de chacun "
une photo bonne et dont la ressemblance soit en accord
avec your wonderfully beautifull self ". A chaque
photo devait correspondre sur l'enveloppe un auto portrait
dessiné, le timbre étant collé
en relation avec le dessin.
Pour conserver la beauté plastique et le côté
ludique de l'ensemble, Mark Alsterlind demande une reproduction
couleur à l'échelle 1/1. Cela conduirait
à l'équivalent de huit pages dans un format
modifié du journal. Pour des raisons techniques
et financières, quatre pages recto verso noir
et blanc, comme à l'accoutumée, lui seront
accordées.
L'éditorial souligne que Mark Alsterlind "
a composé une mosaïque impressionniste des
réponses obtenues ". Le numéro dont
il avait été précédemment
en charge avait pour thème " Impressions
"
Alain Masson, géographiquement
le plus éloigné puisqu'il réside
à Copenhague, avait proposé aux cinq autres
artistes ce qu'il a nommé " un jeu m'éparpille
". " Vous recevrez chacun un des six morceaux
d'un dessin déchiré, j'en ai gardé
un fragment. De ce morceau reçu, qui suscitera
peut-être une extension de votre part en le reconstituant
à votre goût ... nouveau dessin, collage,
etc ... vous même le déchirerez en six
morceaux et vous les enverrez à chacun d'entre
nous
Si cet éparpillement se complète
nous devrions nous retrouver chacun avec six morceaux
de provenances différentes. "
Ce jeu semble avoir fonctionné entre les artistes.
Lors de la réunion Alain Masson déclare
: " J'ai oblitéré tout ce que j'ai
reçu de chacun ". En fait, il a collé
et cousu ensemble tous les documents reçus en
provenance de chaque artiste jusqu'à en faire
un patchwork recouvert de peinture blanche. Ce patchwork
sera ensuite découpé en 500 petits morceaux
insérés dans chaque exemplaire du journal.
Sa décision était plus ou moins annoncée
dans le dernier paragraphe de sa lettre initiale : "
A nous d'en faire ce qu'il nous plaît, collage,
composition, etc ... ou alors destruction, ne restera
que la mémoire, le lieu etc ..., le geste. "
Ancien danseur, ce geste sera illustré par une
photo le représentant en train d'effectuer un
lancer.
Avant même la réunion du comité
de rédaction il avait précisé dans
un courrier adressé à l'éditeur
que l'idée du " jeu m'éparpille "
était en relation avec le thème dont il
avait eu la charge pour son numéro du journal
: Collectionner.
Serge Plagnol dira au cours d'une discussion
parfois délicate entre des artistes d'origine
et de sensibilités différentes : "
on peut aboutir sur la peinture blanche d'Alain Masson
".
Chacun est de toute évidence préoccupé
de sa propre sauvegarde.
Serge Plagnol a été le premier rédacteur
en chef du journal. Il se propose in fine de présenter
un travail " sur les origines ", " le
bistrot de la plage du Mourillon " où fut
décidée la création de La Fabrique.
Il enverra quelques semaines plus tard un travail intitulé
" Extérieur Nuit/Lumières "
avec trois dessins - dont un de lui -, des textes d'auteurs
différents et un texte personnel présentant
les éléments de sa contribution :
" Une séquence du film d'Antonioni
"Par delà les nuages ", une phrase
du Journal de Delacroix, une indication de Wim Wenders
pour "Les ailes du désir". Ombres et
lumières, intérieur et extérieur,
espaces et portraits de femmes. La vision d'un cinéaste
qui filme en peintre, l'écrit d'un peintre qui
observe avec une précision cinématographique,
les mots d'un écrivain qui pourraient être
des dessins. Regards croisé sur la réalité.
Une séquence, une page de carnet, un plan américain.
Rencontres. Correspondances "
Fidèle au numéro inaugural dont il avait
eu la charge, dans lequel textes et dessins sont en
relation, il élargit le champ des arts plastiques
à une autre forme, le cinéma.
3 - ABSENTS A LA REUNION
Hassan Musa, né au Soudan, naturalisé
français, est absent en raison d'un engagement
antérieur. Il envoie une contribution fondée
sur le " Mail Art ", 5 enveloppes ornées
de dessins et de textes tels que :
" Je t'écris d'Alger ou les femmes sont
enfermées dans leurs appartements " avec
une reproduction des femmes au bain turc par Delacroix.
Il a ajouté des grilles ainsi qu'un timbre oblitéré
en Algérie. Cette enveloppe est adressée
à sa femme, à Alès.
" Je vous écris du Soudan où il pleut,
il pleut tout le temps ! Mais les bergers ne peuvent
pas rentrer leurs moutons, il n'y en a plus. "
Plusieurs timbres soudanais figurant des animaux (moutons,
bovins...) sont arrosés d'une pluie de codes
barre, à la gauche de l'enveloppe le portrait
d'un enfant famélique.
Malgré son désir annoncé de faire
écho au " jeu m'éparpille "
par un travail intitulé " tout voir "
fondé sur l'idée de l'impossibilité
de tout voir, Hassan Musa transmet ultérieurement
un texte personnel " Dix trucs pour ne pas devenir
artiste africain. "
L'éditorial insiste sur le fait qu'il "
poursuit sa réflexion sur l'écriture et
le statut de l'artiste quelle que soit son origine en
bousculant, ainsi qu'il en est coutumier, les allant
de soi communément établis. "
Martine Lafon s'est mise " en correspondance
" avec Alain Masson. En résidence d'artiste
en Allemagne, elle a envoyé les dessins et photos
issus de leur correspondance avec des indications de
mise en page.
" Beaucoup d'Allemands de l'Est ont pris le risque
de franchir le no man's land, certains en l986, quand
la Baltique a complètement gelé entre
leur pays et le Danemark, ont joué le sens de
leur vie dans le plus grand secret en traversant en
voiture les quarante kilomètres de mer que la
Stasi n'était pas préparée à
surveiller.
C'est pour ce merveilleux absurde et douloureux, cette
séparation et ce rapprochement insensé
que j'ai voulu travailler avec Alain Masson.
Nous n'appartenons pas tout à fait au même
monde de l'Art, lui et moi. C'était donc clair,
j'avais envie de provoquer une relation qui, sans cette
opportunité de " Correspondances "
entre rédacteurs en chef choisis par La Fabrique,
serait restée au stade de la courtoisie de peu
d'intérêt.
Et puis il y avait la Baltique qui nous séparait
encore et nous rapprochait en même temps et au-dessus
de laquelle des messages ordinaires allaient passer,
de chaque côté de laquelle des messages
extraordinaires allaient s'effacer : interventions à
petite échelle dans le froid. Des messages reçus,
des messages perdus
"
Seule femme de ce groupe de six artistes, les deux pages
de La Fabrique qui lui ont été attribuées
sont pleines de dessins, photos et annotations où
sont présents les envois d'Alain Masson. Mêlés
à cet ensemble, des travaux personnels où
" elle a creusé une démarche qui
l'anime alliant le dessin et l'évocation des
légendes et de la culture dont chaque milieu
naturel est porteur ... " (éditorial)
Parallèlement, chaque artiste a réalisé
une " Reliure " pour enserrer les premiers
numéros du journal. Chacun, fidèle à
soi-même, a élaboré des objets correspondant
parfaitement aux lignes de force de son esthétique
personnelle.
L'édition de ce numéro de La Fabrique
a été rendue possible grâce à
la présence et à l'insistance de l'éditeur,
instigateur du projet et tiers reconnu veillant au respect
de règles générales présidant
à la réalisation du journal.
Chaque artiste a, comme au jeu de L'Ego, produit ses
éléments pour contribuer à un ensemble
cohérent. A la suite d'allers et retours entre
eux et avec d'autres ils ont traité et matérialisé
le thème.
Au sens même où Simone Molina a parlé
du don, les artistes s'adonnent ici au jeu, à
l'enjeu partagé, sans s'y abandonner, au profit
de leur singularité de créateurs.
C'est peut-être ici que l'on rejoint pleinement
ce qui a fait perdurer la Correspondance de Freud et
Ferenczi dans leurs cheminements propres centrés,
au-delà de l'affectif, du quotidien et de la
réalité politique de l'époque,
autour de recherches, de la vie et de l'avenir de la
Psychanalyse.
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"Psychanalyse et écriture"
Acte 2
"De la correspondance à l'oeuvre"
1998
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