Simone
MOLINA
Psychanalyste - Présidente du Point de Capiton
Ouverture du colloque
"LA LOI, LES MOTS, LE SILENCE"
Je veux tout d'abord vous remercier d'être
venus aujourd'hui pour participer à ces journées.
Elles ont été, et c'est un reproche
que certains ont cru devoir nous faire, organisées
dans l'urgence... l'urgence n'est pas la précipitation
mais c'est le mouvement qui résiste à
la fermeture et à la banalisation auxquelles
nous assistons depuis des semaines, e n ce qui concerne
les effets de la profanation du cimetière
juif de Carpentras en mai dernier, et cet acte lui-même,
dont M. FENNETAUX dira que c'est "Auschwitz,
au nombre près".
La difficulté à laquelle nous avons
été confrontés, tant de la
part de certains élus locaux que de certaines
rédactions, a signé pour nous la nécessité
de maintenir cette rencontre en juillet, et, pour
ce faire, de louer cet amphithéâtre
de Carpentras-Serres, après ce que la Mairie
de Carpentras a nommé un "malentendu"
(ce qui pourrait entrer dans le cadre de notre réflexion
sous le vocable de mal-entendu) et que nous avons
dénoncé comme des atermoiements.
Mais le soutien d'un grand nombre de personnes
nous a permis de mener cette initiative jusqu'à
ce jour.
"S'il est vrai que nous avons une responsabilité,
chacune et chacun, dans la transmission de la mémoire
des camps de la mort, où des millions d'hommes,
femmes et enfants, qui n'avaient pour toute faute
que d'être juifs, tziganes ou malades mentaux,
considérés pour cela comme des sous-hommes
par les nazis et le régime de Vichy, si donc
nous avons une responsabilité face à
l'héritage de l'oubli, comme l'intitule Francine
BEDDOCK dans son excellent livre, quelle forme peut
prendre, pour chacune et chacun, la résistance
à l'oubli ?"
Sans doute, que pour nous, l'une des formes qu'elle
a prise est la préparation de ces journées.
En effet, l'acte de profanation au cimetière
juif de Carpentras a rappelé chacune, chacun
à l'ordre de la mémoire.
Après des jours d'effarement douloureux,
moments de perte, perte d'identité, perte
aussi sans doute de l'oubli, de l'illusoire oubli,
m'est apparue l'impérieuse nécessité
de ne pas laisser le refoulement, l'oubli, recouvrir
cette trace.
"Quand, sur la scène privée,
l'oubli est une nécessité, sur la
scène sociale, l'oubli est une trahison."
écrivait F. BEDDOCK en 1987, après
avoir vu le film "SHOAH" de Claude LANZMANN.
Ainsi, est-ce peut-être du lieu d'une possible
trahison qu'est née l'idée de cette
rencontre.
Cette possible trahison est inscrite en chacun de
nous, dans cet écart irréductible,
imprescriptible, entre la scène privée
et la scène sociale, dont sont porteurs,
à leurs corps défendants, les témoins
de l'extermination, ceux filmés par C. LANZMANN
dans Shoah, et d'autres qui, après Carpentras,
ont voulu témoigner ayant pourtant toujours
refusé de parler.
Quel que soit le roman familial d'un sujet, l'Histoire
l'a rencontré un jour, et donc sa propre
histoire familiale a croisé l'Histoire ;
l'Histoire, c'est la mémoire des peuples,
mais c'est aussi parfois le refus de la mémoire.
Michel FENNETAUX écrit, parlant de la génération
née après la Seconde Guerre mondiale:
"La génération suivante a eu
à se débrouiller avec cette faillite,
cette inconsistance symbolique, et avec le réel
qui l'accompagne, à savoir :ce trou, car,
pour le dire crûment "il manque du monde",
ce trou qui est le cerne de millions d'hommes, de
femmes et d'enfants sacrifiés aux Dieux Obscurs.
Se représente-t-on bien ce que cela fut
? et que les mots en perdirent de leur crédibilité
?"
Une parole pourrait-elle faire acte d'un après-Carpentras
? telle est la question qui, après coup,
m'apparaît posée dans l'initiative
de ce Colloque.
C'est donc de la valeur des mots qu'il sera aussi
question lors de ces journées, et du silence
aussi.
Rappelons-nous en effet que nous vivons une époque
où il est possible de diffuser des contre-vérités
sans se trouver plus inquiété.
L'après-Carpentras, pourrait-il être
le moment de cette prise de conscience, sorte de
ligne de partage à partir de laquelle se
trouve interrogée la responsabilité
de chacun face aux débordements verbaux,
figure de l'obscénité, qu'on a nommé
"dérapages", calembours qui renvoient
à la fascination de l'horreur, et mensonges
au regard de l'histoire.
Car là encore, si, pour la psychanalyse,
c'est du mensonge que peut surgir une vérité,
dont les analystes savent qu'elle n'est pas toute,
peut-il en être de même sur la scène
sociale?
Pour la psychanalyse, le concept de "Loi",
ne recouvre pas absolument la notion juridique de
"Loi''
"L'homme parle donc, mais c'est parce que le
symbole l'a fait homme" écrit LACAN
en 1953, dans "fonction et champ de la parole
et du langage", et plus loin: "La fonction
symbolique se présente comme un double mouvement
du sujet: l'homme fait un objet de son action, mais
pour rendre à celle-ci, en temps voulu, sa
place fondatrice ; " dans cette équivoque
est donc tout le progrès d'une fonction où
alternent action et connaissance (p. 284).
Plus loin encore: "C'est dans le nom du père
qu'il nous faut reconnaître le support de
la fonction symbolique qui, depuis l'orée
des temps historiques, identifie sa personne à
la figure de la loi".
Qu'il y ait un avant-Carpentras et un après-
Carpentras, c'est le souhait que formulait le grand
Rabbin SITRUK, lors de la cérémonie
religieuse du dimanche 13 mai, en évoquant
la figure du Père dans la Thora. Si l'on
peut fortement regretter ses récentes déclarations,
il a su pourtant ce jour là dire en quoi
l'ultime transgression de ce mois de mai 1990 était
intolérable.
Carpentras était un symbole, est devenu
un symbole ? Est-ce pour autant un symptôme
de l'antisémitisme en France ? c'est la question
que posait A. FINKELKRAUT, dans un article récent
de POLITIS.
Mais Carpentras et sa région, c'est aussi
ce lieu où ceux et celles qui ont organisé
ce Colloque vivent et travaillent ; et peut-être
est-il nécessaire que je précise,
puisque la confusion a souvent été
faite, que l'Espace de Recherches qui vous accueille
aujourd'hui a été créé
voici un an. Des textes disponibles, des travaux
du Point de Capiton témoignent de la préoccupation
qui est la nôtre que les Psychanalystes ont
à se laisser interpeller par leur temps,
comme FREUD et LACAN l'ont été, si
on veut bien les lire.
Etre interpellé par son époque, cela
signifie aussi être ouvert à la réflexion
qui vient de lieux et de disciplines diverses.
La pluralité des disciplines représentées
dans les différentes tables rondes a été
donc notre souci.
Avant de passer la parole à Jacques HASSOUN
qui animera la première table ronde "Répétitions
et Rupture de la Civilisation", je veux tout
d'abord personnellement remercier Mireille LAURENT,
en compagnie de laquelle s'est effectué ce
travail de réflexion et d'organisation nécessaire
à ces journées, ainsi que Didier LALAUZE,
et Jean-François LAURENT.
Je veux dire ma reconnaissance à Jacques
HASSOUN, dont l'écoute et la disponibilité
nous a été d'un grand soutien, ainsi
qu'à Antoine SPIRE pour son adhésion
immédiate à cette initiative, son
soutien et sa grande franchise.
Dire aussi mon amitié à Main GROSAJT,
dont je regrette que nous n'ayons pu présenter
quelques toiles, peintes dans le silence douloureux
d'après Carpentras, ainsi qu'à Mohamed
Habib SAMRAKANDI, rédacteur de la revue "Horizons-Maghrébins",
de la Faculté de Toulouse, qui nous a gracieusement
prêté la magnifique exposition de Calligraphies
Arabes sur les Droits de l'Homme, et qui, pour des
raisons familiales ne pourra pas être là
aujourd'hui.
Et puis, il y a ceux et celles qui nous ont dit
combien ils regrettaient de ne pouvoir être
disponibles pour ce Colloque:
Françoise WILDER, Psychanalyste à
Montpellier, dont la clarté de la pensée
et des propos a fait avancer ma propre réflexion,
ainsi que Anne-Lise STERN, que Mireille LAURENT
souhaite remercier tout particulièrement.
Elle en dira quelques mots lors de son intervention.
Et puis Nicole LAPIERRE du CETSAP, Ariette FARGE,
Historienne et Henri ROUSSO, spécialiste
de l'Histoire de Vichy, Daniel LINDENBERG, également
Historien. Elie WIESEL, que je n'ai pas à
présenter, qui nous a adressé tous
ses voeux pour ces journées, ainsi que Jean
KAHN, Président du CRIF. Michel ZAOUI, Avocat,
qui ne pouvait être disponible, ainsi que
Pierre GENCE, peintre à Marseille, et Sarah
KOFMAN, Philosophe.
Dionys MASCOLO, écrivain et cinéaste
nous a adressé une lettre émouvante
dans laquelle il fait le vu "que cette
rencontre contribue à faire reculer la bête
immonde qui subsiste dans quelques têtes."
Daniel FAHRI, Rabbin du Mouvement juif libéral
et Marc-Alain OUAKNINE nous ont dit combien le thème
de ce Colloque s'inscrivait dans leurs recherches
et leurs préoccupations. Mohamed ARKOUN,
Islamologue de l'Université de Paris, dont
nous espérions qu'il puisse intervenir nous
a fait savoir cette semaine que du fait d'un voyage
prolongé à Berlin, il ne pourra être
présent aujourd'hui.
Enfin Armand ABECASSIS, Viviane FORRESTER et Cherifa
BENABDESSADOCK, dont les noms ont été
cités dans la plaquette d'information, ont
dû, pour des raisons personnelles renoncer
à participer et nous ont fait part de leur
regret.
Certains intervenants aux tables rondes n'ont pas
été cités dans le dépliant
d'information que nous avons fait imprimer avant
d'avoir leur réponse définitive ;
nous serons donc heureux d'accueillir:
- J.J. MOSCOVITZ, J.J. RASSIAL: Psychanalystes
- Sidney CHOURAQUI : Juriste et Eliane PERASSO :
Avocate et Psychanalyste
- Hubert HANNOUN Philosophe des Sciences de l'Education
-J.P. CATTENOZ: Prêtre
- Moïse AMAR: Rabbin de la synagogue d'Avignon
Enfin, J.P. POLY : Juriste et Historien et Alain
CHOURAQUI : Juriste et Sociologue au LEST d'AIX
seront dans la salle.
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