
Actes du Colloque
du 26 Juin 1996
Qu'est-ce qu'un
étranger?
Celui qui te fait croire que tu es chez toi.
Edmond Jabes -(Le livre du dialogue)
ARGUMENT
GENERAL
Le Point de Capiton
est né en 1989 d'un constat que nous souhaitons
à nouveau interroger et mettre en débat,
après deux années d'interruption des rencontres
publiques.
Le sectarisme de la pensée entraîne la constitution
d'un savoir clos sur lui-même dont les codes langagiers
deviennent les insignes d'une appartenance à un
groupe qui s'appuie sur ce savoir pour perdurer;
Quant à la " passion de l'ignorance "
(J. Lacan), elle met à l'oeuvre la pulsion, laquelle
ne peut être reconnue par un sujet que sous la forme
d'un représentant. Celui-ci, dans le rapport du
sujet au social, peut prendre les traits de l'autre à
exclure.
Ce qui, pour la psychanalyse, se manifeste du pulsionnel
pour chaque sujet pris dans le lien social que constitue
le langage, est considéré dans la perspective
des théories leurrantes de "la communication
planétaire", comme "dysfonctionnement
". Or le pulsionnel renvoie à la question
du désir, qui n'est pas un objet d'échange,
comme le laisseraient entendre ces théories. Le
désir manifeste une vérité du sujet,
laquelle, lorsqu'elle ne peut s'énoncer, fait retour,
parfois de façon mortifère.
La notion de pluralité des langages nous a paru
être une des voies pour interroger la " singularité
de la parole ",forcément prise dans un discours
qui la soutient tout en la masquant:
En effet, c'est en ce point où le sujet doit faire
cet effort pour envisager les conditions d'un dévoilement
possible d'une parole singulière, que se situe
sans doute la fonction de l'écoute de l'analyste,
et également celle de la création artistique.
C'est de ce point d'effort que nous tenterons de rendre
compte:
d'une part en questionnant le dogme comme antithèse
de la parole, et à ses confins, l'idéologie
de l'extrême-droite sous son aspect particulier
de la violence sémantique, d'autre part en apportant
témoignage quant à la créativité:
Ateliers d'écriture, d'improvisation théâtrale,
langage pictural, écriture cinématographique,
parole du poète qui attestent qu'il n'y a pas de
sens "en soi ", qu'il n'y a de sens que de "
sens métaphorique ".
C'est la raison pour laquelle le sujet qui s'engage dans
ce que J.Lacan a nommé le "Moulin à
Paroles ", fait entendre bien plus long qu'il ne
compte en dire. Il peut s'en étonner lui-même,
acceptant par là le manque dans le procès
de son propre désir.
Mais c'est aussi en ce point de rejet de l'inconscient
et de déni de la division structurale de l'humain,
que doit se situer notre questionnement sur l'idéologie
érigée en certitude, laquelle voudrait apporter
à la mélancolie contemporaine, sorte de
lâcheté de la pensée, une réponse
qui serait son envers : la haine.
Simone
Molina
Il
n'y a pas que la mémoire.
Il y a ces réminiscences,
de ce que l'on n'a pas vécu,
qui nous viennent d'on ne sait où:
Aujourd'hui,
c'est l'oeil du requin,
C'est la myopie de l'horizon.
Eugène Guillevic (Art Poétique)
SOMMAIRE
Francine Beddock:"
Destinées Arbitraires"
" Le Malaise dans la civilisation est
un fait de structure, les formes sacrificielles soumises
à l'Autre absolu produisent la Barbarie. C'est
par ce biais que sera abordée la question de ces
destinées arbitraires pour lesquelles le destin,
conjugué sur le mode "c'est écrit pour
toujours", n'est autre que la figure féroce
de la malédiction où le sujet reste la victime
ne pouvant surmonter l'état passif dans lequel
le plonge le traumatisme".
Simone Molina : "
Je suis semblable à celui qu'en le reconnaissant
comme homme, je fonde à me reconnaître comme
tel"
"La production de dogmes est inhérente
à toute institution humaine Mais alors que le dogmatisme
est un déni de la parole subjective, lorsqu'il
est conjugué avec le politique, il peut voiler
une mise à mal de la loi symbolique, celle qui
indique qu'une loi commune existe dont nul ne peut être
le créateur mais dont chaque être est porteur
et qu'il pourrait énoncer ainsi: "Je suis
semblable à celui qu'en le reconnaissant comme
homme, je fonde à me reconnaître comme tel
" (J.Lacan)
Hélène Brogniart, Christian
Lucciani, et Chantal Delmas : "
Expérience de théatre d'improvisation de
jeunes aux pratiques culturelles différentes "
"Une expérience de théâtre
d'improvisation menée par deux équipes de
jeunes aux pratiques culturelles différentes :
Un groupe de lycéens amateurs, participant à
l'activité théâtre de la MJC d'Apt,
et habitant Apt ou les villages alentours, et un groupe
de jeunes fréquentant le centre social d'Apt, et
qui vivent dans les quartiers HLM où habitent des
familles provenant du pourtour méditerranéen."
René Pandelon:"
Psychose, Style, Suppléance"
"Seront abordées les questions
de la construction, création et du style chez le
psychotique, à partir de l'expérience d'un
atelier d'arts plastiques offrant aux patients un lieu
de création : l'atelier Marie Laurencin dans le
Service de René Pandelon au CH de Montfavet."
" Un français
sur quatre a un grand-parent immigré
Vous voulez vous débarrasser de votre grand-mère?
"
Anonyme. 1er
Mai. Orange
Véronique De Mesmay -Thepot
témoignera d'un travail de dix ans d'un atelier
d'écriture individuelle et collective auprès
de malades alcooliques. (Méthodologie et intérêt
thérapeutique -CAP 14). Puis elle évoquera
la question de la créativité comme support
thérapeutique et son prolongement culturel dans
un cadre associatif: l'ACERMA.
Omar Lekloum commentera son film:
"Rachid Boudjedra - Itinéraire d'un écrivain
"
Il ouvrira le débat sur la question du langage
cinématographique.
Des ponctuations impromptues nous seront
offertes par Pierre Hely tout au long de cette
journée.
Discutants pour la journée:
O. Chabre, P. Hely, Y Ronchi, M. Th Santini,
Partenaires,
Participants

Francine BEDDOCK,
Psychanalyste (Paris)
Une rencontre, ça ne se décide
pas, ça ne se prévoit pas, ça arrive
ou pas. En tous les cas, une rencontre, ça laisse
des traces, traces qui ne sont lisibles qu'après
coup. Freud nous le rappelle: ce qui reste, ce sont les
traces des traces, c'est cela même qui se transmet.
Ce qui a laissé des traces pour moi, ce fut le
colloque "La loi, les mots, le silence".
Que dire quand l'effroi surgit? Il fallait ce jour là
trouver les mots qui deviennent parole. C'est donc sous
le signe de la rencontre, d'un Karos, au sens grec de
ce qui arrive à la bonne heure, que j'ai répondu
à l'invitation de Simone Molina.
Six ans déjà. La même persévérance
pour dire l'inimaginable de penser la fonction de l'analyste
comme indifférent à la marche du monde,
pour interroger la responsabilité de l'analyste
face au Malaise dans la culture.
Aussi j'ai choisi de dire aujourd'hui, qu'avec la psychanalyse,
le fait social est au commencement. Cette proposition
peut paraître provocatrice, elle l'est. Peut-être
est-ce la fatigue d'entendre que la psychanalyse est une
affaire privée, qu'elle ne s'occupe pas du corps.
Ces discours, quand on y pense, sont animés par
la passion de l'ignorance.
· - C'est oublier la découverte freudienne
: le fait psychique a été déchiffré
à partir d'une douleur physique qui ne trouvait
pas à qui adresser sa plainte.
· - C'est oublier que la fonction de l'analyste
est de restaurer la parole de ceux qui sont parlés
plutôt qu'ils ne parlent. C'est oublier que la fonction
de l'analyste est de débusquer les régions
totalitaires du sujet où la pulsion de mort opère
en silence.
En ce sens là l'inconscient est politique.
· Enfin, c'est oublier que l'interprétation
du rêve n'est pas de décoder les songes avec
des signes correspondants, mais de donner la parole au
sujet. Le rêve n'existerait pas sans les associations
d'idées du rêveur. C'est là où
se place Freud. C'est la condition même de l'émergence
d'une parole singulière. Aucun maître ne
possède le sens, ni le savoir sur l'énonciation.
C'est là qu'intervient la coupure épistémologique
freudienne, réaffirmée par les apories de
J. Lacan : "Il n'y a pas d'Autre de l'Autre",
"il n'y a pas de métalangage", ou encore
"il n'y a pas de rapport sexuel" . Chacune vient
dire que nul ne peut venir compléter le manque
de l'autre.
Il y a eu au commencement de l'Autre, de la différence.
C'est dans ce sens là que ça commence avec
le fait social, tout en maintenant qu'il ne saurait y
avoir d'énonciation collective.
Le totalitarisme langagier est issu d'un inceste langagier
qui affirme qu'on pourrait tout dire, tout dévoiler.
Qu'il y aurait de l'UN, fantasme d'une origine déchiffrable,
cernable, anime tout le discours totalitaire. L'aporie
"Il n'y a pas de rapport sexuel", veut dire
qu'il n'y a pas une langue, mais des langues. L'amour
c'est affronter la castration, "C'est sortir de l'enfer
de la mêmeté" comme a pu le développer
Genie Lemoine à l'occasion du colloque sur "le
Dire et l'Ecrit" (dixième anniversaire de
la revue Trames - Nice 15 Juin 1996).
C'est dire combien l'interdit de l'inceste
nous fait partager la même humanité; les
croyances, les cultures, les traditions, la pluralité
des langages ne suffisent pas à apaiser la question:
"Qu'est-ce qu'un homme, qu'est-ce qu'une femme ?"
L'autre est au coeur de nous-mêmes; cette part inaccessible,
c'est aussi le prochain, qui a pour nom l'étranger,
celui qui parle d'ailleurs, qui vient d'ailleurs, qui
ouvre d'autres horizons. N'est-ce pas là une des
modalités du franchissement de l'Oedipe, du sortir
de chez soi?
· S'il est inimaginable de penser la fonction de
l'analyste comme indifférent à la marche
du monde, je formulerais ma question aujourd'hui ainsi:
Comment le traumatisme de l'histoire avec une grande Hache,
comme le dit Georges Perec, qui soumet le sujet à
une détresse insituable peut-il être subjectivisé?
· Comment les événements historiques
et collectifs s'inscrivent-ils dans la mythologie familiale
et fantasmatique, là où règnent la
terreur, l'exclusion, le terrorisme dans sa forme contemporaine
et actuelle?
Avant d'aborder la question de l'événement
traumatique qui ne saurait recouvrir le traumatisme tel
qu'en parle Freud, nous devons nous demander comment s'inscrit
la grande histoire dans le psychisme (j'oserais parler
d'inscription).
Poser cette question implique de cerner la façon
dont se constitue le premier rapport au lien social, le
rapport de sociabilité pour le sujet.
Si le Malaise dans la Civilisation est un fait de structure,
les formes sacrificielles soumises à l'Autre absolu
produisent la barbarie. C'est par ce biais que je me propose
d'aborder la question de ces destinées arbitraires,
qui n'est pas sans écho avec le destin . "
Le Destin " , quand il est conjugué sur le
mode "c'est écrit pour toujours", n'est
autre que la figure féroce de la malédiction
où le sujet reste toujours la victime ne pouvant
surmonter l'état passif dans lequel le traumatisme
le plonge. Le danger de tout traumatisme est que le sujet
en fasse une seconde naissance à partir de laquelle
il greffe une identité illusoire, rivé à
la merci de ces parole oraculaires.
Qu'est-ce que l'histoire pour l'analyste?
L'histoire, pour les historiens, si on regarde le dictionnaire,
ce sont des "récits de faits mémorables"
- Nous sentons le flou d'une telle proposition -Mémorables
pour qui?- Des historiens comme Braudel ou Duby reconnaissent
qu'il n'y a pas d'événements en soi - ça
se construit, ça se reconstruit - " Le tout
à fait historique est à inventer ".
Pour l'analyste, l'expérience analytique ne consiste
pas à la reconstruction de l'histoire familiale
que Freud appelle lui-même "Roman". La
construction en analyse de l'histoire d'un sujet ne le
fait pas advenir, c'est la répétition qui
se laisse lire dans les formations langagières
de l'inconscient (lapsus, actes manqués, rêve).
Dans son retour à Freud, Lacan définit l'histoire
comme ce qui fonctionne comme mythe dont la vérité
a une structure de fiction. Le mythe interroge toujours
l'origine, que cela soit celle de la naissance de l'humanité,
celle de la naissance d'une souffrance, celle d'un traumatisme.
Si nul ne peut avoir accès au premier jour, au
premier mot, nous fabriquons des récits qui subjectivisent
notre existence au monde.
Certes, il y en a qui préfèrent les discours
au récit, ils choisissent le camp de l'idéologie
comme mode d'expression qui est un discours sans sujet.
Comment un sujet peut-il affronter au niveau psychique
les terreurs collectives qui postulent l'existence d'un
Autre absolu? L'événement traumatique qui
sidère, pétrifie, terrorise nous oblige
à revenir au lien du sujet dans la constitution
du semblable dans le sens où ces violences sont
toujours sous une forme ou une autre, le retour funeste
de la horde. Aussi je propose de relire les différentes
formes de rivalité dans trois textes "Psychologie
collective et Analyse du Moi" et "Totem et Tabou"
(Freud) et les "Complexes familiaux" de Lacan.
Freud dans "Totem et Tabou" postule la rivalité
comme fondement du lien social. La sociabilité
n'est qu'un refoulement acceptable de la rivalité.
L'établissement d'un Totem, je le rappelle, montre
à quel point après le meurtre du père,
les frères sont égaux devant une seule chose:
L'interdit de l'inceste. Le temps où le père
était tout puissant était un temps sans
limite et sans loi. Après le meurtre du père,
nous entrons dans le monde de la culture. Le meurtre est
à l'origine, il entraîne le fondement de
la loi, l'interdit de l'inceste. Ce mythe met l'accent
sur le fait que c'est le fils qui fait du père
un homme.
Dans "Psychologie Collective et Analyse du Moi",
Freud montre que "la pulsion sociale" est au
commencement. Pourquoi? Parce que la détresse première
est celle de rester seul, d'être abandonné.
Pour lutter contre l'isolement, il faut contracter une
alliance avec d'autres qui ne va pas sans renoncer à
être l'unique dans le désir de la mère.
Et cette nécessité du groupe n'a rien à
voir avec un soi-disant "instinct grégaire"
que dénonce Freud, car l'instinct suppose une perspective
biologisante, animale, qui n'instaure aucun rapport de
désir. La psychologie collective telle qu'en parle
Freud, est fondée sur la libido, impliquant un
être de désir. Nous retrouvons cette rivalité
fraternelle à la racine du fantasme fondamental
que Freud ramasse dans la formule grammaticale "On
bat un enfant". Fantasme qui montre qu'au fondement,
pour être aimé, reconnu, il faut être
battu. C'est un peu scandaleux comme proposition, pour
qu'elle soit acceptable par le conscient, le sujet en
passera par un autre "Ce n'est pas moi qui suis battu,
c'est mon frère".
Nous voyons que tous ces textes postulent la rivalité
comme première qui suppose un autre, un semblable.
Pour que le monde soit vivable, il faut juguler la jalousie
pour ne pas s'entre-tuer. "Si je ne suis pas le seul
à être aimé, nous sommes, dans la
fratrie, aimés d'un amour égal" ; ainsi
la jalousie est transformée en un fantasme d'égalité.
Comme tout amour ne supporte pas de tiers, le groupe des
"frères" constitué, s'élève
contre un autre groupe qui trinque. N'est-ce pas le traitement
réservé à l'étranger?
Les effets de la démocratie conjuguent ce fantasme
d'égalité comme défense contre la
jalousie première, fondement de la solidarité,
qui dans ses modes les plus divers produit les effets
pervers que nous connaissons ; déni de la différence
et de la distinction. Cette égalité produit
une parole universelle qui s'élève contre
toute parole singulière conduisant à une
massification du sujet. Pour échapper à
la rivalité qui est l'expression d'être le
premier dans le désir de la mère, l'amour
du père, celui du chef, le paranoïaque s'identifie
au père tout-puissant de la horde. Freud dit bien
que le paranoïaque nie cette première identification,
et qu'il se met en lieu et place de l'origine. Le déchaînement
de toutes les violences collectives prend sa source dans
cette position qui se veut inébranlable. Il faut
en passer par la rivalité pour accéder à
l'autre.
L'homme ne peut envisager son destin que
dans un rapport au monde auquel il appartient. Le lien
social se fonde à partir du frère "De
la Guerre et de la Paix ", que chacun entend dans
l'universalité de l'énoncé "Tu
es mon frère". La fratrie est la trame où
se noue le destin de l'homme avec le monde. Nul ne peut
en faire l'économie. Le destin, pour l'analyste,
c'est l'autre. Le lien fraternel, Lacan en fait un complexe
fraternel, complexe d'intrusion qui fonde le rapport primitif
à la sociabilité. Si la rivalité
est première, c'est qu'elle se fonde d'abord sur
le rejet du frère, alors que la pacification de
cette pulsion va constituer la fraternité.
Le temps du sevrage est l'ébauche de la constitution
de l'autre, ébauche, car le moi n'est pas constitué.
Cette expérience de la perte est rejouée
à la naissance d'un frère ou d'une petite
soeur, dramatiquement, parce que le sujet voit que ce
temps est révolu, et qu'il y en a un autre qui
peut en jouir - Il s'aperçoit que dans le semblable,
il y a un autre et c'est là que le sujet découvre
son incomplétude.
Nul ne peut se suffire, c'est notre condition humaine.
Néanmoins, cette opération, si je puis dire,
ne se fait pas toute seule, il y a un insupportable qui
s'exprime dans le sentiment d'envie par lequel passe tout
sujet, d'où la présence d'un fantasme de
meurtre envers le nouvel arrivant, exprimé chez
chaque sujet. L'expression de ce sentiment d'envie peut
aller jusqu'au meurtre réel. Dans la paranoïa,
on tue l'autre, parce qu'on croit qu'il n'y a qu'une place.
Ce fantasme nourrit la figure du mauvais oeil qui n'est
rien d'autre que l'expression d'un sentiment inconscient
de culpabilité, s'exprimant dans un "je ne
le mérite pas".
Elever l'homme à sa dignité d'humain, c'est
le conduire à comprendre, qu'il sache que personne
n'est titulaire d'une place. L'homme ne s'humanise pas
tout seul. Le destin de l'homme dans son rapport au monde
passe par la relation au frère, et nous percevons
que c'est à partir du singulier que peut se ressourcer
l'universel.
En effet, la violence collective qui s'attaque à
l'identité réactualise ce temps où
le sujet découvre, non sans désarroi, que
le semblable peut lui ravir sa place, jusqu'au meurtre.
Nous avons vu aussi combien cette certitude de penser
qu'on occupe une place et qu'on ne veut pas en partir,
peut conduire à se penser comme étant à
l'origine d'une lignée ; figure du tyran, de l'usurpateur.
Ces formes de paranoïa réclament un monde
pur, originel, sans faille. Il n'y a pas d'égalité,
car devant le désir, chacun parle sa langue, sa
parole est unique.
La revendication de l'égalité devant le
désir du père nourrit le fantasme qui, porté
à son comble, est au fondement de toutes les parodies
de l'histoire qui postulent la venue d'un homme nouveau
avec lequel on fait table rase du passé.
Quand nous sommes devant les terreurs de l'histoire, souvent
indicibles quand le lien ne prend pas en charge la mémoire,
elles renvoient, dans tous les cas à ce lien primordial
au semblable. J. Lacan dit bien : "Le collectif n'est
rien d'autre que le sujet de l'individuel". Le collectif
commencerait avec chaque homme.
C'est là que la psychanalyse est une subversion
du collectif.
· Tous les mythes fondateurs , d'Oedipe à
Moïse, en passant par Totem et Tabou, montrent à
quel point, les fils sont les analyseurs du père.
J'ai présenté au Colloque
sur "Littérature et Psychanalyse" à
Toulouse, en Décembre 1994, le cas du fils Mann
. Je vais en retracer les lignes essentielles et mettre
l'accent sur le fait que Klaus Mann incarne la figure
de l'objet du refoulé de la terreur de la civilisation.
Nous avons dit que l'égalité
ou l'accord n'existait pas, puisque chacun parle sa langue
articulée au désir qui la marque de sa distinction.
Personne ne parle la même langue et nul ne peut
renoncer à sa langue maternelle.
Klaus Mann, opposant virulent au régime nazi, lors
de son exil, renonce à sa langue maternelle, l'allemand.
Pris dans l'aliénation d'un rapport incestueux,
il se suicidera après la guerre, à Cannes
en 1951. Il n'a de cesse de confondre la langue allemande
avec le jargon nazi, et dans une jouissance par lui-même
ignorée, il se pensera le garant de la pureté
de la langue se soumettant à la figure du tyran,
qui souhaite "une langue nettoyée", une
langue pure. Ce qui ne l'empêche pas, et c'est là,
l'inadmissible de l'inconscient, que sur le plan conscient,
il ait été l'une des figures de l'écrivain
émigré des années 30 le plus féroce
contre le régime nazi.
Alors que ce qui sauvegarde le père, c'est qu'il
distinguera le germanisme poétique, historique,
de la barbarie nazie, affirmant sans ridicule à
son arrivée aux Etats-Unis : "Là où
je suis, là est la culture allemande". Autrement
dit, pour le père Thomas Mann, un écart
est maintenu entre langue maternelle et jargon nazi, ce
qui le protège de toute pulsion meurtrière
contre lui-même.
L'inceste chez Klaus Mann avec la langue maternelle va
se conjuguer avec le complexe fraternel. L'exil, qui est
largement décrit dans ses deux grands livres le
'Tournant" et "le Volcan" l'a fait régresser
et l'a renvoyé aux terreurs infantiles d'abandon
primordial, qu'il a vécu à l'âge de
huit ans - de l'horreur de la créature abandonnée.
C'est là où le rapport entre la constitution
de l'ébauche de la notion de l'autre peut être
le lieu de régression d'un traumatisme de l'Histoire.
Il revit le pathétique de la relation au sevrage
avec son frère cadet Goldo Mann:
"Aucun doute, la voiture d'enfant dont je me souviens,
c'est celle que j'enviais à Goldo. La voiture d'enfant,
c'est le paradis perdu. L'unique période de notre
vie, absolument heureuse ; le berceau pour moi fut un
bateau, symbole de la fuite, de l'échappée
bienheureuse. Peu à peu ce berceau a changé
de forme, couleur plus triste et plus sombre. Berceau
et cercueil, tombe et sein maternel."
Ces paroles de Klaus Mann, rappellent d'une façon
étonnante ces mots de J. Lacan dans " les
Complexes Familiaux " : "Cette tendance à
la mort vécue par l'homme - comme objet d'un appétit;
sous la forme originelle que lui donne le sevrage, se
révèle dans les suicides, tombe et sein
maternel... tout sorti de la hantise du paradis perdu
d'avant la naissance et la plus obscure aspiration à
la mort ". Cette aspiration à la mort est
parlée par Klaus Mann au niveau d'une conscience
aiguë du réel que traverse la civilisation.
Dans "Le Volcan", il écrit: "Rejetée,
abandonnée par les meilleurs de ses fils, on dirait
que la civilisation aspire à la ruine. On dirait
qu'elle s'est suffisamment épanouie et qu'elle
souhaite retourner en arrière, à la forêt
originaire d'où elle est sortie"... plus loin
il ajoute, "le raffinement de la technique triomphe...
nous nous acheminons vers la fin."
Le suicide, pour Klaus Mann, est entendu
comme recherche de purification du monde, sacrifice universel,
inscrit il faut bien le reconnaître, dans une succession
implacable de la destinée familiale. Du côté
maternel, une tante se suicide par défenestration,
un oncle meurt en Argentine de cause mystérieuse.
Du côté de la branche paternelle,
le père de Thomas Mann se suicide à l'âge
de 51 ans, deux soeurs se suicident. Le complexe d'intrusion,
quand le sujet en reste là, fait le lit des nostalgies
de l'humanité dont Lacan dès 1938 dénoncera
l'utopie sociale. Destinées arbitraires, sans aucun
doute!
Dans "Les Complexes Familiaux", Lacan parle
d'hérédité psychique du suicide.
Suicide qui rappelle cette fascination, ce sentiment d'être
capté par le non-être, le néant, comme
chez Pavese
L'histoire de Klaus Mann est traversée par le contemporain
d'une histoire, dont le tissu social entre l'industrialisation
des pères, la coupure des traditions, et la montée
du nazisme contribue dans le trajet d'une vie au retour
métaphysique de l'harmonie universelle, abîme
de toute fusion, séduction mortelle du passé.
Si les terreurs collectives touchent au traumatisme originaire
et au complexe d'intrusion, il est nécessaire de
revenir à l'événement traumatique,
quand il met en jeu la vie d'un sujet, il ne comporte
pas d'érotisation, de rapport à l'autre,
mais une jouissance muette, sidérante, dans laquelle
la pulsion de mort est à l'oeuvre, silencieuse.
C'est en ce sens là qu'il ravive le traumatisme
premier, qui est celui de la naissance, non pas celui
de Rank, mais tel qu'en parle Lacan dans son Séminaire
sur l'Angoisse : "le traumatisme de la naissance,
n'est pas la séparation d'avec la mère,
mais l'aspiration en soi, de ce milieu foncièrement
autre". L'angoisse naît avec la vie. Ce foncièrement
autre c'est le Complexe du Prochain, désigné
par Lacan comme Das Ding, la chose, l'autre absolu du
sujet, sa part d'étrangeté radicale.
Les violences collectives dont l'agent n'est pas nommé
renvoient le sujet à un sentiment d'effroi qui
se manifeste par la sidération, par ce qui laisse
sans voix. Elles ravivent ce sentiment originel de l'abandon
primordial (Das Ding). Cet abandon touche à cette
dépendance première de l'enfant par le vu
et l'entendu, de cette "mère inassouvie"
dont parle Lacan, temps où l'enfant absorbe autant
qu'il est absorbé: c'est "l'embrassement maternel".
Le complexe du prochain s'articule au complexe fraternel
où l'expérience du sevrage est une expérience
de rapt, de ravissement de l'objet primordial par l'intrus.
Lorsque l'aîné qui ne parle pas encore regarde
le cadet téter:
Lacan dit: "quel est le plus regardé ?"
Ici "Il y a risque que le partenaire confonde la
patrie de l'Autre avec la sienne propre et s'identifie
à lui." L'image du frère non sevré,
dit Lacan, n'attire une agression spéciale que
parce qu'elle répète l'imago de la situation
maternelle. C'est ce que nous avons vu avec K. Mann, pour
lequel tout cela s'est doublé d'un sentiment primordial
d'enfant abandonné: sa mère était
au sanatorium quand il était tout petit, et il
a été confronté à la mort
plusieurs fois dans la petite enfance.
Il y a eu régression, qui pourrait se dire ainsi
"Puisque je ne suis pas moi le sein, je régresse
pour l'être, pour être l'objet de ma mère".
L'exil a renvoyé Klaus Mann à ces terreurs
infantiles d'abandon primordial qu'il n'a jamais pu dépasser
Dans le livre "Les trois temps de la
loi" ; Alain Didier Weil démontre combien
le "Sujet traumatisé parce qu'il a perdu le
soutien de la loi symbolique est soumis à cet état
d'urgence".
Des sujets qui ont échappé
aux violences collectives, vivent dans un autre temps
où vie et mort sont les seuls repères.
Il faut essayer de réintroduire le quotidien au
delà de la survie, pour recréer une temporalité
afin que le sujet ne soit soumis, au destin, au "tout
ou rien", qui est le sens même de la malédiction.
Face au terrorisme, aux violences collectives, aux tremblements
de terre, aux exils forcés, à toutes ces
formes de ségrégation, le champ social se
mobilise avec une équipe de psychiatres, de psychologues..,
et l'on assiste à cet "universel reportage"
dont parle Mallarmé qui vient dire "ce qu'est
le traumatisme", produisant un savoir constitué,
tout puissant, anticipant et déniant toute position
subjective. Discours du maître qui est une défense
du champ social par rapport à sa responsabilité
collective. Quand un sujet a subi un traumatisme, cet
événement quel qu'il soit doit être
réintégré dans une histoire singulière.
Accepter qu'en temps de terreur les mots ne soient pas
tous perdus, c'est cela même qui met en échec
toute parole définitive, tout en sachant que rien
n'est plus subversif que de ne pas prétendre à
une solution. La fonction de l'analyse est de contrecarrer
les paroles arbitraires dans lesquelles le sujet se trouve
aliéné, ne pouvant écouter que les
voix où résonne le silence du monde.
Le destin pour l'analyste n'est pas "c'est un écrit
pour toujours", paroles prédicatives d'absolu.
La fameuse surdétermination chez Freud n'est que
celle d'un "c'est inscrit" tout sujet est inscrit
dans une lignée et un lignage. Ce qui lui arrive
n'est autre que ce qui ne cesse pas de ne pas s'écrire.
Le destin est alors une marche, un mouvement
dont les temps logiques de Lacan sont les scansions, "ce
qui vous a fait", puis un temps pour comprendre "ce
qui vous fait", enfin un temps de reconnaissance
"de ce qui arrive".
La question qui hante notre terrible fin
de siècle ne cesse de s'écrire ainsi: "
Où était l'homme à ce moment là
?- qui est mon semblable? "
Ce qu'un Malraux disait, ce qu'un Semprun
répète: "Je cherche la région
cruciale de l'âme où le mal absolu s'oppose
à la fraternité."

Simone Molina,
Psychanalyste, (Avignon)
Introduction
Le 11 Novembre 1995, l'association"
le Sursaut", composée de diverses associations
de la région de Carpentras et des alentours, organisait
une manifestation qui rassembla 3000 personnes d'horizons
divers, venues, dans les rues de Carpentras, dire leur
refus de voir parader le grand chef charismatique de l'extrême-droite
française, leur refus de son appropriation de cet
événement dramatique survenu en Mai 1990
: La profanation du cimetière juif, affirmer aussi
leur refus de laisser dire et faire une extrême
droite galvanisée par ses succès électoraux,
leur refus d'une nouvelle manipulation de l'Histoire celle-ci
actuelle, en train de s'écrire.
Cette manifestation fut organisée
dans l'urgence. Les responsables attendaient 1500 personnes
- dit-on -. Il en vint le double. C'est dire combien Carpentras
est un symbole.
La venue du Front National ce 11 Novembre 1995 à
Carpentras ne doit pas être prise à la légère.
Elle fait partie d'une stratégie . Car, il faut
le dire, et le répéter: Cette partie de
l'extrême-droite française que l'on nomme
le "Front National", ce n'est pas seulement
un grand chef charismatique et des électeurs, généralement
décrits comme ne sachant pas ce qu'ils font!
L'extrême-droite, c'est aussi des théoriciens.
Ce dont atteste l'excellent ouvrage de Guy Konopnicki,
"Les Filières Noires", paru en Avril
96, qui analyse les filiations de l'extrême-droite
française, filiations théoriques bien sûr,
mais quant aux choix stratégiques de prise du pouvoir.
Nous ne pouvons donc considérer le placardage,
par l'extrême-droite, sur les murs de la région,
de ces mots "Le Pen - Pardon", seulement au
titre de "provocation" : c'en est une, certes,
mais c'est plus que cela. La violence sémantique
fait partie de la stratégie de l'extrême-droite.
Cette violence sémantique joue, à
travers la négation de la Mémoire et de
l'Histoire,
1) sur "l'équivoque".
2) sur "la culpabilité"
3) sur le mensonge délibéré comme
arme de propagande.
Autrement dit, elle a pour alliée
la capacité de refoulement de chacun d'entre nous
ou le déni qui, pour certains, est la marque de
l'impossibilité à assumer dans sa propre
histoire familiale un héritage trop lourd à
porter. (cf. " Naître victime, naître
coupable" de Peter Sichrovsky. Points actuels).
Dire "comment", plutôt que"
pourquoi" est la tentative de ce texte qui est une
suite logique,- d'une part de mon interrogation quant
à cette impossible articulation du subjectif et
du collectif et donc des effets des nouages qui s'opèrent
pour tenter de réduire cet impossible articulation
- et d'autre part de mon refus de participer,
par un silence tétanisé, à la montée
des thèses d'extrême-droite en Europe, en
France, certes, mais dans ma région plus particulièrement
qui a vu, en 1995, l'arrivée au pouvoir de l'extrême-droite
dans plusieurs villes du midi de la France et, la prise
en compte de plus en plus ouvertement assumée,
de certaines de ses thèses par des élus
municipaux, avec les conséquences concrètes
que cela implique: Par exemple, à Carpentras, retrait
récent par la municipalité, d'une subvention
pour une " maison pour tous "dans un quartier
défavorisé, ce que fait, par ailleurs la
municipalité actuelle d'Orange. Mais à Carpentras,
cela se sait moins, où les choix extrêmes
de la municipalité se posent sous une" couverture"
de droite.
Avant d'aborder ces trois points par où s'exprime
la " violence sémantique" de l'extrême-droite
française, trois points que je tenterai de mettre
en perspective avec la question de la Mémoire et
de l'Histoire, il m'importe de rappeler quelques éléments
de réflexion issus d'un colloque qui s'est tenu
à Carpentras-Serre quelques mois après la
profanation du cimetière juif en Mai 1990.
Ce faisant, je voudrai repréciser en quoi la question
de savoir si cet acte a été commis par l'extrême-droite
organisée ou par des adolescents de la ville, Si
elle est importante sur les plans juridique et politique,
n'entame en rien le problème soulevé par
cet acte barbare, et la question de la possibilité
même d'une telle transgression. (Au moment où
ce texte est publié le procès de quatre
jeunes adultes inféodés à l'extrême-droite
a eu lieu à Marseille, suivi de condamnation à
des peines d'emprisonnement. Cf note 7)
En effet, la mise à mal du Symbolique par la transgression
d'un tabou l'atteinte à la sépulture et
au corps d'un défunt entraîne, pour les vivants,
cette affirmation mêlée d'effroi: la mort
elle-même ne serait plus un refuge? . Ce refuge
du sujet est, comme l'écrit A.Didier-Weil, un "lieu
topologique interne", et non pas seulement un lieu
transcendant, tel que le discours religieux définit
la mort.
Or c'est la constitution en chacun de nous de ce"
lieu topologique interne "qui rend possible la notion
même d'altérité et qui rend impossible
la mise en acte du désir de "Toute-puissance",
mise en acte mortelle pour l'autre et déshumanisante
pour qui s'y trouve enchaîné.
L'atteinte au corps d'un défunt produit l'effroi
car il implique une "malédiction" . La
malédiction à laquelle les vivants sont
alors confrontés pourrait s'énoncer par
le glissement de la proposition haineuse : "Ma haine
te poursuivra jusque dans la mort" (proposition haineuse
certes, mais qui considère tout de même l'autre
comme participant au registre de l'humain),à celle-ci,
qui jette l'autre hors de l'humanité, et paradoxalement
pour qui l'énonce, le met lui aussi hors de l'humain:
"Il n'y a pas de repos possible pour toi, ni de dialogue
possible pour les vivants ".
Car, s'il n'y a pas de repos pour les morts, il n'y a
plus de référence symbolique d'un "ailleurs"
pour les vivants, il n'y a plus de" lieu topologique
interne". Celui-là même auquel l'humain,
quand il a tout perdu, découvre qu'il peut s'adresser
en invoquant - comme devant une sépulture réelle-
un Autre inoubliable, par ces mots:
(...) "C'est toi, l'absent à qui je parle,
qui m'as fait le présent de cette parole qui parle
de ton absence" (A.Didier-Weill : Les trois temps
de la Loi)
A) --Le colloque de Carpentras-Serre :" La loi,
les mots, le silence" juillet 1990
Les 22 et 23 juillet 1990, deux mois après
la profanation du cimetière juif de Carpentras,
les responsables du "Point de Capiton",( Espace
de Recherches Psychanalytiques et des Disciplines Affines),
animaient un colloque intitulé "La Loi, les
Mots, le Silence".
Ce Colloque, qui se tint sur deux journées à
Carpentras-Serre, rassembla 350 personnes. Il fut organisé
en quelques semaines, dans l'urgence, et le nombre de
participants dépassa ce que nous pouvions imaginer,
puisque le Festival d'Avignon, comme celui de Carpentras
se déroulaient dans le même temps, avec l'attraction
que l'on sait.
· Les intervenants invités
étaient de disciplines diverses et venaient de
différentes régions de France.
S'ils avaient répondu favorablement à notre
appel c'est que nous avions précisé que
ce colloque se devait d'être une rencontre qui voulait
questionner, plutôt que conclure, qui espérait
ouvrir le champ de ce que les psychanalystes nomment "le
Symbolique" plutôt que laisser le champ de
"l'Imaginaire" à la merci des mots circulant
par médias interposés. Il s'agissait donc
d'interroger à travers ses effets, un Réel.
· Nous savions que l'enquête était
en cours.
Mais, s'il importait à la justice de savoir s'il
s'agissait d'une action menée par un commando politiquement
organisé ou d'un acte, comme cela se murmurait
déjà, sans plus de preuves qu'aujourd'hui,
mené par des adolescents de la ville, le traumatisme
produit par cet acte était à interroger.
En effet, "le traumatisme issu de ce qui a eu lieu
à Carpentras est le signe que quelque chose revient
à la même place - non pas sur le plan du
réel de l'événement, mais sur celui
de l'effraction fantasmatique. Cette profanation bouleverse
car elle prend des allures de répétition
qui rappelle que les religions funèbres, celles
du nazisme, ont engendré des enfants et des petits
enfants. Que cet acte vienne d'antisémites organisés
ou d'adolescents égarés, on sent bien que
notre société n'a pas empêché
une transgression traversée par une pulsion de
destruction en exercice qui vient exhiber un " tout
est permis". Cet acte est le symptôme d'un
défi porté à la mémoire, à
l'histoire, à la mort elle-même."
(Fr Beddock 1990 Actes du Colloque de Carpentras-Serre)
En deçà de l'horreur du passage
à l'acte que constituait une telle profanation,
avec, l'attentat sur le corps exhumé d'un défunt
(ce qui ne s'est jamais produit lors de précédentes
profanations de cimetières) et quelque soient leurs
auteurs, il s'agissait donc, lors de ce colloque, d'interroger
le trop-plein de mots et d'images qui précédèrent
cette profanation,- dérapages sémantiques,
tribune ouverte à tout- va aux propos de l'extrême-droite
médiatisée sous prétexte de ne pas
la" diaboliser".
Diabolos, en grec, veut dire" calomniateur",
ne pas vouloir "diaboliser le discours de la haine
et de l'exclusion que profère l'extrême droite
est un déni de ce qu'il est: calomniateur, pour
arriver à ses fins, le pouvoir.
Or, après les diverses manifestations
en Vaucluse, ou à Paris, qui témoignèrent
de la prise de conscience soudaine d'une limite, d'un
tabou transgressé, le silence se fit pesant. Et
tout particulièrement dans cette région
en Vaucluse ; c'est pourquoi, ce colloque voulait aussi
questionner le silence étouffant qui suivit cette
profanation alors que l'enquête s'avérait
difficile (**1):
· Silence de refus?, silence de vérité?
silence de déni?
C'est-à-dire silences concomitants à l'impossible
de penser un tel acte ainsi qu'à ce à quoi
il renvoyait pour ceux qui s'indignèrent: la barbarie
nazie en tant qu'elle fut la mise en acte de l'attentat
de masse sur l'humanité (crime contre l'humanité)
en la personne de chacun, un à un, des juifs et
des tziganes déportés et gazés dans
les camps d'extermination nazis.
Nous ne devons avoir de cesse de rappeler la spécificité
des crimes nazis, certes, mais nous devons aussi insister
sur ce fait que ce "crime de masse" était
la mise en acte de la négation de la singularité
de chaque être humain déporté certes;
mais en même-temps, à travers lui il s'agissait
pour les nazis d'extirper la notion de singularité
pour chacun . Et chacun se laissa dessaisir par la peur
parfois, mais aussi par la lâcheté, de la
capacité de s'opposer. (cf. le documentaire sur
Arte en mars 96: La vie quotidienne sous le 3ème
Reich)
Niant la singularité de chacun les nazis ont bafoué
l'humain, faisant fi du nom de l'Homme, et, pour chaque
être humain déporté et exterminé,
faisant fi de son histoire familiale, de ses amours et
de ses peines, et du fait que chacun était aussi
porteur d'une histoire plurielle, autrement dit : d'une
culture qui faisait lien social.
Si la profanation de Carpentras n'est pas
un crime nazi, en cela que le nazisme est un ensemble
cohérent et diabolique mis en oeuvre à un
moment de l'Histoire, elle a été le rappel
de la dimension de l'horreur et de l'abjection dont le
nazisme a été l'initiateur, par la négation
de la sépulture ( pas de trace ) et du nom (un
numéro tatoué sur la peau)
Dans le cimetière de Carpentras, par l'atteinte
du sacré de la sépulture,-
- et pas n'importe laquelle et pas n'importe quel sacré
puisqu'il s'agissait d'une sépulture juive -, c'est
à l'homme qu'on portait atteinte, à 1' homme
à travers ce qui le constitue comme humain.
Par leur extrême diversité, les milliers
de personnes silencieuses et recueillies dans et autour
du cimetière juif de Carpentras quelques jours
après la profanation témoignaient de cela,
que J.Hassoun, le 21juillet1990, exprima ainsi:
En réponse à la question : "Pourquoi
est-ce que la profanation d'un cadavre mobilise tant de
gens alors qu'il y a eu tant de crimes racistes depuis
5 ans crimes sur les vivants ? -".
"Le cadavre c'est l'ultime, dit-il -, parce que le
mort ce n'est plus du cadavre, le mort c'est un nom."
Or c'est justement ce que les nazis ont voulu effacer,
en exterminant des millions de juifs et de tziganes, comme
sous-hommes, ils voulaient effacer jusqu'au souvenir de
leur nom par l'absence de sépulture et par l'effacement,
dans la mémoire des vivants, de ce qui avait eu
lieu. Ils voulaient en faire un" non-lieu de la mémoire"
"Vous êtes en train de mettre en acte une histoire
glorieuse, la plus grande page de l'histoire de l'humanité,
mais cette histoire ne sera jamais écrite"
: ces propos sont ceux de Himmler lors d'une conférence
des généraux SS qu'il avait réunis
Posen, pour parier de la "Solution Finale" (cité
par S. Friedlander dans "Reflets du nazisme")
· A l'entrecroisement des mots et du silence,
le troisième point que ce Colloque de juillet 1990
voulait aborder était la question de la Loi, la
loi juridique, bien-sûr, mais surtout la "Loi
Symbolique" : Celle qui indique que la parole est"
le site humain par excellence" laquelle témoigne
de la division du Sujet, et permet la transmission symbolisante
d'une mémoire familiale et historique.
(cf. M.Fennetaux dans son excellent article de la revue
Césure N°4 :" L'avenir a-t-il une civilisation?").
Là donc où la parole n'a pas
cours, la transmission de la mémoire se produit
dans le réel, c'est-à-dire dans le passage
à l'acte, mais peut-être aussi dans le déni
de la parole par l'émergence du discours dogmatique:
celui du Maître, qui, s'il fait groupe ne fait pas
lien social.
Le collectif, par la reconnaissance d'une pluralité
des langages, implique la présence du subjectif,
au contraire du groupe qui, tourné vers le discours
d'un maître ne peut produire aucune parole subjective.
Le groupe se soumet au dogme et annule toute tentative
de subjectivation d'une parole singulière . (groupe
vient du latin noeud, collectif du verbe latin: rassembler).
Du collectif au groupe il y a cette mince différence
et pourtant essentielle la reconnaissance d'une fonction
tierce qui permet le lien social dans un collectif, est
absente du groupe soumis au maître par un processus
d'identification fascinée.
Cette fonction tierce peut être représentée
par l'énigme que constitue la Loi, pour chaque
sujet quelque soit sa fonction, y compris donc le représentant
élu qui s'il est le représentant de la loi
commune ne la présentifie pas, ne l'incarne pas.
Incarner une fonction et incarner la loi elle-même,
ce n'est pas équivalent:
Dans un groupe, au contraire du collectif, la loi est
présentifiée par le chef qui l'incarne et
qui justifie, de ce fait, sa toute-puissance.
Or la Loi symbolique ouvre le sujet à
la dimension du temps et donc de la mémoire comme
pouvant être transmise au-delà de la mort
biologique de ceux qui ont vécu l'histoire, familiale
ou historique.
En effet" le devoir de toute communauté humaine
est d'être dépositaire de la Mémoire
(...) Ce lieu, s'il est préservé, permet
aux êtres de tenir ensemble".
C'est pourquoi, la barbarie de cette profanation, signifiait
par l'atteinte à un lieu de mémoire, la
fragilité du lien social et le questionnement sur
la transmission
Les questions qui nous réunissaient
donc en ce mois de juillet 1990 étaient:
--1) Comment penser ce que cet acte représente
pour chacun, qui en a été bouleversé.
--2) Comment, aussi, penser ce que cet acte barbare nous
enseigne de ce qui est en jeu aujourd'hui dans le social,
dans l'actuel du social, tant il est vrai que l'émotion
qu'il a suscitée était bien le signe d'une
interpellation du lien social.
· Six ans après, cette interrogation, loin
de s'épuiser, s'est accru du travestissement qu'a
voulu en donner l'extrême-droite:
Rappelons-nous le contexte dans lequel nous étions,
alors, en 1990, contexte qui, hélas, ne s'est pas
apaisé aujourd'hui quant à la xénophobie
et qui a vu, en 1995, un parti d'extrême-droite,
prendre le pouvoir dans plusieurs villes du sud de la
France:
Dans les années 80: passages à l'acte racistes
allant jusqu'au meurtre pour délit de faciès,
profanations de cimetières, et dans les premiers
jours de Mai 90,dans la région même, inscriptions
d'étoiles de David sur des magasins du centre-ville
d'Avignon et bien-sûr un discours de plus en plus
percutant, car relayé par les médias, du
grand chef charismatique de l'extrême-droite française.(**1bis)
Cette profanation, outre son caractère
de réalité - au sens de "fait historiquement
daté",- confrontait chacun de nous à
ce que les psychanalystes nomment" le Réel",
c'est-à-dire cette "Chose" dont on ne
perçoit que les effets : l'effroi et qui attestait
de ce que J.J Moscovitz a nommé " une jouissance
nazifiée".
En ce sens, cet acte barbare a fonctionné comme
un signe venant du Réel, de l'impensable, appelant
un temps d'éveil, traduit par un acte dont la teneur
symbolique est importante : se recueillir dans et autour
du cimetière, manifester silencieusement ( cf.
la manifestation organisée par le MRAP à
Carpentras la veille de la cérémonie au
cimetière).
Si l'extrême-droite tente, en novembre
1995, de fustiger le moment de recueillement qui vit la
présence de personnages politiques divers, si elle
tente d'en faire un objet, et non plus un "acte",
un objet donc dont on puisse se moquer ou avoir honte,
c'est qu'elle a perçu là une résistance
à ses thèses . Mais c'est aussi qu'elle
tente d'oeuvrer sur la culpabilité liée
au fait que de tels moments d'émotion subjective
sont rapidement recouverts, refoulés, voire déniés
par ceux qui les ont vécus, et qu'il est toujours
douloureux de les interroger dans l'après-coup,
c'est-à-dire de les subjectiver
· La démocratie se joue dans ses institutions
certes, mais aussi dans la capacité des citoyens
à subjectiver les événements contemporains
au regard de la mémoire transmise par les anciens.
A banaliser les mots et à oublier
de se révolter, à laisser l'endormissement
nous gagner, on joue, sans même le vouloir, (mais
sûrement en n'en voulant rien savoir"), le
jeu de ceux qui réécrivent l'Histoire, qui
font violence au langage pour le détacher de ses
attaches contextuelles et l'accommoder "avec ruse
et habileté" à une sauce dogmatique.
J'avais, en introduction à ce Colloque,
cité cette phrase de F. Beddock
"Quand, sur la scène privée
l'oubli est une nécessité, sur la scène
sociale, l'oubli est une trahison"
Cela est toujours d'actualité, et cela ne cesse
pas de l'être !
Mais l'on pourrait ajouter: Alors que sur la scène
intime le mensonge est une fiction, et par conséquent
l'étui de la vérité du sujet, -vérité
toute subjective, et qui ne vaut que pour lui -, sur la
scène sociale, le mensonge, est une tromperie délibérée,
un artifice pervers.
C'est, aujourd'hui, par un point d'appui
dans la scène sociale que l'extrême-droite
avance des réponses qui peuvent nous apparaître
comme d'une criante banalité quant à la
manière dont l'être humain se structure dans
l'enfance.
En effet, il est banal d'assister à ce scénario,
infantile qui, lorsqu'il se perpétue devient un
symptôme névrotique pour l'adulte : poser
l'autre comme porteur de tous ses maux, à défaut
de pouvoir trouver les mots pour dire sa singularité.
Dans l'enfance, le second temps de la haine de l'autre
peut être alors la légitimation de cette
haine par l'adulte tutélaire qui, de ce fait, faillit
à sa place d'être le représentant
d'une possible altérité.
· Y aurait-il des chefs charismatiques qui pourraient
fonctionner, par idéologie, comme ces adultes tutélaires
incapables d'être les représentants de l'altérité?
La clinique auprès d'enfants et d'adolescents montre
combien la légitimation de la haine par l'adulte
tutélaire est un élément de déstabilisation
du sujet et par conséquent de déliaison
sociale.
La violence sémantique de l'extrême-droite,
par le discours de son chef charismatique vise aujourd'hui
à légitimer, sur la scène sociale,
et particulièrement dans les communes où
elle s'est fait élire, une réponse d'une
banalité affligeante pour un analyste: "C'est
la faute à l'autre". Et l'on en reste comme
tétanisé ! Puisque c'est par l'élection
démocratique que ses représentants sont
arrivés à la magistrature de ces villes.
C'est donc ce paradoxe qu'il s'agit d'interroger:
Car, si sur la scène intime, la mise
en cause de l'autre est névrotique, dans le passage
à la scène sociale l'idéologie d'extrême-droite
s'appuyant sur cet aspect banalement névrotique,
légitime et la haine et la névrose, leur
donnant un statut rarement reconnu au sein de la famille.
En effet, dans une famille, la jalousie, et la haine,
même si elles ont cours n'ont que rarement le droit
de se dire . Le tout-permis quant au dire, qui est l'apanage
des extrêmes-droites rencontre la jouissance à
"flirter" avec l'inter-dit, apanage de nos sociétés
démocratiques.
Comment donc le lieu du "politique",
qui est dans une démocratie en place de "médiateur"
'(souvent défaillant certes, mais à ce titre
qui en garantit le principe ), peut-il, par un retournement
pervers devenir le lieu d'où s'opère la
déliaison?
Voyons à présent, en quoi
l'utilisation dans le langage de l'extrême-droite
de l'équivoque, et du mensonge délibéré
est une courroie stratégique employée par
ses théoriciens pour mettre en oeuvre la culpabilité
de chaque un et chaque une pris et prise, comme tout être
humain, dans l'entrecroisement d'une histoire singulière
et d'une histoire plurielle familiale et historique.
B : L'EQUIVOQUE :Entre "Irrationnel"
et "Non-sens", entre Dogme et Parole.
Dans l'article de L'Express du 7 au 13
décembre 1995 on peut lire ces propos d'un théoricien
de l'extrême-droite française : "Qu'est-ce
donc que la politique telle que nous l'entendons? Le royaume
des bons sentiments? Certainement pas! Celui du droit?
Pas davantage . Le domaine de la force? Il se peut bien
... Celui de l'habileté et de la ruse? Peut-être
aussi...".
Entre la violence faite au langage "par
ruse et avec habileté" et celle mise en acte
sur le corps de l'autre-vivant ou décédé
-,il y a un dénominateur commun :La tentative de
devenir le maître en jouant de l'irrationnel
C'est dans cette tentative, sans cesse recommencée,
et médiatiquement calculée, que réside
la force de l'avancée de l'extrême-droite
. Et cette tentative se déploie sur ce paradoxe
de l'équivoque, maniée "de main de
Maître" par ses théoriciens.
· Qu'est-ce que" l'équivoque"?
L'équivoque, c'est le sel de la vie. C'est ce qui
fait le trouble du dévoilement . C'est ce qui nous
habite sans que l'on y prenne garde . Alors, pourquoi
se garder de quelque chose de si plaisant? Et de si banal
!
L'équivoque, ce sont les jeux de langage, les glissements
de sens, tout ce qui fait la difficulté de l'acteur
comique ... en bref, l'équivoque, c'est" la
psychopathologie de la vie quotidienne" . L'équivoque
concerne l'humain dans sa sexualité en tant qu'elle
vient lui rappeler que "ça ne va pas de soi"
d'être un humain sexué.
L'équivoque implique donc l'adhésion de
l'auditeur, au moins en cela que son identité lui
pose question. Là encore, phénomène
banal, s'il en est! Qui ne connaît pas de tels moments
de vacillement?
· C'est en touchant à cela
que le discours qui nous est servi par l'extrême-droite
est hypnotique, comme tout discours pervers. Il est hypnotique
car acquis à la duplicité, c'est-à-dire
volontairement, sciemment double.
Apparemment, il ressemble à ce livre du bon vieux
Docteur Spoock, à l'usage des jeunes mamans: L'important
n'est pas, d'abord, le contenu de la réponse L'important
est de faire passer l'idée qu'il y a toujours une
réponse, et que c'est "le maître",
le docteur en l'occurrence, qui a LA réponse, à
portée de main, et tant pis si, le lendemain, ce
qui attire l'oeil est le contraire écrit quelques
lignes plus loin! Le bon Dr Spoock est rassurant, ça
marche, ça calme l'angoisse, la réassurance!
Mais ça ne résout rien, ça n'indique
rien quant au problème posé.
Mais voilà : à la différence
du Dr Spoock, dans les discours du grand chef charismatique
de l'extrême-droite, il n'y a pas écrit en
un même chapitre, tout et son contraire: Ce qui
est écrit est toujours la même chose : la
xénophobie, mais conjuguée à plusieurs
temps, déclinée en plusieurs modes : Cela
s'appelle un programme politique.
Et dire qu'il "pose les bonnes questions" est
un slogan qu'il peut se vanter d'avoir à son actif,
par commentateur politique interposé:
Non ! L'extrême-droite ne pose pas les bonnes questions!
Elle apporte une réponse, qu'elle voudrait pouvoir
légitimer, là où le sujet ne parvient
pas à déterminer quelle est "sa "
question, ou bien là où le désespoir
a balayé toute possibilité d'articuler une
question, ou encore là où la structure paranoïaque
du sujet implique la haine comme unique horizon - mais
il n'y a pas 20 à 30% de paranoïaques dans
une population villageoise du Vaucluse !-
· L'extrême-droite s'attache
à gommer la pluralité des questions, leur
diversité
Elle est comme le "Prozac", ça apporte
une réponse à l'angoisse, et, ce faisant,
ça permet d'oublier qu'on a une question qui nous
taraude.
Il est frappant de constater que les scores obtenus par
l'extrême-droite en France ne recouvrent pas obligatoirement
la présence effective de ces "étrangers"
étiquetés comme cause de tous nos maux.
Et, nous le verrons plus loin, il n'y a pas d'adéquation
entre le taux de chômage d'un pays et l'importance
de la représentation électorale de l'extrême-droite.
( Rinke Van Den Bnnk : "L'internationale de la Haine")
Certes, la xénophobie est parfois due à
une expérience vécue durement par un sujet.
Si elle ne se justifie pas pour autant, elle trouve au
moins une explication dans la difficulté du lien
social pour ce sujet là.
Mais elle est souvent liée, sans que la difficulté
sociale y soit impliquée, à une possibilité
de trouver un objet (l'autre, différent) à
ses propres doutes. Elle procède par généralisation
:
A partir d'un élément, elle constitue un
ensemble, sinon dénombrable, du moins étiqueté.
En écho à notre contemporaine
xénophobie ayant pour cible" les Arabes",
comme si ce terme même recouvrait une quelconque
réalité, comme si tout ce qui fait la diversité
du monde ne se retrouvait pas aussi dans ce que l'on nomme"
les arabes", voici ces lignes extraites d'un article
de J.C Lévy, paru en juin 1990:
"Il est essentiel de préciser que la rafle
du Vel d'Hiv visait les juifs étrangers. On ne
voit souvent dans la xénophobie qu'une sous-variété
du racisme, mais la xénophobie est bien ce au nom
de quoi on a commencé à glisser vers la
solution finale."
J.C Levy parle de la France sous Vichy. L'auteur, historien,
relate comment, ne voulant heurter de front l'opinion
publique française, qui avait bien accepté
les lois anti-juives parce qu'elles étaient peu
visibles par les non-juifs, mais qui s'était montrée
hostile au port de l'étoile jaune, imposée
par les nazis, le gouvernement de Vichy avait décidé
de" s'entendre sur le fait que seules les familles
juives étrangères seraient arrêtées,
dont les enfants de plus de deux ans".
Nadia Fiaschi lors du colloque "La
loi, les mots, le silence", s'interrogeant sur le
quotidien de la xénophobie, affirmait:
"Nous cautionnons les principes d'exclusions, avec
leur possibilité d'émergence dans des formes
paroxystiques, dès lors que nous laissons une minorité
se faire enfermer dans des traits qui seraient censés
la représenter".
"Nous participons au quotidien, à ces principes
d'exclusion, lorsque, ce qu'il y a de négatif chez
un sujet, est renvoyé à la minorité
à laquelle il est censé appartenir".
C'est ce que fait dans chacun de ses discours
le grand chef charismatique de l'extrême droite
française avec la conviction qu'il sera entendu
puisque ce mécanisme est d'une affligeante banalité!
: Repérer un être par un trait et indexer
ce trait comme le représentant totalement.
On sait dans le travail clinique auprès d'enfants
combien, par exemple, tel trait du visage ou du caractère,
repérable ou non par un tiers extérieur
à la famille, peut connoter l'enfant dans une filiation
pathogène. On entend dire: " Il est violent
comme son oncle . J'ai peur qu'il ne devienne un délinquant
comme lui". Il y a fort à parier que l'enfant,
pris dans un tel discours, n'ait d'autre choix que de
s'y conformer, tout en tentant de faire entendre sa souffrance
à être pris pour un autre, et souffrance
ultime et paradoxale: à être pris pour celui
qu'il ne pourra jamais être.
· Désir d'appartenance et déficit
du potentiel créatif:
Peut-on faire l'hypothèse que le discours de l'extrême-droite
tente d'atteindre son but en jouant sur ce point structural
de l'homme:
Cet hiatus entre le désir d'appartenance à
un collectif, que sous-tend le désir de reconnaissance
venant de l'autre et une subjectivité qui, lorsqu'elle
n'est pas sublimée dans un acte créatif
pour le sujet, devient, dans une répétition
symptomatique, source de rancoeur adressée à
l'autre, mis en position d'être tenu pour responsable
des échecs, sinon des difficultés.
Dans une société où seul le travail
vaut comme signe de reconnaissance, d'appartenance à
la communauté humaine, peut-on dire que, au-delà
des difficultés proprement matérielles qui
confinent, pour certains, (**1 ter) à la survie,
c'est aussi du déficit créatif dont il s'agit?.
N'est-ce pas sur ce déficit créatif, du
côté des "anti-racistes", que l'extrême-droite
peut prospérer? Ce déficit créatif
pourrait s'appeler "Passion de l'ignorance",
tel que Lacan l'a évoqué.
La " passion de l'ignorance" est
un autre nom du refus de penser . En quoi la prééminence
des images implique-t-elle comme corollaire le défaut
d'inscription dans un monde pluriel, et la croyance en
un monde virtuel, imaginaire?
L'image entretient cette passion de l'ignorance quand
le regard est sollicité comme un regard qui boit,
qui tète, et non un regard qui lit ; lorsque donc
le "ressenti", l'affect ne se symbolise pas
en un dire qui pourrait l'inscrire, et donc lui permettre
une transformation. Ainsi il est plus difficile d'intégrer
psychiquement une image violente hors contexte, qu'une
même image inscrite dans une histoire . Car, une
histoire, ça se raconte, alors qu'une image qui
produit l'effroi est absolument intrusive. L'histoire
renvoie au " sens", à la signification
; l'effroi est le produit du "non-sens" intrusif.
L'effroi produit lui-même ce qu'on nomme le "déni",
c'est-à-dire l'impossible inscription d'un événement
traumatique dans une histoire singulière.
Ce que l'on nomme l'indifférence des téléspectateurs
du 20 heures ne serait-elle pas un signe de l'immense
effroi qui a pu saisir chacun de nous à un moment
ou un autre devant la transgression : celle d'avoir regardé
sans rien dire, sans que le moyen soit pensé de
pouvoir en dire quelque chose ? sans donc la médiation
d'une parole pacifiante? Cette parole pacifiante, aucun
écran de télévision ne pourra jamais
la donner s'il n'y a pas, du côté du faiseur
d'images, quelque chose d'un travail subjectif sur "l'écriture
" qui peut, seule, transcender le trop plein d'images,
et mettre en question, sinon à la question, le
fantasme "informatif' . du "tout savoir sur
le monde"
Ce qu'on nomme les "médias"
ne médiatisent que rarement . Et s'il existe des
cinéastes, des réalisateurs soucieux du
"langage cinématographique", ou "télévisuel",
c'est bien que l'image ne se suffit pas à elle-même,
et que le cinéaste entend opérer une transformation,
une traduction, par le moyen non seulement des images
mais aussi de leur agencement particulier dans lequel
on pourra repérer un style, le sien propre, qu'on
appellera une écriture cinématographique".
L'écriture est ce par quoi les humains
font trace . trace parfois éphémère
comme dans certaines civilisations indiennes - les indiens
navajos- qui inscrivent leur rite avec du sable. Est-ce
que l'écriture musicale est celle qui fait trace
pour le peuple des tziganes, qui, n'ont rien écrit,
au sens de "calligraphié", quant à
l'extermination nazie dont ils furent victimes? (Lors
du colloque de Carpentras-Serre en Juillet 90, la question
s'était posée de savoir comment cet impensable
avait pu se transmettre hors toute tentative d'en écrire
quelque chose.)
L'écriture est ce par quoi la pensée
advient à la création. Nombre d'écrivains
témoignent, lorsqu'ils parient du procès
d'écriture, de l'advenue, sous la plume, de quelque
chose d'impensé jusqu'alors : être auteur
serait accepter d'être dans ce processus d'inscription
au-delà du sens antérieurement pensé
-
Ainsi, à une époque où
le service public français qui a nom "La Poste",
ne véhicule en une année que 7% de "courrier
personnel", y compris les cartes de voeux du nouvel
an ! ne doit-on pas s'interroger sur le déficit
créatif que représente cette absence de
"correspondance"?.
En effet, lorsqu'une "correspondance " est tentée
( certains livres en font état, comme d'une expérience
singulière : cf." Le Même livre"
de J. Hassoun et Katibi ) sont mis en lumière les
écarts structurels pour tout humain entre la pensée
et le dire, entre le dire et l'agir . Au-delà donc
de ce qui s'échange quant au sens, la "correspondance"
est un processus qui interroge le "non-sens",
parce qu'elle inscrit l'humain dans la diversité
du temps: le sien, et celui de -l'autre, dans cet écart
que l'image, lorsqu'elle n'est pas portée par une
"écriture cinématographique" annule.
· On pourrait penser que "fabriquer
du sens" est la seule façon d'être "créatif",
et d'imaginer un au-delà du quotidien.
La recherche de sens est une des caractéristiques
de l'humain. Elle se déploie entre le questionnement
religieux et le questionnement scientifique.
Pourtant, supporter le "non-sens", le supposer,
même, comme inhérent à la condition
humaine, est, contrairement à ce qui se véhicule
de vulgarisation de la psychanalyse, une des découvertes
majeures de Freud: Il y a un ombilic du rêve, dit-il
. Et, plus prés de nous, Lacan insistait sur le
fait que l'inconscient n'est pas un sac plein qui, une
fois vidé par le travail analytique, nous laisserait
en paix, et enfin "accompli"!
Du point de vue de la clinique psychanalytique, la "créativité"
implique donc pour un sujet, l'acceptation de passer par
une absence de savoir, par un vacillement de l'être
qui sera porteur d'un acte dont il ignore le sens au moment
où il le commet.
Ce moment de "vacillement" place le sujet dans
une position de fragilité quant à ce qui
lui vient de l'autre. Or, lorsque cet autre se situe lui-même
en position de celui qui sait quel est le sens que le
sujet doit donner à sa vie, il occupe, parfois
volontairement, cette place "d'Idéal".
C'est pourquoi, c'est dans ce processus
que vient se glisser la figure du "Gourou" et
son corollaire obligé: le pouvoir qu'il a sur vous,
par le biais de ce que les tenants de l'hypnose se refusent
de nommer : la suggestion.
La suggestion, son efficacité est prouvée
. . .elle vous lie au discours de l'autre et vous fait
faire l'économie de votre propre cheminement: Freud
s'en est éloigné en inventant la psychanalyse.
L'éthique analytique d'un Psychanalyste au moment
où il occupe cette fonction d'écoute, est
absolument liée au fait qu'il a accompli en lui-même,
du fait de sa propre psychanalyse, cette disjonction entre
sa personne et ce qu'il représente pour l'analysant.
En cela, donc, quoiqu'en dise l'analysant, il ne s'en
laissera pas conter ! il sait qu'il n'est pas, "
pour de vrai", comme disent les enfants, cette figure
idéale que recherche t'analysant
Car, pour avoir approché cette question du"
non-sens", dans son analyse, il témoigne,
par son absence de réponse à la question
" dites-moi qui je suis?" que tout acte créatif
est le résultat surprenant d'une oscillation du
sujet entre son identification à une figure idéalisée
et son détachement.
· Ce double mouvement atteste de
la division du sujet, paradoxe auquel chaque humain est
confronté:
1. L'être humain est "Un", identifié,
nommable, reconnaissable à quelques signes, sortes
d'attributs culturels ou à ses repères généalogiques
- et la recherche d'identité et l'engouement pour
la généalogie en est une preuve contemporaine-,
2. et dans le même temps, il est divisé,
"Deux" pourrait-on dires c'est-à-dire
aux prises avec l'ambivalence qui le fait douter, certes,
mais aussi qui le met en recherche
--Par exemple, il est celui qui perd ses
clefs alors qu'il veut rentrer chez lui, celui qui oublie
de se réveiller au matin d'un rendez-vous important,
celui qui écorche sans le vouloir un mot qu'il
connaît pourtant bien, celui qui oublie un nom propre.
Si donc la possibilité de supporter qu'il y ait
du "non-sens" atteste du vivant, le dogme, au
contraire,- sorte de " déjà -tout-
pensé", dans lequel le sujet humain est traité
comme une matière première (l'autre à
exclure, à rejeter, à détruire),et
le citoyen-électeur comme un être régi
par des pulsions d'autoconservation, -légitime
l'irrationnel, lequel n'attend qu'un maître.
L'irrationnel et le "non-sens", ce n'est pas
la même chose: supporter le non-sens c'est avoir
rencontré la castration, être dans l'irrationnel,
c'est chercher un sens univoque à toute chose,
sens univoque apaisant au regard de l'angoisse de la castration.
c ) --A propos de "La CULPABILITE"
et de la notion de "Pardon"
Entre la suggestion et la sujétion,
il n'y a que quelques lettres! qui sont la faible distance
entre le sentiment d'appartenance à un groupe et
l'asservissement psychologique à ce même
groupe via son idéologie.
Entre suggestion et sujétion, il n'y a surtout
que quelques lettres qui séparent la culpabilité
encore possible et l'absence totale de culpabilité
quelques soient les crimes commis
· La force d'une démocratie:
La force d'une démocratie tient en ceci qu'elle
est attentive au symbolique que contient la loi juridique
( P. Legendre : le crime du caporal Lortie). Il n'est
donc pas indifférent qu'une loi vienne entériner
la transgression d'un tabou ( projet de préférence
nationale de l'extrême-droite), ou, au contraire,
vienne nommer la transgression (qualification du viol
comme crime).
Pour autant, dire qu'une démocratie doit "y
être attentive" n'est pas strictement équivalent
à" légiférer": En effet,
elle se doit aussi de reconnaître les moments de
franchissement de cette limite autour de laquelle oeuvre
la pulsion de mort.
Cela n'appartient pas au législateur, mais à
chaque citoyen
· Pourquoi donc l'atteinte à
la sépulture, et l'exhumation du corps d'un défunt
est-elle scandaleuse, au sens premier de" scandale"
: ce qui fait trébucher?
La sépulture, écrit A. Didier-Weill, "est
l'institution de cet interdit fondamental en tant qu'il
institue un écart infranchissable entre le réel
et le symbolique,(..)
"Quel rapport y-a-t-il entre le tabou des morts et
l'interdit de violer la sépulture? Nous dirons
à cet égard que l'interdit, tout comme le
dire, n'est qu'un demi-interdire, et que, de ce fait,
il ne dispose pas d'un pouvoir absolu de protection de
la sépulture. Nous comprenons le tabou comme la
forme silencieuse que prend la prohibition quand le dire
qu'est l'interdit est défaillant ."
et A. Didier-Weill ajoute:
"(..) le simple fait que le tabou prohibe le contact
( avec le mort) signifie que ce contact n'est donc pas
impossible."
Or, la transgression d'un tel tabou situe
le sujet qui est dans la transgression dans une "position
de consentir à la malédiction, puisqu'il
ne peut plus faire appel auprès du tribunal symbolique
de la parole" . Rien, désormais, ne pourra
être inscrit dans la parole, qui puisse faire lien
Est-ce ainsi que l'on peut entendre l'absence de culpabilité
des criminels de guerre, accusés de crime contre
l'humanité?.
Lorsque Himmler dit aux généraux SS, à
Posen à propos de la" Solution Finale"
"Vous êtes en train de mettre en acte une histoire
glorieuse, la plus grande page de l'histoire de l'Humanité,
mais cette page ne sera jamais écrite", il
affirmait dans le même temps, la prééminence
de l'action Meurtrière, industrielle et déshumanisante,
sur le verbe en tant qu'inscription symbolisante, il affirmait
la prééminence de la déliaison sur
le lien social comme fait de culture.
Il s'agissait donc alors, pour les commanditaires
de la "Solution Finale" d'une "rupture
"par rapport à tout ce qui avait pu avoir
lieu jusqu'alors de persécutions et autres abominations
. Cette rupture devait prendre depuis, le statut de "
Tabou". C'est-à-dire de quelque chose qui,
d'impossible, est devenu" possible".
C'est en cela que la Shoah est une déchirure dans
le Symbolique pour l'humanité entière et
pas seulement pour les victimes.
"La solution finale" mise en oeuvre
par les nazis, industriellement mise en oeuvre, n'est
pas, écrit E. Fackenheim, une régression
vers la barbarie, c'est" quelque chose de nouveau,
de radicalement nouveau, et rien ne nous dit que ce n'est
pas un inaugural"
Et il précise : " On voudrait croire que le
choc de l'holocauste a rendu impossible tout nouvel holocauste.
La dure vérité n'est-elle pas plutôt
qu'un second holocauste est rendu plus vraisemblable et
non pas le moins vraisemblable du fait du premier, car
on ne constate aujourd'hui que bien peu de signes de cette
repentance radicale qui, seule, pourrait débarrasser
le monde de Hitler".
D'impossible, parce que impensée
jusqu'à la Shoah, l'élimination d'un peuple,
d'un groupe, d'une minorité, au nom de la "pureté",
est devenue un "tabou", c'est à dire
"possible"
Notre malaise à entendre les mots de l'extrême-droite
sur les ondes de radio et les chaînes de télévision,
notre malaise à entendre dans le discours ambiant
des mots de haine et d'exclusion imprononçables
sans honte voici quinze ans dans un lieu public, vient
du fait que l'extrême-droite ayant transgressé
un tabou, s'est vu cautionnée en cela par la"
boîte à Images", symbole de nos démocratie,
avec la" Boîte à voter".
Or la transgression, si elle fait horreur, fascine aussi,
tout comme la "Boîte à Images"
. Qui n'a pas regardé telle émission où
il s'agit de faire rire du fait qu'un autre, à
l'écran, s'étale de tout son long ! Et qui
n'a pas ri?
· Aucun des accusés jugés à
Nuremberg en 1947 n'a plaidé coupable.
Dans le contexte de ces sombres années 80 qui ont
vu la montée de l'extrême-droite en France:
Klaus Barbie, jugé en 1987 n'a pas, lui non plus
plaidé coupable ... les tortures, les rafles d'innocents,
l'envoi en camps de la mort, il n'avait "rien à
en dire"!
Aujourd'hui, les tortionnaires partisans de l'épuration
ethnique en ex-Yougoslavie disent aussi qu'ils ne sont
coupables de rien.
Le génocide mis en oeuvre au Rwanda avec le concours
d'une radio haineuse trouvera-t-il ses coupables?
Et plus loin dans le temps, les responsables japonais
du massacre de Nankin, en 1933, n'ont rien eu à
reconnaître: Pour eux, ces faits n'ont pas existé!
Ils ne figurent pas dans les livres d'histoire. Ils ont
été effacés. Plus de soixante ans
après, leurs descendants sont rares à poser
la question et à vouloir faire entendre une vérité
historiquement établie.
Et plus près de nous, Papon, dans un entretien
avec un journaliste du journal "Libération"
affirme qu'il ne se sent coupable de rien.
Le propre de certains crimes, c'est qu'ils
ne souffrent pas d'aveu : le crime n'a pas eu lieu!
On le voit, l'absence de culpabilité
ne signe pas l'innocence. Elle témoigne, au mieux,
de la capacité de l'humain à dénier
les faits dans lesquels il est impliqué; Mais,
au pire, cette absence de culpabilité implique
une stratégie du déni au nom d'un idéal
: celui de la" pureté" qui recouvre en
fait un idéal de mort.
· Qu'en est-il donc, pour la psychanalyse,
du statut de la culpabilité,
dont ses vulgarisateurs nous ont rebattu les oreilles,
faisant du concept freudien de "culpabilité
inconsciente" une notion à caractère
moral, tarte à la crème du "tout permis"
Dans le séminaire sur "l'Ethique",(l'Ethique
de la Psychanalyse), Jacques Lacan dit que ce que nous
attendons de la psychanalyse, c'est qu'elle nous permette
d'être allégé du poids de la culpabilité
. Allégé, cela suppose donc que nous ne
pourrions en être débarrassé, car
la culpabilité signe notre rapport au monde, notre
dette à l'égard de la vie, elle est la trace
de notre savoir inconscient. quant à notre venue
au monde du fait d'autres, parents et aïeux, avec
leur histoire mais aussi avec l'ensemble des idéaux
transmis, et également des non-dit, des secrets,
des énigmes
De ces aïeux, il ne reste parfois comme
unique trace, qu'un nom sur une pierre tombale. Enigme,
là encore, mais inscrite sur la pierre ou avec
une simple pierre: tel est le pouvoir du Symbolique de
nous inscrire comme être dans le monde, comme être
dans une généalogie, dans une lignée.
"Lorsque l'on nomme un enfant, on l'introduit dans
la génération ; lorsque l'on " dénomme"
un enfant, on le "fabrique" dans l'indifférence
du monde" . On sait, dans la pratique clinique auprès
d'enfants abandonnés combien la perte de toute
trace de leur passé est douloureuse, et combien
la recherche d'un nom sur un registre d'état-civil
peut devenir un impératif vital.
On sait, de même, combien la disparition d'un parent,
disparition laissant douter de ce qu'il est advenu de
lui, est insupportable pour Les membres de la famille,
interdisant toute possibilité de deuil.
On sait aussi combien, au-delà de vécus
traumatiques reconnus comme tels par le discours social,
chaque sujet a à faire avec la perte, c'est à
dire, au bout du compte avec la question de la vie et
de la mort.
· Qu'en est-il lorsqu'un pan de l'Histoire
est dénié dans le discours social?:
Lorsque le discours social gomme un pan de l'Histoire,
le sujet, pris lui-même dans l'entrecroisement de
son "histoire familiale" et de cette histoire
gommée par le collectif, insue par les autres qu'il
côtoie chaque jour, est bien en peine d'en symboliser
quelque chose: C'est ce dont témoigne Jorge Semprun,
dans son livre "L'écriture ou la vie".
Il raconte la visite des jeunes femmes de la Mission France
sur la place d'appel du camp de Buchenwald dans les jours
qui suivirent la libération du camp par les troupes
américaines:
"Une autre jeune femme s'est exclamée : "Mais
ça n'a pas l'air mal du tout !" Elle regardait
les baraques d'un vert pimpant sur le pourtour de la place
d'appel. Elle regardait le parterre de fleurs devant le
bâtiment de la cantine. Elle a vu ensuite la cheminée
trapue du crématoire, au bout de la place d'appel.
-C'est la cuisine, ça ? a-t-elle demandé.
J'ai souhaité être mort pendant une fraction
de seconde . Si j'avais été mort, je n'aurai
pas pu entendre cette question . J'avais horreur de moi-même,
soudain d'être capable d'entendre cette question.
D'être vivant, en somme. (...) C'est précisément
parce que je n'étais pas vraiment vivant que cette
question à propos de la cuisine me mettait hors
de moi. Si je n'avais pas été une parcelle
de la mémoire collective de notre mort, cette question
ne m'aurait pas mis hors de moi .
Jorge Semprun dit ensuite comment, leur montrant l'intérieur
du bâtiment du crématoire il leur parle à
peine:
Il s'agissait donc là de nommer quelque chose d'insu,
d'impensé jusqu'alors. Impensable pour l'auteur
lui-même, Jorge Semprun, qui a traversé tant
d'années avant de pouvoir "aller au bout de
cette mort" sans y perdre la vie.
· Dans 1' avant-propos de son livre
"L'Espèce humaine", Robert Antelme écrit:
"Il y a deux ans, durant les premiers jours qui ont
suivi notre retour, nous avons été, tous
je pense, en proie à un véritable délire
.Nous voulions parier, être entendus enfin .
A peine commencions nous à raconter, que nous suffoquions
. A nous -mêmes, ce que nous avions à dire
commençait alors à nous paraître inimaginable.
Aussi, puisqu'il y a, dans cette rupture du Symbolique,
que constitue le crime nazi quelque chose "d'impensable",
comment en saisir quelque chose qui puisse faire trace,
au sens où la trace est du côté de
la vie, de la pulsion de vie?
· Voici ce qu'écrit Gilles
Perrault dans sa préface du livre de Peter Sichrovsky"
Naître coupable, naître victime":
"L'Holocauste empêche encore de mettre un signe
d'égalité entre les horreurs. Nulle part,
en aucun temps, vit-on l'homme infliger cela, à
l'homme"
Peter Sichrovsky a choisi de laisser parler les enfants
des bourreaux nazis, sans faire état du "sinistre
palmarès de chacun" de ces parents qui ont
un dénominateur commun : aucun ne renie son passé.
"La fidélité à l'idéologie
nazie est aujourd'hui le viatique de leur fin de parcours,
leur cuirasse sans défaut, l'armature qui les fait
entrer debout devant la mort."
Cette préface me semble mettre l'accent sur un
point important :" Cadrant le bourreau longtemps
après le crime, écrit plus loin Gilles Perrault,
les décennies écoulées depuis l'événement
renvoient forcément à la décennie
qui l'a précédée . Car si ces hommes
demeurent aujourd'hui encore murés dans leur idéologie,
c'est que l'impeccable béton en fut coulé
de longue date. Mis à part le quota habituel de
pervers qu'on trouve dans toute nation, ils n'étaient
pas voués par on ne sait quelle fatalité
à devenir ce qu'ils furent et demeurent (....)
Si" tous les bourreaux de ce livre ne sont pas passés
par une école de cadres SS, (comme Barbie, qui
refusa de répondre sur ce point au procureur Truche
lors de son procès à Lyon),tous ont été
façonnés par dix ans d'enseignement et de
propagande . (...) A lire Sichrovsky, on comprend que
l'Holocauste (..) fut l'aboutissement raisonnable de dix
ans de règne de l'idéologie nazie
Ce livre remarquable apporte un éclairage
sur la génération qui prit part à
la barbarie nazie, ou qui en fut la victime, par la parole
des enfants: une parole qui interroge le mutisme . "
Mutisme bavard" des bourreaux qui ne regrettent rien
"Mutisme obligé" des rescapés
puisque commencer à dire laisse apparaître
à celui qui parle que c'est inimaginable, comme
le dit Robert Antelme, ou que, "au retour des camps,
personne ne nous aurait entendus, ni compris "comme
le dit Simone Veil.
· Il apparaît important de
mettre ici en perspective
-d'une part le "mutisme bavard " des bourreaux,
et l'idéologie enseignée pendant la décennie
qui a précédé la guerre dite"
mondiale" et cette "seconde guerre" dans
la guerre, celle-là faite aux civils juifs et tziganes
qui a eu nom" la solution finale",
-et d'autre part l'idéologie raciste
et xénophobe de l'extrême-droite française,
le "négationnisme " de ses théoriciens,
les attaques contre les enseignants, ainsi que la volonté
d'implantation des syndicats étudiants d'extrême-droite
dans les facultés.
Cette mise en perspective entraîne à penser
que le terrain de l'éducation et de la culture
sont et seront de plus en plus les lieux où l'extrême-droite
travaillera à la déliaison du lien social,
déliaison rendue possible par les mutismes qui
ont fait d'une certaine guerre, celle d'Algérie,
de simples" événements", et du
scandale que fut l'abandon des harkis un non-événement.
Car si aujourd'hui, le programme de l'extrême-droite
a, lui, trouvé ses coupables : "Les arabes",
ce n'est pas un hasard . Outre la filiation antisémite,
liée aux thèses qui sont avancées
avec le négationisme, une autre des filiations
de l'extrême-droite française se situe du
côté des déçus du gaullisme
après ce qui a été considéré
comme une trahison par les tenants de l'Algérie
Française .( cf. G. Konopnicki, Les filières
noires)
S'il est donc vrai que les enfants de Harki sont aujourd'hui
porteurs de cette histoire tronquée : celle de
la guerre d'Algérie, sans doute faut-il ajouter
que bien d'autres citoyens français en sont aujourd'hui
porteurs
Qu'en est-il des soldats ayant combattu en Algérie,
dans une guerre qui ne disait pas son nom,-"les événements
d'Algérie"?, et qu'en savent leurs enfants
- Qu'en est-il de ces milliers de nommés"
Rapatriés": Là encore, un terme générique,
massifiant, qui recouvre une pluralité de situations
liées à l'histoire même de l'Algérie,
englobant les descendants des colons de la première
heure, les fonctionnaires installés depuis plus
ou moins longtemps dans ce pays, les juifs berbères,
ainsi que les descendants des familles expulsées
d'Espagne par l'inquisition, les familles aux origines
diverses: maltaise, italienne, espagnole etc... ? et qu'en
savent leurs enfants?
· Ce qui ne peut être symbolisé
par un sujet fait retour dans le réel de l'acte
afin d'alléger le poids de cette culpabilité
inconsciente liée au non-dit, liée à
ce qui se transmet sans pour autant être symbolisé.
La clinique an pédopsychiatrie montre combien ces
histoires non formulées sont un terrible poids
pour les enfants. Peut-on, par exemple aujourd'hui, se
rendre compte de ce que signifie un exil sans retour possible?
Les harkis, en tant que traîtres à la cause
algérienne ne pouvant pas espérer un jour
faire ce voyage, que pouvaient-ils transmettre de cette
histoire sans retour imaginable?
En effet, les exilés argentins ont pu constituer
leur exil dans un espoir, lié à un ailleurs
à conquérir à nouveau . Tel ne pouvait
être le cas des harkis . A cela s'est ajouté
ce second abandon : la ghettoïsation des familles
harkis, corollaire du mutisme de l'état français
qui, de ce fait, maintenait dans la méconnaissance
d'une partie non négligeable de l'histoire contemporaine,
une population qui n'aspirait qu'à oublier. Mais
l'oubli implique la constitution d'une dette à
l'égard de l'Histoire parce qu'il s'agit d'une
dette à l'égard de ceux qui l'ont vécue
sans pouvoir en témoigner . Cette dette a pour
effet parfois le "retour du refoulé "
sous ses formes les plus inattendues car pulsionnelles,
parfois elle se dessine sous les traits d'une identification
massive à la figure du bourreau ou à celle
de la victime . C'est ce dont témoignent certains
entretiens avec les descendants de ceux qui vécurent
cette sombre période de l'Histoire.
· L'absence de culpabilité du bourreau redouble
la culpabilité de la victime:
Ainsi donc, alors que sur la scène intime - scène
où "la faute" est fantasmée -
l'allégement de la culpabilité signale la
possibilité pour le sujet de se déprendre,
au moins partiellement de la dette symbolique qu'il ressent
à l'égard de ceux qui lui ont transmis la
vie, sur la scène publique, lorsqu'un crime a été
commise atteignant le corps de l'autre, l'absence de culpabilité
du côté du bourreau est un redoublement du
crime lui-même, annulant le pouvoir pacificateur
de la parole comme moment de vérité partagée
au moins en un lieu et un temps fut-il bref, celui du
prétoire, obligeant la victime à vivre avec
cette impossibilité de pouvoir envisager même
la question du pardon.
Car il n'est de pardon, sinon possible,
du moins envisageable, que si celui qui a commis le crime
le reconnaît et le nomme, permettant à la
victime de réintégrer le bourreau dans le
monde des humains.
Aussi étrange que cela puisse paraître, lorsque
celui qui a commis ou participé à un crime
se dit "non- coupable", il entraîne avec
lui, au bord de l'humain, la victime elle-même,
en ne lui permettant pas l'usage - usage privé
- de l'oubli.
Il importe ici donc de souligner que l'usage de ce mot"
Pardon" accolé à "Le Pen",
placardé sur les murs des villes de la région
n'est pas sans amère-pensée:
La notion de "Pardon" est inhérente de
la foi hébraïque ; et chacun sait l'importance
pour le judaïsme, du "Grand Pardon" ou
Yom Kippour. Les théoriciens de l'extrême-droite
ne l'ignorent pas.
S'appuyer sur les valeurs sacrées de la victime
pour se poser soi-même en victime, c'est ce que
font, par exemple, les pères incestueux, et pervers,
qui passent à l'acte au nom de la soumission et
du respect dû au père, puis lorsqu'ils sont
dénoncés par leur enfant, lui font porter
la responsabilité de la faute ainsi que de la sanction
qu'ils encourent!
Enlever à la victime, par ce dispositif pervers,
la possibilité d'envisager la question du pardon,
c'est à dire aussi, la possibilité de sortir
de cette place assignée de "victime"
dans laquelle elle est maintenue du fait du passage à
l'acte violent, est une nouvelle souffrance infligée
au sujet traumatisé.
C'est une souffrance d'autant plus grande qu'elle s'appuie:
--soit sur ses valeurs sacrées : c'est-à-dire,
celles qui renvoient à l'appartenance à
une communauté et fonde une identité, --soit
sur celles qui structurent l'homme en tant qu'humain,
c'est-à-dire mortel soumis à la castration.
D) LE MENSONGE DELIBERE
" Quand, sur la scène intime
l'oubli est une nécessité, sur la scène
sociale, l'oubli est une trahison " ... et le mensonge
délibéré, un crime.
Voici ce que disait, en 1988 déjà,
lors d'un colloque intitulé" Usages de l'oubli",
Y . Yerushalmi, historien, professeur à l'université
de Columbia ( USA) et à l'Ecole des Hautes Etudes
en Sciences Sociales:
"Dans le monde qui est le nôtre, ce n'est plus
désormais une question de décadence de la
mémoire collective et de déclin de la conscience
du passé, mais du viol brutal de ce que la mémoire
peut encore conserver, du mensonge délibéré
par la déformation des sources et des archives,
de l'invention de passés recomposés et mythiques
au service des pouvoirs de ténèbres ".
Mon propos n'est pas, ici, de faire un inventaire
des faits, concernant le contexte historique dans lequel
eut lieu la profanation du cimetière juif de Carpentras.
Sans doute les historiens, dont l'impératif moral
est justement la recherche scrupuleuse des faits, pourront
nous éclairer sur ce point .(**6)
Pour autant je m'appuierai sur quelques éléments,
historiquement incontestables, pour apporter un éclairage
quant à ce qui apparaît comme une méthode:
Celle d'un mouvement d'extrême droite qu'il s'agit
de combattre avec la plus grande vigueur sur un terrain
que Philippe Val, dans son article paru dans le N°
180 de Charlie-Hebdo, nomme celui de la "vigilance
sémantique".
· Le mensonge délibéré
est le fond même de la violence sémantique.
En voici quelques éléments, qui, pour certains,
font partie du contexte des années 80, mais qui
sont, dans le dogme de l'extrême-droite, toujours
d'actualité, sous-jacents, rampants:
***Faurisson et le négationisme ( c'est-à-dire
la négation de l'existence des chambres à
gaz et donc de l'extermination massive et programmée
des juifs d'Europe) plus particulièrement 199O,l'affaire
Notin: ce maître de conférence de l'université
Lyon III, auteur d'un article négationiste, paru
dans la revue "Economies et Sociétés",
vitrine de ses thèses négationistes.
*** Autre élément dont tout le monde a entendu
parler : la question du" point de détail"
. Il serait intéressant de savoir si ceux qui connaissent
le slogan" point de détail " en connaissent
la signification.
Voici, pour mémoire, ce qu'il en est: Lors de l'émission
"Grand Jury RTL-Le Monde,du 13 Septembre 1987,le
grand chef médiatique de l'extrême-droite
avait répondu, alors qu'il était interrogé
sur les thèses négationistes : "Je
ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé
. Je n'ai pas pu moi-même en voir. Je n'ai pas étudié
spécialement la question. Mais je crois que c'est
un point de détail de l'histoire de la seconde
guerre mondiale".
Il fut, pour ces paroles, condamné par le tribunal
. Voici ce que disait le jugement: "Ces propos étaient,
par leur forme dubitative, le choix des mots (...) de
nature à remettre en cause, banaliser, (....) les
souffrances infligées aux déportés
et plus particulièrement aux juifs et aux tziganes
par les nazis durant la seconde guerre-.mondiale"
et plus loin :" La liberté d'expression a
pour limites, ici franchies, certaines valeurs essentielles
et le respect des droits d'autrui".
C'est donc aussi sur le terrain de la culture,
et de la culture en tant qu'elle
concerne les enfants et les adolescents, qu'il s'agit
de défendre la pluralité des langages, ferment
de la démocratie:
Voici quelques années, le Point de Capiton proposa
à des lycéens d'un lycée agricole
un débat sur les camps d'extermination en présence
de personnes rescapées de cet enfer, alors qu'on
nous promettait "qu'ils ne tiendraient pas une heure",
ils restèrent longtemps à échanger,
parler, poser des questions, à en oublier le moment
de récréation ! et à faire eux-même
le lien avec l'histoire contemporaine :
-cela se passait en 1991, à l'Isle sur Sorgue .
Alors "qui" ne veut pas entendre?
La démocratie, contrairement à
ce que l'on entend souvent, ce n'est pas le" tout
permis " car celui-ci "pousse au meurtre".
En effet le "tout permis", est un ventre mou
qui" aspire à un maître", selon
l'expression de J. Lacan dans "Télévision",
en 1977 pronostiquant la montée du racisme.
· L'extrême-droite française,
ce n'est pas seulement son chef médiatique et ses
électeurs mais c'est aussi un "Conseil Scientifique"
c'est-à-dire des "Intellectuels",
autrement dit : des théoriciens, qui savent exploiter,
y compris parmi les jeunes, enfants des classes moyennes
de la société française, les failles
d'une démocratie qui se croit de toute éternité,
alors qu'elle est à reconquérir chaque jour.
Les théoriciens de l'extrême
droite, qui ne sont pas des barbares sanguinaires, ont
déjà du sang sur les mains ... des autres,
c'est-à-dire de ceux qui, au nom de leurs théories
mortifères, sont déjà passés
à l'acte.
Ces théoriciens de l'extrême-droite française,
qui sont-ils?
Ils sont "simplement" ceux qui manipulent le
langage et ses effets avec une jouissance qui atteste
de la mise en oeuvre de la pulsion de mort. Cette jouissance
mortifère nous concerne tous parce qu'elle nous
apostrophe dans notre rapport intra-subjectif au"
tabou", et à la culpabilité.
Manipulant le langage, ils sont aussi dans une grande
connaissance du réseau sociologique dans lequel
ils pourront développer leur action, ainsi que
du cadre juridique dans lequel ils déploient leur
politique
· " La ruse et l'habileté
"
"Qu'est-ce donc que la politique telle que nous l'entendons?
le domaine du droit? non! Celui de la force? peut-être..
celui de l'habileté et de la ruse? peut-être
aussi..." disait le théoricien d'extrême-droite
cité dans l'Express de Septembre 1995.
La ruse?; l'habileté?
Pour ce faire: Se tenir à la limite du cadre, transgresser,
et voir ce que ça donne. Ce faisant, affoler l'autre
dans ses repères identificatoires en les détournant,
pour mieux le manipuler ensuite.
Car toute la manipulation consiste justement à
amener l'autre sur le terrain situé juste au-delà
de cette limite où celui-ci passera à l'acte.
Puis, avoir beau jeu de dire: Nous sommes débordés
par notre base! Et affirmer que de "responsable politique"
des exactions commises, il n'y en a point!
C'est ainsi que fonctionnent les sectes . Et peut-être
pourrait-on dire que l'extrême droite, en tant que
partis politiques constitués. (**2) est une secte
qui a réussi sa percée. On sait par ailleurs
les liens organiques, financiers, entre cette même
extrême droite et l'intégrisme catholique
(l'affaire Touvier, en 1989 et, dans notre région,
la trop célèbre"communauté du
Barroux", qui met en vente des publications fascisantes),
entre l'extrême-droite et les sectes, pourvoyeuses
d'argent . (cf. l'ouvrage de G. Konopnicki)
· Les citoyens seraient donc de naïfs
imbéciles?
Mais c'est que cela n'a rien à voir avec l'intelligence
! Mais cela renvoie plutôt à ce que Dante,
ou Spinoza ont nommé la" lâcheté
morale", sorte de lâcheté de la pensée
à dépasser cette "passion de l'ignorance",
équivalente du rejet de l'inconscient en tant qu'il
atteste lui-même de la division de l'humain.
Ce n'est donc pas d'intelligence dont il s'agît,
mais plutôt de la mise en mouvement de ce qui fonde
chacun de nous: le langage, et dans le bain de langage
l'accrochage que chacun de nous entretient à certains
signifiants.
Le slogan, c'est-à-dire le mot détaché
de tout contexte, qui prend valeur de rassemblement, peut
venir en lieu et place de "signifiant" même;
C'est un signifiant qui se tient à la jonction
de milliers d'histoires individuelles quand l'individu
perd ses repères intra-psychiques, mais aussi ses
repères sociologiques et culturels.
Un signifiant qui donnerait ce sentiment d'appartenance
dans un monde où tout semble se défaire,
et permettrait de croire à l'unité d'un
monde intérieur.
Le vacillement des repères intra-psychiques, cela
arrive à tout le monde, à des moments de
la vie: moments de passage, moments de deuils, moments
de séparations.
C'est là un phénomène banal! Alors,
appartenir â un groupe, adhérer au sens de
"coller", comme l'on recolle les morceaux, c'est
rassurant. Personne n'y échappe, de la "cellule
familiale" au club de foot, en passant par la chorale
du mardi soir, et 1'Ecole, y compris psychanalytique,
il est bien agréable de se tenir chaud! c'est-à-dire
"d'instituer".
Or, toute "institution" humaine
navigue entre deux pôles:
** celui de la thésaurisation des connaissances
: accumulation de savoirs qui font liens : apprentissages
divers, depuis les codes familiaux jusqu'au codes langagiers
des grandes écoles de la république.
** celui du mirage d'appartenir à la même
communauté, la meilleure, mirage qui sous-tend
l'idée du "Bien" ; on voit poindre là
le religieux . Le religieux en tant qu'instance unificatrice
et non en tant que question posée par l'homme quant
à sa place en ce monde.
-Peut-on dire ici que le pari des théoriciens
d'extrême-droite est de faire se conjoindre la soumission
au maître et à son discours théorique,
sorte de "savoir" fallacieux sur la distribution
de l'humain en tant que marchandise, avec l'obscurantisme
moyenâgeux du discours religieux le plus éculé?
Peut-on dire aussi que, ce faisant, ces
théoriciens nous entraînent à faire
un terrible pari quant à la capacité de
l'humain de résister à ce discours de la"
totalité"?
Peut-on dire ici, que la victoire du nazisme serait justement
d'entraîner le plus grand nombre à penser
que cette période barbare est un point d'origine
possible pour le monde, et que rien n'a existé
avant, et que rien ne pourra être jamais différent
dans le monde que cette barbarie même?
· Or cette barbarie a été
possible en Allemagne du fait d'un asservissement grandissant
à une figure du maître, portée:
1) par un discours théorique
2) et par un dispositif scénique - les grands meetings,
les "grands-messes hitlériennes":
1) Un discours théorique:
"Mein Kampf", qu'il faut avoir lu pour y voir
la parenté avec les assertions de l'extrême-droite
contemporaine:
- le maire d'Orange, citant A. Carrel: "Les faibles
sont conservés comme les plus forts, la sélection
naturelle ne se fait plus. Nul ne sait quel sera le futur
d'une race ainsi protégée par les sciences
médicales". (cité dans "Alerte-Orange")
Les biologistes, les généticiens, les anthropologues,
tous sont d'accord pour dire que "les races",
au sens de la langue vulgaire ( race blanche, noire, etc...),
n'existent pas
-Le grand chef charismatique lui-même : "En
privilégiant, en favorisant par trop les faibles
dans tous les domaines, on affaiblit le corps social en
général . On fait exactement l'inverse de
ce que font les éleveurs de chiens et de chevaux"
( in J.P Apparu : "La droite aujourd'hui").
Sait-on que, à l'hôpital psychiatrique du
Vinatier, à Lyon, pendant l'Occupation les malades
sont morts de faim, parce qu'on ne les nourrissait pas,
mais il faut savoir aussi qu'on leur faisait des prises
de sang quasi-quotidiennes pour suivre la chute des protéines
dans l'organisme ! (cf. le livre de Max Lafont)
Et sait-on aussi que les premiers essais d'extermination
de masse sous le 3ème Reich, furent entrepris contre
les personnes handicapées?
2) Quant aux grands messes charismatiques
Outre le caractère spectaculaire des rassemblements
visant à maintenir la ferveur pour le grand chef
médiatique -- le dernier en date, le 11 Novembre
à Carpentras, en était un, avec son lot
de débordement ( plusieurs plaintes ont été
déposées pour coups et blessures),je citerai
là un article de Rinke Van Den Brink, paru dans
le monde diplomatique de Décembre 1995 ( extrait
d'un ouvrage à paraître en février
96 : "L'Internationale de la haine. L'extrême-droite
en Europe de l'Ouest")
L'auteur constate que l'extrême-droite fait des
scores différents selon les pays européens
étudiés sous l'angle de la xénophobie,
du mode de scrutin électoral, ainsi que des conditions
du contexte social
Même si la situation sociale constitue un facteur
important de l'épanouissement de l'extrême-droite,
certains pays, tel l'Autriche, ont un taux de chômage
bas et une couverture sociale développée,
avec une extrême-droite qui ne cesse de progresser.
Au contraire, l'Espagne, le Portugal ou la Grèce,
avec un contexte social très difficile, ne présentent
pas une percée significative des partis d'extrême-droite.
"Si la xénophobie et le système électoral
ne suffisent pas à expliquer les succès
des partis d'extrême-droite, c'est que d'autres
facteurs jouent leur rôle" écrit Rinke
Van Den Brink, qui précise que la lutte entre factions
rivales d'extrême-droite, ainsi que la façon
dont sont mis en application les moyens répressifs
condamnant la provocation à la haine raciale"
sont, dans des pays comme l'Allemagne ou les Pays-Bas,
des éléments permettant d'expliquer la faiblesse
de l'implantation de ces partis fascisants.
Mais il ajoute ceci: - Tous les mouvements d'extrême-droite
à succès sont des Fûhrerparteien",
menés de main de fer par des hommes Jouissant d'un
charisme certain".
E Conclusion
· Primo Levi, à la fin de
la nouvelle édition de son ouvrage "Si c'est
un homme", parue en 1976 tente de répondre
aux questions habituellement posées par des lycéens.
Je relèverai celle-ci, pour les éléments
de réponse qu'apporte Primo Levi:
"Comment s'explique la haine fanatique des nazis
pour les juifs ?" lui demande-t-on.
"En résumé, on peut affirmer que l'antisémitisme
est un cas particulier de l'intolérance ; que pendant
des siècles il a eu un caractère essentiellement
religieux; que sous le IIIème Reich, il s'est trouvé
exacerbé par les prédispositions nationalistes
et militaristes du peuple allemand, et par la "diversité"
spécifique du peuple juif; qu'il se répandit
(...) grâce à la propagande fasciste et nazie
; et que le phénomène fut porté à
son paroxysme par Hitler, dictateur maniaque.
Cependant je dois admettre que ces explications, communément
admises, ne me satisfont pas: elles sont sans mesure (..)
avec les événements qu'elles sont censées
éclairer.
(...) Peut-être que ce qui s'est passé ne
peut pas être compris, et même ne doit pas
être compris, dans la mesure où comprendre,
c'est presque justifier. (...)
Dans la haine nazie, il n'y a rien de rationnel .(...)
c'est un fruit vénéneux, issu de la funeste
souche du fascisme, et qui est en même temps au-dehors
et au-delà du fascisme même. Nous ne pouvons
pas la comprendre; mais nous pouvons et nous devons comprendre
d'où elle est issue, et nous tenir sur nos gardes
.
(...) Tous nous devons savoir, ou nous souvenir, que Hitler
ou Mussolini, lorsqu'ils parlaient en publics étaient
crus, applaudis, admiré, adorés comme des
dieux; C'étaient des "chefs charismatiques
", ils possédaient un mystérieux pouvoir
de séduction qui ne devait rien à la crédibilité
ou à la justesse des propos, qu'ils tenaient, mais
qui venait de la façon suggestive dont ils les
tenaient, à leur éloquence, à leur
faconde d'histrions, peut-être innée peut-être
patiemment étudiée et mise au point. ( ...)
Il faut rappeler que les milliers de fidèles (qui
les suivirent), et parmi eux, les exécuteurs zélés
d'ordres inhumains, (..) étaient des hommes quelconques.
Il faut donc nous méfier de ceux
qui cherchent à nous convaincre par d'autres voies
que par la raison, autrement dit, des chefs charismatiques:
nous devons bien peser notre décision avant de
déléguer à quelqu'un d'autre le pouvoir
de juger et de vouloir à notre place. Puisqu'il
est difficile de distinguer les vrais prophètes
des faux, méfions-nous de tous les prophètes
(...) Il vaut mieux renoncer aux vérités
révélées, même si nous les
trouvons commodes parce qu'on les a gratis . Il vaut mieux
se contenter d'autres vérités plus modestes(..)
de celles que l'on conquiert laborieusement (..) et qui
peuvent être vérifiées et démontrées.
Bien entendu, cette recette est trop simple pour s'appliquer
à tous les cas: il se peut qu'un nouveau fascisme
(..) naisse (..) camouflé sous d'autres noms (..)
Alors les conseils de sagesse ne servent plus et il faut
trouver les forces de résister: en cela aussi,
le souvenir de ce qui s'est passé au coeur de l'Europe,
il n'y a pas si longtemps, peut être une aide et
un avertissement.
· "Un nouveau fascisme, camouflé sous
d'autres noms ?":
Les 10 et 1l Novembre 1995 s'est tenue au Texas une conférence
sur le thème:
"Le retour du Fascisme: scandales, révisions
et idéologies depuis 1980" . Historiens et
philosophes, spécialistes américains du
fascisme d'avant-guerre ont débattu de la qualification
à donner aux mouvements d'extrême-droite
apparus en Europe depuis 1980 Mouvements fascistes au
sens historique du terme, ou phénomène nouveau?
L'historien Richard Wolin, intervenant à cette
conférence, note comment l'idée de "race"
a été réintroduite par la nouvelle
droite de façon sournoise et détournée
: " Le GRECE et le Club de l'Horloge ont remplacé
le concept de race par celui de culture, pour se distancier
d'un fascisme classique (...).
Ses théoriciens, (qui s'expriment régulièrement
dans le Figaro Magazine) ne parlent pas de culture supérieure
ou inférieure, mais de différence culturelle
. Au passage, ils récupèrent les valeurs
universelles de tolérance et de droit à
la différence, pour justifier un racisme culturel
".
Ce discours différencialiste puise ses racines
"aux sources théoriques du fascisme classique:
Gobineau (Essai sur l'inégalité des races
-1854), Drumont ( La France juive -1880) dénonçaient
déjà le danger pour une nation de succomber
au mélange racial et culturel ".
Quoi qu'il en soit de la réponse
que les historiens invités ont pu apporter à
la question de la qualification à donner aux mouvements
d'extrême-droites européens, et plus particulièrement
français, dont l'analyse a occupé l'essentiel
du débat, la tenue même de cette conférence
indique la dangerosité des thèses introduites
dans le discours social
La question se pose aujourd'hui de savoir en quoi ce discours,
énoncé de plus en plus haut et fort, correspond
à une mise à mal des tabous: celui du meurtre,
sur le corps de l'autre, tout autant que sur le symbolique.
En quoi donc ce discours se veut dévoilement d'un
mythe qui pourrait faire origine pour la mise en place
d'un lien social dont la particularité première
serait d'instaurer l'exclusion de l'autre comme horizon.
Bien que cette proposition soit paradoxale dans la mesure
où, en toute logique, un individu est toujours
l'autre de quelqu'un, elle se base sur le renforcement
du narcissisme d'une part et sur la mise en fonction de
l'agressivité à l'égard de l'autre
-étranger, à partir d'une idéalisation
sur un tiers, jouant de la fascination qu'il exerce et
plus particulièrement dans l'ordre symbolique,
par la jubilation narcissique qu'il provoque comme en
miroir d'une jubilation fondatrice pour chaque humain.
En effet, pour fonder un lien social, il faut toujours
une instance tierce, laquelle n'est autre que l'ordre
du langage.
"Si la structure narcissique est une
condition sine qua non pour l'instauration d'une communauté
humaine, elle recèle foncièrement de l'agressivité:
laquelle permet l'existence d'une société
autant qu'elle la menace de désintégration
"( Daniel Koren-p 160)
Autrement dit, le lien social que nous propose
l'extrême-droite s'appuie sur une construction paranoïaque
du monde, mise en place d'idéal du moi, lorsque
les idéaux qui faisaient lien social jusqu'alors
se sont effilochés.
Cette fonction d'idéal est pourtant inhérente
à tout lien social, mais pour que cette fonction
de l'idéal du moi occupe une place privilégiée
en tant que fonction pacifiante, faut-il encore qu'elle
ne soit pas dans un registre pervers quant au langage
lui-même, faut-il qu'elle en soit le représentant
et non qu'elle tente d'en être l'origine et de vouloir
être, non pas le représentant de la loi commune,
mais le pouvoir absolu qui institue "un nouvel ordre"
La falsification de l'Histoire, les tentatives
d'effacement de la mémoire collective sont une
des manières pour l'extrême-droite internationale
d'apparaître comme créatrice d'un monde nouveau,
point d'origine, nouveau mythe : "ni droite, ni gauche,
la France".
Mais ce mythe, à y regarder de plus
prés, n'a rien de nouveau, en cela qu'il prend
sa source dans le mythe nazi de" la race pure"
: La France qui cache "le français de souche"
est un autre nom de" la race pure"
C'est parce qu'ils voulaient transmettre l'horreur des
camps que les survivants ont mis à mal ce fantasme
nazi monstrueux : donner une nouvelle origine à
"l'humanité" : la race pure.
En témoignant, ils ont affirmé cette proposition
: "Je suis un homme", c'est à dire une
proposition qui signifie "Je suis semblable à
celui qu'en le reconnaissant comme homme, je fonde à
me reconnaître comme tel" ( Lacan. Ecrits p
809)
Lorsque le chef charismatique de l'extrême-droite
française dit, à Carpentras, le 1l novembre
1995: "Je préfère les juifs français
aux juifs étrangers", il est dans le premier
temps d'un programme qui, dans l'histoire de France, à
la période de Vichy, partant de la xénophobie,
s'est poursuivi par l'innommable des camps d'extermination.
Il est donc, au coeur même de la Cité Comtadine,
dans une entreprise de déliaison des liens sociaux,
à l'intérieur d'une même communauté,
attisant les pulsions agressives envers le plus proche,
le plus semblable, pulsions que Freud et Lacan renvoient
à ce moment constitutif de l'identité du
petit homme, qui, pour se constituer, doit se constituer
contre un autre .(**4),et (**5)
La clinique psychanalytique en témoigne: La présence
pacifiante de la parole d'un tiers qui apporte du symbolique,
est alors la seule limite au pulsionnel.
Le prix à payer, pour l'humain qui occupe cette
place de "dire la Loi commune" est un renoncement
à la toute-puissance de l'absolu (en psychanalyse
ce renoncement a nom : la "castration symbolique").
Cette parole, précisément, dit : "
La loi est la même pour tous, y compris pour moi-même!
".Autrement dit : "je porte témoignage,
par ma parole, qu'une loi commune existe dont je ne puis
être le créateur, puisqu'elle m'inclut et
me transcende ".
Outre les lois de la République,
c'est aussi cette loi symbolique avec son prix à
payer: le renoncement à la toute-puissance de l'absolu,
que l'extrême-droite française conteste depuis
tant d'années déjà par l'entremise
de son chef charismatique.
Outre les lois de la République, c'est cette loi
symbolique qui oeuvre dans le champ culturel et social
que l'extrême-droite met à mal dans les villes
où elle a pris le pouvoir.
Simone Molina.
Nov 1995 - Février 1996
Notes
1)Il me faut dire ici que la tenue
même de ce colloque s'est heurtée à
de nombreuses difficultés, la Mairie de Carpentras
étant revenue sur son accord de nous prêter
la salle polyvalente, il nous fallut en louer une au débotté
et à moindre frais à Carpentras-Serre, grâce
à la solidarité- que ce projet entraîna
dans l'opinion.
1bis )C'est dans ce contexte que le journal "Libération"
le 15 Mai 1990,après la manifestation qui eut lieu
à Paris, titrait par ce simple mot: "le Sursaut".
1ter) Mais l'on sait que les électeurs du
FN ne sont pas que des personnes en grande difficulté
sociale.
2) Il semble que le tribun vendéen vient
de se réveiller à Carpentras -encore ! -
lors d'une conférence organisée .. .sur
le SIDA! et prônant la dangerosité du préservatif.
Des tracts ont été distribués à
la sortie des écoles pour appeler à une
réunion et un film vidéo "anti-IVG"
a été projeté aux élèves
de l'école" les Chênes" ."
Le Sursaut", organisation née du refus de
voir Le Pen parader à Carpentras, a dénoncé
cette manuvre.
3) Le recours aux chiffres et aux
sondages n'a rien à voir avec la recherche scientifique,
mais l'on entend couramment: "c'est prouvé
scientifiquement "sous prétexte que l'on appuie
une argumentation sur une statistique!. Les théoriciens
de l'extrême-droite savent aussi manipuler les chiffres!
Ils ne sont, hélas, pas les seuls à s'en
servir comme s'il s'agissait d'une science et non d'une
technique.
4) Akram Ellyas, journaliste, dans un article du
Monde Diplomatique de Février 96 écrit,
à propos de ce qu'il nomme " Le repli communautaire
à Sarcelles", ville sur laquelle il a enquêté,
et qui voit se côtoyer "des habitants d'origine
maghrébine, africaine, antillaise ou encore de
confession juive ou musulmane":
Le temps des potes est terminé. Les jeunes ne jurent
plus que" par la communauté" ou"
la religion " et ne croient plus au métissage"
. (..)
"La ville devient un territoire que l'on doit garder"
pour les siens " en affrontant, même violemment,
les autres, suspectés de vouloir s'étendre
à tout prix.
Le F.N pourrait bel et bien être le
premier bénéficiaire de cette situation.
(...) La nouveauté est que ses militants, "ces
croisés de la préférence nationale
savent utiliser au mieux les tensions communautaires en
faisant des Maghrébins des interlocuteurs privilégiés.
Des familles d'origine marocaine ou algérienne
avouent sans sourciller avoir l'intention de voter pour
le FN afin d'aider" à nettoyer la ville"."
L'auteur de cet article conclut: "Pour les spécialistes
qui travaillent sur le terrain, le principal responsable
de cette lente dérive vers la violence est l'absence
de l'Etat", sur le plan des transports par exemple.
5) Dans le livre récemment
paru de Claude Mossé, "Carpentras - la profanation",
l'auteur nous donne à entendre combien il y a contradiction
entre le fait de se revendiquer "de souche",
(comme si être "de souche comtadine" légitimait
quoique ce soit du fait de vivre quelque part ! ) et en
même temps de fustiger les thèses d'extrême-droite
sur la préférence nationale. Ce paradoxe
apparaît criant lorsqu'il oppose les "juifs
comtadins" (de souche) et les juifs venus d'Afrique
du Nord ( supposés être propagandistes des
thèses de l'extrême-droite). Il faut savoir
que c'est sur ce terreau que ces thèses s'implantent.
(cf. 4) Faut-il le rappeler à M. Mossé?:
Nous faisons tous partie d'une minorité, à
un titre ou un autre. Il y a toujours une minorité
- fut-elle majoritaire en nombre - en réserve d'être
constituée comme telle, et comme objet de persécution
possible.
6) Le livre récemment paru
: "Destins juifs" de Pierre Birnbaum, retrace
cette histoire.
7) Il semble que la culpabilité,
le sentiment d'une faute trop lourde à porter ait
contribué à ce que l'un des profanateurs
se dénonce, entraînant l'arrestation des
autres membres du groupe. Mais on peut supposer que la
disparition du " chef ", à qui serment
avait été donné de ne rien dire,
ait été un autre élément,
et non des moindres, du passage enfin possible à
la parole sur cet acte soumis à " malédiction
".

· PRESENTATION
GENERALE DE L'ACTION "THEATRE D'IMPROVISATION"
par Hélène Brogniart,
directrice de la Maison des Jeunes et de la Culture d'Apt,
· SITUATION
DES JEUNES DU CENTRE SOCIAL ET DE LEUR LANGAGE
par Chantal
Delmas, administratrice du Centre Social-Maison Bonhomme
d'Apt,
·
LEUR EVOLUTION PERSONNELLE PAR RAPPORT À L'EXPRESSION
THEATRALE
par Christian
Luciani, comédien et animateur-théâtre
de la Compagnie "la
Bande du Roy René"
PRESENTATION GENERALE DE L'ACTION
THEATRE D'IMPROVISATIONS
Une réflexion commune sur les pratiques culturelles
différentes des jeunes menée par le centre
social Maison Bonhomme et la M.J.C. d'Apt nous a amenés
à faire un certain nombre de constats:
- le théâtre, activité
de la M.J.C. regroupe beaucoup de jeunes entre 12 et 18
ans (garçons et filles). Ces jeunes viennent au
départ en faisant une démarche individuelle
et acceptent les conditions d'inscription: paiement d'une
carte annuelle et d'une cotisation pour l'activité.
Ils sont tous lycéens et habitent Apt ou les villages
voisins du Pays d'Apt.
- en Juin 93 un groupe de cette activité
a créé une représentation, "seuls",
sans l'aide de l'animateur; à la même période,
un groupe de jeunes du Centre Social montait une pièce
dans le cadre d'un stage avec un animateur du quartier.
Alors que les jeunes du Centre Social ne font pas la démarche
individuelle de s'inscrire à une activité
telle que le théâtre, ils se sont mobilisés
d'une façon intensive pour produire un spectacle
intitulé "le chemin sans espoir" par
la troupe les 'Z'Oeils au beurre noir". Le sens exprimé
dans les deux représentations était le même:
le rejet, la maladie, le sida, la drogue, la mort pas
d'espoir et peur de l'avenir.
- les équipes éducatives du
Centre Social et de la M.J.C. étaient décidées
alors à trouver une forme théâtrale
légère techniquement qui mette ces jeunes
en relation, car même si leurs pratiques culturelles
sont différentes, leurs problèmes, leurs
angoisses, leur isolement, leur exclusion sont ressentis
de la même façon.
Nous avons alors pensé au théâtre
d'improvisation s'inspirant des matches d'impros dont
l'origine est canadienne et qui fonctionne sur un mode
sportif (le hockey sur glace).
Le principe est le tirage au sort d'un thème, quelques
minutes de réflexion sont accordées aux
équipes qui concourent et qui expriment leur trouvailles
en un temps limité à 5 ou 10 minutes. Puis
le public est invité à voter à l'aide
de panneaux de couleur correspondant aux tee-shirts de
couleur portés par les acteurs.
Dans ce même temps, nous étions
sollicités par une association de prévention
l'A.P.I.S.T (association pour la prévention et
l'information sur le sida et les toxicomanies en Vaucluse)
qui souhaitait présenter un travail de chanson
rap, réalisé par des jeunes d'un quartier
d'Avignon, parlant de la prévention contre le sida.
Nous avons choisi ce concours de circonstances
pour réunir les jeunes de la M.J.C. et du centre
social afin de leur présenter cette cassette et
nous leur avons proposé une première rencontre
de théâtre d'improvisation dont le thème
tout choisi était le sida.
L'enthousiasme des jeunes nous a convaincu
que ce moyen d'expression et de rencontre leur convenait,
nous avons donc structuré cette manifestation dans
le temps et cherché des financements pour la poursuivre.
L'association APIST a demandé une
subvention au Conseil Général pour nous
soutenir ainsi que le C.C.P.D. d'Apt (conseil communal
et de prévention de la délinquance).
Nous avons alors programmé une rencontre
mensuelle dénommée "entraînements",
et des représentations publiques intégrées
à des manifestations culturelles locales:
- une fête du livre en avril (thèmes
95: inventions et humour,96: rythmes et rimes),
- la journée du sida du premier décembre,
- une représentation en plein air, fin juin, sur
une place centrale d'Apt.
Pour les représentation publiques,
nous sortons le grand jeu: tee-shirts, musique ou vidéo
(journée du sida), panneaux de couleur pour le
vote du public, affichage des scores, 1'arbitre et son
sifflet.
Pour les entraînements, nous tenons
à garder un aspect informel, spontané, ouvert,
libre et convivial ; nous partageons des pizzas à
la fin de chaque rencontre mensuelle et buvons du coca-cola.
Avec l'A.P.I.S.T dont un représentant ou deux sont
présents chaque fois, nous avons également
improvisé pour trouver une forme d'expression et
d'échange avec les jeunes afin de ménager
un temps de parole. Le temps de discussion s'est avéré
intéressant car les jeunes peuvent alors comprendre
la difficulté entre ce que l'on veut exprimer et
ce qui est compris ; nous avons également mesuré
leur bon niveau d'information sur le sida et leur souhait
d'être porteurs de messages de santé et donc
de dépasser la simple expression pour vouloir dire
des choses et devenir acteur de prévention.
Ces entraînements sont un laboratoire
qui nous permet de repérer quelques signes sur
l'évolution des groupes, les évolutions
personnelles et l'évolution de leur expression.
Mais le signe le plus important pour nous est celui du
plaisir que nous avons, jeunes et adultes à partager
ensemble ce moment. Je n'en citerai que quelques uns avant
de laisser la parole à Chantal et à Christian
qui approfondiront ces aspects:
- mélange des jeunes du centre social
et de la M.J.C dans les équipes au bout de quelques
séances,
- équipe de filles maghrébines
qui nous ont rejoint,
- constitution d'équipes mixtes (garçons
et filles),
- pas de compétition mais une relation
d'entraide et de soutien entre les équipes,
- au moment de la collation beaucoup d'échanges
entre les jeunes et les adultes, un rituel s'est instauré
où chacun a sa place (en général
les garçons du centre social passent derrière
le bar et servent). Le ménage et le rangement sont
également pris en charge collectivement,
- des jeunes ne participant pas aux activités
de la M.J.C. et du centre social commencent également
à venir participer spontanément et s'intègrent
facilement.
Pour conclure:
Nous sommes conscients que beaucoup de choses
nous échappent, que nous n'avons pas de théories
à tirer de cette expérience d'animation
de jeunes.
Mais nous sommes convaincus que ce moment
est important, car depuis 2 ans, nous avons organisé
18 entraînements, 5 manifestations publiques et
nous constatons un nombre croissant de jeunes qui viennent
librement participer, l'information se fait spontanément
entre les jeunes (pas besoin d'un budget communication
important) et surtout, nous ressentons un grand moment
de bien-être partagé et personnellement je
ressens toujours un émerveillement à constater
leur:
Imagination,
Humour,
Aisance à parler du sexe, et des relations interpersonnelles
Bon niveau de culture politique,
Bonne information sur les problèmes de santé.
Helène BROGNIARD
PRESENTATION DU GROUPE DE
JEUNES DU CENTRE SOCIAL -MAISON BONHOMME-
Ces jeunes vivent dans des quartiers d'HLM
de la ville d'Apt qui ont une image un peu dévalorisée.
Là, se retrouvent des familles assez nombreuses,
d'origine soit maghrébine, soit espagnole, soit
italienne, et des familles monoparentales à très
petit budget.
Le noyau principal de ce groupe est constitué de
jeunes des quartiers St Joseph et St Antoine qui avaient
vu leurs aînés réaliser une expérience
théâtrale avec l'aide d'un animateur issu
du quartier. Désirant créer une "pièce",
le choix du nom de la troupe " les z'oeils au beurre
noir" et d'un thème la vie en quelques tableaux
du héros, Momo, subissant des rejets successifs
: l'école, l'ANPE, le café, le squat pour
terminer sa vie drogué et sidéen, donnaient
une idée de leur mal vivre.
Aussi quand la MJC a proposé cette
forme de théâtre d'improvisation, avec l'animatrice
du centre social s'est constituée une équipe
désireuse de montrer ce qu'elle savait faire. A
ce noyau initial se sont très vite ajoutés
des jeunes du centre ville et d'un autre quartier HLM,
Le Paou. au total une bonne quinzaine de participants
réguliers auxquels s'ajoutaient cinq ou six autres
occasionnellement. Les filles sont majoritaires.
Le langage employé dans ces quartiers
tourne d'abord autour de quelques expressions devenues
célèbres maintenant: bonjour, enculé
- va niquer ta mère etc.... car on se parle en
s'agressant, en s'envoyant quelques injures à la
figure. Comment avec ce parler quotidien allait se dérouler
cette expérience théâtrale?
Autre question, la distinction entre les
rôles des hommes et des femmes est très stéréotypée,
avec des places et des tâches définies, la
mixité est mal vue par certains parents. Comment
se passerait donc la mise en équipes d'impro?
L'appartenance un certain groupe qui se
distingue en restant lové sur lui-même (peu
de mélanges dans la cour du collège par
exemple...), allait-il être un frein et empêcher
une expression plus universelle?
Parmi ces jeunes, certains n'ont pas un bon parcours scolaire
mais quelques uns suivent bien avec seulement des problèmes
de discipline qui se manifestent souvent.
Dans les premières rencontres, les
jeunes de ce groupe a d'abord fait passer quelques éléments
de leur vie quotidienne et s'est centré sur des
personnages connus ainsi que des comportements habituels
pour eux : l'autorité paternelle, le repas autour
du couscous, la mère nourricière etc...
quels que soient les thèmes abordés. Par
contre lorsqu'il s'est agi du sida, de la drogue et de
ses effets, ils avaient une bonne information même
sur le plan scientifique.
Peu à peu qu'a-t-on pu observer?
Le langage s'est modifié avec des
manières de s'exprimer comportant toujours une
bonne dose d'ironie, de moquerie de soi. Le vocabulaire
qui malgré les apparences, est riche, est sorti
au bon moment. Les connaissances sur des sujets fort divers
montrent qu'ils ont assimilé des savoirs présentés
soit en classe, soit à la télévision
; l'observation de tous les jours, les discussions entre
eux ou avec des adultes ont laissé des traces très
intéressantes.
Peu à peu les équipes se sont
modifiées, sont devenues mixtes à l'intérieur
de leur groupe et se sont mélangées aux
jeunes de l'atelier M.J.C. L'espèce de pression
qui jouait pour qu'ils se retrouvent toujours entre eux,
et en reproduisant les clivages géographiques,
garçons/filles, copains, etc... s'est estompée.
Par ailleurs, sur le plan individuel, des
modifications se remarquent dans le sens d'une reconnaissance
par chacun d'entre eux de sa valeur individuelle. L'un
d'entre eux, par exemple, après avoir créé
en improvisation de la poésie, a accepté,
d'aller seul, redire ses créations dans le cadre
d'un café théâtre d'une autre ville.
Certains effets de cette autonomisation se sont surtout
révélés lors d'un voyage d'une semaine
pendant les vacances de printemps 96, où une quinzaine
d'entre eux sont allés découvrir les volcans
d'Auvergne et le futuroscope à Poitiers. Certaines
filles se sont libérées pour pouvoir parler
avec leurs animatrices et les autres membres du groupe
de ce qui leur tenait à coeur, sans se censurer.
Les échanges avec les jeunes de la MJC se sont
vite concrétisés en dehors des temps d'entraînement
ou de rencontres d'impro : dans la cour du collège,
dans la ville... des camaraderies sont nées. Ce
n'est peut-être pas encore suffisant pour un désenclavement
car les familles tiennent à ce que les jeunes restent
sur les quartiers, pas trop loin d'elles. Mais la rencontre
avec d'autres jeunes a fait tomber des barrières.
Les questions sur la drogue, le sida, la
mort qui sont en arrière-plan de leurs préoccupations,
trouvent des commencements de réponses par la liberté
de parole car il n'y a pas de tabous dans ce travail d'improvisation
autres que ceux que chacun se donne. Leur plaisir à
mettre en scène des situations où les personnages
sont presque réels les amènent maintenant
à souhaiter présenter à d'autres
jeunes ce qu'ils sont capables de se dire entre eux, ce
"eux" englobant les jeunes de l'atelier théâtre
qu'ils ne considèrent plus totalement comme des
"étrangers". On n'est plus étranger
car on a quelque chose à dire ensemble.
Enfin une dernière observation est
à souligner. Cette expérience a été
l'occasion de rencontrer des adultes en dehors de leur
environnement habituel (école, quartier) et de
se sentir reconnus. L'accueil de la MJC si chaleureux,
si attentif mais aussi exigeant une certaine régularité,
une certaine discipline, leur a apporté énormément
d'atouts pour se poser, se regarder et repartir avec d'autres
orientations.
Chantal DELMAS
EXPRESSION THEATRALE
ET EVOLUTION PERSONNELLES
Dans l'expression théâtrale, l'improvisation
a une place, pour nous, aussi importante que l'analyse
du texte ou la construction du personnage.
Improviser, c'est composer sur le champ
et sans préparation, c'est-à-dire créer
à mesure, inventer sans préméditation.
L'improvisation part du désir naïf d'inventer
à chaque fois à partir de rien.
En fait, l'improvisation naît de l'imaginaire de
l'acteur dans son propre milieu, à travers ses
propres expériences et s'exprime dans la plénitude
de son langage sans contrainte, ni censure extérieure.
Le match d'impro, lui, prend sa valeur dans le langage
dramatique: en tant que spectacle, il est système
d'expression, de communication et de signification, de
tout ce qui n'obéit pas à la seule manifestation
par la parole, le monologue ou le dialogue.
Le langage dramatique est alors offert au spectateur actif
qui le décrypte.
L'improvisation, qui n'était qu'un
élément de l'expression théâtrale
pratiqué au sein de l'atelier théâtre
de la MJC, nous paraissait encore plus intéressante
au travers des matches d'improvisation (qui n'ont de matches
que le nom : il n'y a jamais de vainqueur final et encore
moins de récompense) pour favoriser la rencontre
de groupes aussi différents que ceux de la MJC
et du Centre Social, ainsi que l'évolution personnelle
de chacun des participants.
Les spectateurs, dans les premières rencontres,
furent totalement déstabilisés par la différence
entre le langage des deux groupes: chaque groupe s'engageait
dans une identité stéréotypée
pour valoriser son langage et remporter la victoire.
La collation, après le spectacle,
favorisa l'échange, les barrières tombèrent
et au fur et à mesure des 15 rencontres, les langages
se sont croisés et enrichis mutuellement. Ils sont
à la base de la compré-hension et de la
reconnaissance de l'autre groupe.
Sur le plan individuel, en dehors de la reconnaissance,
de la valorisation et de la communication maîtrisée
qu'apporte la pratique théâtrale, ce qui
nous a le plus frappé, c'est le fait que les professeurs
du collège et du lycée ont subitement découvert
que leurs élèves les plus difficiles - ceux
qui ne participent jamais pendant un cours - dans ces
matches d'improvisations, démontraient un imaginaire,
une expression maîtrisée et une participation
au travail en groupe qu'ils n'avaient jamais soupçonné.
Les groupes, à travers le jeu, sont devenus complices
et les spectateurs sont à leur tour entrés
dans ce plaisir de l'échange: le message fut alors
facilement décrypté.
Ce qui a grandement favorisé la richesse
de cette expérience, c'est le choix des thèmes
proposés à travers des situations le plus
ouvertes possible dans leur formulation tout en restant
dans un monde qui leur est proche, dans des préoccupations
qui sont les leurs.
En conclusion, improvisation et langage
dramatique ont abattu l'enfermement dans lequel vivait
chacun des groupes, grâce à la reconnaissance
et à l'échange véhiculés par
le langage et, en corollaire, ont favorisé l'évolution
individuelle des membres des deux groupes.
Ces matches d'Impros sont de vraies rencontres.
Christian LUCIANI
Visiter
la page de la troupe théatrale "La
bande du Roy René"

Dr René
PANDELON
INTRODUCTION
Créé il y a six ans, l'Atelier "Marie
Laurençin" est un atelier d'arts plastiques
offrant aux patients - psychotiques notamment - un lieu
de création.
Il se veut un site d'accueil et d'émergence,
et pour ce, chaque participant est soutenu dans son travail
créateur par une équipe psychothérapique
et aidé par des intervenants extérieurs
artistes, peintre et plasticien.
Cet atelier n'est qu'un des lieux d'un "Espace
Intersectoriel de Création Artistique" avec:
· le Théâtre de l'Autre
Scène,
· l'Atelier d'Ecriture "Papiers de Soi",
· et la chorale "Il était une voix"
D'autres ateliers - photographie, danse,
costumes, haute couture sont en cours de mise en place.
Tous ces ateliers ont un projet et un fonctionnement semblables:
- Animation par une équipe composée
de soignants et de techniciens-artistes, recrutés
ex qualité.
- Réalisation d'oeuvres, individuelles ou collectives
(oeuvre écrite, peinture, sculpture, pièce
de théâtre ou concert...) susceptibles d'être
exposées, montrées au public, inscrites
dans un circuit d'échanges socio-économiques.
- Accueil de toute personne voulant venir y travailler
soignants, public extérieur, patients hospitalisés
ou suivis en ambulatoire, mais plus spécifiquement
patients psychotiques, au centre de l'élaboration
théorique objet de ce travail.
RAPPEL :FORCLUSION,
CONSTRUCTION, CREATION
Nous rappellerons brièvement qu'à
la suite de Jacques LACAN, nous repérons la Forclusion
du Signifiant du Nom du Père comme trouble fondamental
dans la Psychose, "trou dans le symbolique"
dont nous voulons souligner deux aspects:
* d'une part que par le vide qu'elle crée
la forclusion fonctionne comme un "pousse à
créer"
"La forclusion du Nom du Pire et de la signification
phallique oblige le psychotique soit à délirer,
soit à crier une oeuvre"
Jo.Attié (1)
En témoignent tant les "constructions
délirantes" que la propension des psychotiques
à créer quelque chose: écrits logomachiques
ou luxuriants, dessins répétitifs ou explosions
colorées, objets en terre, en bois ou en chiffon...
* d'autre part qu'elle place le psychotique hors du discours
(et non hors du langage) l'obligeant à inventer
une solution pour faire "lien social" (le névrotique
y accédant par le discours qu'autorise la structure
de l'Oedipe).
Cette notion d'obligation semble antinomique
de celle de Création, qui signe une invention "ex-nihilo"
du Sujet, mais elle souligne que cette création,
comme le discours dont elle peut prendre place, vient
de l'Autre.
CREATION, SUBLIMATION, SINTHOME
Quel est le statut de la construction -
création chez le psychotique?
Il nous parait à être distingué
nettement de celui de la Sublimation chez le névrotique.
En effet chez celui-ci, la Sublimation suppose
un temps préalable de passage par l'Oedipe, de
reconnaissance de la Castration et d'abandon de la jouissance
de la "Chose", pour accéder à
la jouissance phallique.
La Sublimation part du manque et le reproduit
tout au long de son processus. Elle opère avec
du Signifiant (du Symbolique) pour essayer d'accéder
à cette jouissance à jamais perdue, mettant
à la place du vide l'objet d'art ou le fantasme.
Elle peut toucher à la Création
en élevant l'objet d'Art au rang de la "Chose",
en faisant résonner chez l'autre, l'écho
de la jouissance perdue.
A l'inverse de la Sublimation, la Création
chez le psychotique, opère du Réel vers
le Symbolique. A partir du trop de jouissance qui l'envahit,
le psychotique va tenter en "en projetant des paquets"
de faire naître ce vide non advenu, de créer
le cadre où se délimite une place qui serait
sienne comme Sujet.
Elle n'est pas en première intention
un appel à l'Autre, mais plutôt une tentative
de se séparer de l'Autre (non barré), de
faire un trou dans l'Autre; point réel, vide à
partir duquel quelque chose de l'ordre de la Suppléance
pourra s'élaborer (le Signifiant du Nom du Père
n'étant lui-même qu'un tenant lieu faisant
suppléance dans l'Autre "à ce qui manque
pour que le sujet y trouve sa place" A. MENARD (4)
Cette fonction de Suppléance de la
Création que nous avons développé
par ailleurs (cf. (6)) est à situer dans les trois
registres:
- Imaginaire : comme "objet" imaginaire
ou support d'Identification à un semblable,
- Symbolique : par la logique propre au processus de création,
en tissant des rapports formels entre les signifiants
(S2 S3) pouvant constituer un "tenant lieu"
de Symbolique.
- Réel: Et c'est là que nous situons spécifiquement
l'intérêt de la Création, en tant
qu'elle est susceptible de faire lien social pour le tableau,
l'objet d'Art (ou appel à lien social pour toute
production pour peu qu'elle soit authentifiée 'au
champ de l'Autre). Et ce en (ré) inscrivant le
psychotique dans un bain de langage (paroles, commentaires
voire études sur l'oeuvre) et dans un circuit d'échanges.
Mais pour ce faire, pour que la construction devienne
création - et si toute création est une
construction, toute construction n'est pas création
, elle nécessite d'une part quelque chose de l'ordre
de l'invention "ex-nihilo" et d'autre part une
authentification.
C'est dans cet accès de la construction
au statut de création que va se poser pour nous
la question du Style.
Pour Alain, cette accession au "Style"
va bouleverser son existence.
Agé de 47 ans, schizophrène,
longtemps hospitalisé à plein temps, il
a toujours peint (ou eu envie de peindre). Activité
épinglée lors de sa première hospitalisation
comme symptôme délirant "A son entrée,
voulait faire de la peinture, fermement décidé
à réaliser des tableaux... Cette préoccupation
s'estompe et il la critique comme faisant partie d'une
période où il n'était pas bien".
Il persiste cependant dans cette volonté,
et quelques années plus tard, toujours hospitalisé,
il est, dit-on, "capable, de reproduire des cartes
postales e: des animaux à partir de photos couleur,
en gardant le même format".
Conduite stéréotypée,
répétitive semblable à d'autres symptômes
paralysant son existence.
A l'Atelier, stimulé par l'artiste
peintre, soutenu dans ces accès d'angoisse par
l'équipe thérapeutique, il s'immerge dans
son travail et sa peinture évolue éclate,
avec l'utilisation de grands formats, en "des toiles
profondes hautes en couleur et riches en pâte",
"entre expressionnisme abstraite! abstraction lyrique".
Son état psychique s'améliore;
sa vie se transforme à partir de l'accès
à un Style que signe l'identification de ses peintures
par un public de connaisseurs lors des premières
expositions "C'est un Alain..." et le vol de
deux de ses toiles qu'il vivra comme une consécration.
STYLE ET SUPPLEANCE
Qu'est-ce que le Style?
Avoir du style dit-on, c'est s'affirmer
comme un être d'exception, manifester sa différence,
livrer un message singulier qui n'a jamais été
dit, dans un langage étranger à toute langue,
par la vérité d'un sensible à nul
autre pareil.
(Définition à rapprocher de
celle de l'Art Brut qui trouble, bouleverse, met sans
dessus dessous les repères établis, dont
les auteurs "tirent tout de leur propre fonds").
Mais cela (avoir du Style, un Style) nécessite
une rencontre avec l'autre et une authentification au
champ de l'Autre, car le Style se mesure à l'expressivité
de l'oeuvre, à ce surcroît de sens qui sollicite
l'expérience vive du récepteur ("faisant
écho chez lui à la jouissance perdu e...").
Avoir du Style, ce n'est plus l'auteur qui
parle à la première personne, c'est l'oeuvre
qui parle, c'est elle qui porte témoignage, le
créateur n'étant rien d'autre que le fils
de ses oeuvres.
Le psychotique est lui-même dans son
oeuvre, dans son résultat comme dans sa mise en
forme. Dans ce processus d'être dans l'oeuvre, il
essaie de rétablir de "l'Un", de laisser
une empreinte, une marque, ayant valeur d'acte "d'instauration
du sujet comme tel"
(cf. J.OURY (5)).
Mais c'est par le Style qu'il pourra atteindre
à cette "individuation", à cette
nomination, son oeuvre opérant comme tenant lieu
de Sl.
Le Style n'a une fonction individuante que
parce que c'est un individu qui le crée. il est
issu des profondeurs du corps. Il est la trace d'un geste,
mais il en est aussi la maîtrise, et si naturel
qu'il soit il se conquiert.
Reflet nu du créateur, signature de l'oeuvre, il
est un tenant lieu de "trait unaire", marque
d'une différence pure, ébauche d'une Identification
Symbolique.
Viviane, a elle aussi toujours peint, vécu
en rapport avec la peinture.
Toute jeune, elle a été l'amie
d'une artiste, le modèle et la maîtresse
d'un peintre.
C'est lui "qui lui a appris l'orange",
et dans son délire les couleurs vivent et s'entrechoquent
: " le jaune - l'amour altruiste et la morale triste
- ; l'orange de sa jeunesse et du bonheur; le rouge de
la vie et des menstrues ; le bleu de l'apaisement, le
rose, et le noir".
Elle peint "n'utilisant qu'un espace
réduit de la feuille, sans rincer son pinceau -
d'où un amalgame de couleurs uniformes - et en
projetant d'épaisses couches de peinture".
A l'Atelier, sa peinture va rapidement s'éclairer,
s'affirmer, envahir son existence:
- "Je suis tout le temps prise par
la peinture, je n'ai pas le temps d'être amoureuse",
puis la faire ex-sister
- "le plus important, c'est mes tableaux"
- "Maintenant, je peins comme un peintre italien.
On ne peut plus me faire revenir en arrière parce
que maintenant je suis un peintre"
- "le tableau c'est moi qui le fait mais ce n'est
pas moi que je dessine"
pour lui permettre enfin d'affirmer un jour
"Je me signe", en choisissant et nommant quelques
unes de ses oeuvres en vue d'une exposition prochaine.
Le Style est donc individuel:
ce n'est pas la langue, ou la syntaxe, ni même le
discours, c'est l'accent.
Mais si sa vérité est d'être singulier,
cette singularité suppose son accession à
l'absolu de la Valeur, à l'Universel.
Pour qu'il y ait création il faut, nous l'avons
dit, invention "ex nihilo" mais aussi reconnaissance,
écho chez l'autre de la jouissance perdue, de la
"Chose" dans son universalité.
"Le style c'est l'homme... à
qui l'on s'adresse" dit LACAN (2), soulignant que
comme dans le langage notre message nous vient de l'Autre
sous une forme inversée.
Et si le Style, à partir duquel l'oeuvre
s'ouvre à l'échange, part de cette oeuvre
et de son auteur, il lui revient de l'Autre dans une marque
d'attestation, de reconnaissance.
Rien ne semblait destiner à la peinture,
Jacques, gitan de 60 ans, schizophrène silencieux
et enfermé dans son délire autistique.
Et pourtant, à partir d'une venue
à l'Atelier par soumission passive et par ennui,
il va développer rapidement un sens esthétique
étonnant tant en peinture qu'en modelage.
Ses oeuvres, série de visages identiques
mais différents, personnages du quotidien ou fantastiques,
composition mystérieuse intriguent, émeuvent,
interrogent.
Jacques a acquis un style, signature d'une
oeuvre née et développée à
partir d'une reconnaissance précoce: Style ancrée
dans son corps et sa personnalité et dont les oeuvres
paraissent "homéomorphiques" (J. OURY
)5)) mais s'individualisant d'être reconnu par les
autres et authentifié par son inclusion dans un
droit d'Echange (de paroles, d'argent d'émotions)
C'est en effet là que nous situons
la place, le Rôle du thérapeute.
La Sublimation est interne à la pensée,
elle ne nécessite pas la présence ou l'accord
de l'autre. Elle ne suppose pas le Style.
La Création, elle l'exige.
D'où l'accent mis à l'Atelier
sur tout ce qui peut favoriser l'émerge du Style
de chacun: stimulation, critique, aide technique, soutien,
découverte de matériaux nouveaux, etc...
Elle demande l'existence d'un tiers mis en position de
grand Autre, d'adresse possible pouvant attester du Réel
de cette Création. Non pas d'y donner du sens mais
seulement d'en prendre acte et de l'Authentifier.
CONCLUSION
Que le Psychotique soit poussé à créer,
c'est ce que nous montre à l'évidence notre
pratique quotidienne avec eux.
Nécessité vitale pour lui s'articulant à
la forclusion du Signifiant du Nom du Père et à
l'échec de la métaphore paternelle.
Cet Acte créateur est susceptible d'entraîner
une stabilisation de la psychose, ou d'éviter son
déclenchement, en faisant barrage à la jouissance
mortifère de la "Chose" et en tentant
de se séparer de l'Autre.
Mais surtout la Création est susceptible de faire
suppléance dans le Réel, de faire lien social
et de réintégrer le psychotique dans un
bain de langage et un circuit d'échange.
Mais cela suppose du Style, Style procédant du
créateur et de l'Autre, d'une rencontre entre "deux",
l'auteur et le public (ou un thérapeute).
Et là, se situe, dans un Atelier de Création
Artistique accueillant des psychotiques, la place du thérapeute:
celle de "l'homme à qui on s'adresse"
capable d'attester du réel de cette Création,
capable d'être le témoin de sa singularité
et de sa valeur d'universalité.
Dr René PANDELON
BIBLIOGRAPHIE
I -ATIE Jo (1991) Trait pervers et sublimation In "Une
touche de réel"
NICE 2 éditions ; Collection lointain intérieur,
pp59-67
2- LACAN J. (1966) Ecrits
PARIS, Seuil
3 - MATHIS P. (1981) Le
Corps et l'Ecrit
Aubier Montaigne
4 - MENARD A. (1992) Psychose
et Création
In "Orée", Edition VII de chiffre, MONTFAVET
5 - OTJRY J. (1989) Création
et Schizophrénie
Gaulée, PARIS
6 - PANDELON R. (1992)
Psychose et Création Plastique
Mémoire de D.E.A. de Psychopathologie Clinique
Université de Provence, AIX-MARSEILLE
Partenariat avec
la CIMADE - Vaucluse, et la Galerie " Annie Lagier
" de Isle-sur-Sorgue:
Exposition de collages de Antoine Graziani
la Librairie " Bouillon de Culture " proposera
un choix d'ouvrages consacrés au thème du
Colloque
Le Point de Capiton remercie le Centre Hospitalier de
Montfavet pour son accueil.
Avec la participation de:
Francine Beddock: Psychanalyste, Universitaire(Nantes)
Françoise Bloch : Sociologue CNRS (Lyon)
Hélène Brogniart: Directrice de la MJC d'Apt
Odile Chabre: Infirmière en Psychiatrie Atelier
d'écriture "Papiers de Soi "CH -Montfavet
Chantal Delmas :Administratrice Centre Social "Maison
Bonhomme" -Apt
Carole Henzinski - Dostert: Psychanalyste Membre du C.A.
du " Point de Capiton "; Avignon
Pierre Hely: Comédien, Infirmier en Psychiatrie:
dirige le "Théâtre de l'Autre Scène"
Montfavet
Omar Lekloum : Cinéaste -Paris
Christian Lucciani: Comédien et Animateur de Théâtre
"La
bande du Roy René"
Véronique de Mesmay - Thepot: Médecin Alcoologue
CAP 14 de Paris et Vice-Présidente de l'ACERMA
Simone Molina : Psychanalyste- Présidente du "
Point de Capiton " Avignon
Gérard Mosnier: Directeur du Centre Hospitalier
de Montfavet
René Pandelon : Psychiatre - Psychanalyste- CH
Montfavet
Yves Ronchi : Sociologue -CERFISE de Marseille
Marie-Thérese Santini : Psychanalyste - ACF Avignon
(Certains intervenants ne nous ont pas fait
parvenir leurs textes, ou n'ont pas souhaité les
voir publiés)
Le C.A :M. Bellet, B. Demeure, L De
Mesmay, C. Henzinski, A. Lagier, E. Miquel-Garcia,S. Molina,
E .Thibault.
©1996 Le Point
de Capiton
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