1997

 

Traumatisme et Transmission,un double reflet de la trace


Rencontre du 22 novembre 1997, au Cercle, Avignon.
(Introduction et résumés)

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Introduction

Simone Molina.

    Dans " L’ombilic du rêve ", Laurence Bataille, belle-fille de J. Lacan et fille de Sylvia et Georges Bataille, écrivait : " Mon métier consiste à m’allier avec ceux qui me le demandent pour aller agiter ces archives incandescentes ".

    Il n’est pas hasardeux que ce soient les propos de Laurence Bataille qui me soient revenus en mémoire, au moment où j’écrivais ce texte : Laurence Bataille, en 1954, fait un voyage en Algérie où elle joue un rôle dans une troupe de théâtre. Elle participera au printemps 1958 à un réseau d’aide au FLN, tout en poursuivant ses études de médecine. Elle sera emprisonnée pour ses activités politiques en Mai 1960, et relâchée six semaines plus tard, après un non-lieu obtenu par Rolland Dumas.

    Alors qu’elle est en prison, Lacan lui apporte les feuilles dactylographiées de son séminaire sur l’Ethique de la psychanalyse : Un commentaire sur la révolte d’Antigone contre Créon.

    " Antigone est une tragédie, et la tragédie est présente au premier plan de notre expérience, à nous analystes. " disait Lacan lors de ce séminaire de 1960. Il se trouve qu’il existe des tragédies dont la particularité est qu’elles soient nouées avec une tragédie dans le cours de l’Histoire. C’est de ces tragédies là que nous parlerons aujourd’hui.

    Leurs effets sont présents dans la culpabilité inconsciente qui habite, et submerge parfois, les descendants de ceux qui les ont vécues. Cette culpabilité précède et détermine l’acte, elle se manifeste en creux dans les actes du sujet. Lorsque quelque chose de cette histoire tente de s’inscrire, c’est toujours dans la souffrance et le dépassement, c’est-à-dire aussi, dans la transgression.

    La psychanalyse elle-même est née d’une transgression.

    Pour Freud, le véritable enseignement vient du patient. Lorsque Jacques Lacan énonce à propos de la résistance, qu’elle est toujours du côté de l’analyste, il ne dit pas autre chose que ceci : Qu’est-ce que l’analyste ne veut pas entendre, ou ne peut pas entendre ?

    C’est pour appréhender ce qui se passe entre lui et son patient, que Freud se forge une théorie, qu’il situe lui-même comme appartenant à l’ordre de la fiction. Il découvre alors dans son travail clinique que c’est le transfert qui est la résistance, en ce sens que le transfert est bien ce qui est à situer " entre ", dans un écart entre le dire du patient et l’écoute de l’analyste, dans un espace qui n’appartient ni à l ’un, ni à l’autre, mais qui, les concernant l’un et l’autre dans leur rapport à l’inconscient, permet que la cure se poursuive avec les effets de voilement et de dévoilement que suppose une parole adressée.

    Cette autre fiction, que l’on connaît sous le vocable de " roman familial du névrosé " est cette part de la psychanalyse la plus vulgarisée qui fait dire aux parents "bien informés " que leur enfant "a son œdipe ", comme ils parleraient d’une maladie dont il s’agirait de se défaire. Mais, comme l’écrit S.Ginestet-Delbreil, dans son livre " La terreur de penser " :   " L’enfant caractériel ou insomniaque, même s’il ne le formule pas avec des mots, pose la question de son être au monde ". C’est dire que les choses sont plus complexes que la trilogie "papa-maman-bébé ", parce que l’homme est un être de langage et, qu’il n’est pas seulement pris dans son "roman familial " ; il est pris, à travers son roman familial et la question de sa place, dans ce que l’on nomme "la culture ", si l’on veut bien entendre par-là le bain de langage spécifique propre à une époque, certes, mais aussi à une Histoire, et aux non-dits de cette Histoire, c’est-à-dire aux "trous de mémoire ".

    Il existe les "trous de mémoire " que sont les secrets de famille, qu’il s’agisse par exemple d’un suicide, ou d’un acte violent qui a entraîné une sanction pénale soigneusement cachée en voyage, ou de quelqu’autre événement traumatique dans l’histoire familiale. Lorsqu’un sujet affronte l’interdit de dire et pose des questions dans le cadre familial quant à ces secrets, ce n’est jamais sans angoisse, car parler, dans ce cas, c’est transgresser. Il en est de même lorsque la transgression concerne aussi la sphère sociale.

    En effet, certains événements traumatiques vécus par des sujets impliquent le collectif d’une façon plus élargie que la sphère familiale : " L’autre guerre " dont parle J. Hassoun, pour nommer la Shoah ; ces guerres nommées, puis oubliées : "Abolition de la citoyenneté française aux juifs d’Algérie sous le gouvernement de Vichy ", mais aussi ces guerres déniées en tant que telles : " Evénements d’Algérie ", ou " Maintien de l’ordre en Algérie ", par l’armée française, les appelés du contingent, et par les Français musulmans que l’on nomme les harkis".

 

Lorsqu’un sujet s’y est trouvé pris, comment, pour lui-même, se nouent de façon névrotique différents temps de l’Histoire ? Et comment ses descendants peuvent-ils "faire histoire ", d’un événement dont la transmission, dans le discours familial et social, a été plus ou moins muette ? Telles sont les questions qui se posent parfois, dans la pratique clinique d‘une psychanalyste. Ces questions peuvent aussi participer de ce qui cause le désir d’occuper cette place de l’analyste, puis de la tenir dans le tranchant de ce que l’on peut appeler, avec Jacques Lacan "la subversion du sujet et la dialectique du désir "

 

 

En 1938, Jacques Lacan publie, dans l’Encyclopédie Universelle, un texte intitulé " Les complexes familiaux ". Voici ce qu’il écrit : "  " Le psychanalyste peut-il prétendre guérir l’homme de ses défaillances psychiques sans le comprendre dans la culture qui lui impose les plus hautes exigences, (...) "(p70) et plus loin dans ce texte : " Le sublime hasard du génie n’explique peut-être pas seul que ce soit à Vienne- alors centre d’un Etat qui était le melting-pot des formes familiales les plus diverses (...) - qu’un fils du patriarcat juif ait imaginé le complexe d’Œdipe.(p 73) ". Dans ce texte Lacan indique que ce qu’il appelle " la grande névrose contemporaine ", a pour détermination principale " la personnalité du père, toujours carente en quelque façon, absente, humiliée, divisée ou postiche ".

    Ainsi, malgré les ajustements théoriques qu’il fera plus tard quant à la question de la guérison, par exemple, il pose, dès l’abord, la question du père comme au fondement de la structure du sujet, en insistant sur le nouage avec la culture, c’est-à-dire sur les inscriptions institutionnelles.

    " Fabriquer le lien institutionnel, c’est l’œuvre de la généalogie, qui fait tenir le fil de la vie, rappelle au sujet son assignation dans l’espèce, procure à la société son matériau vivant. L’étude de ce lien conduit à mettre en rapport le biologique, le social et l’inconscient, à reprendre sur cette base l’observation de la fonction juridique, qui, dans son essence consiste à produire artificiellement le nouage de ces trois indices humains. " écrit le juriste Pierre Legendre.

    Entendons bien ce que dit Legendre : la fonction juridique produit artificiellement, le nouage de ces trois indices. Autrement dit : c’est un forçage, qui, s’il n’est pas soutenu par ce qu’il en est du rapport au père en tant qu’il est celui qui nomme et reconnaît un enfant pour le sien, un forçage donc qui peut révéler la faille dans laquelle le sujet se tient, ou au contraire, peut y parer, pour un temps

    La question se pose de savoir comment un homme peut devenir père et tenir, pour son enfant cette place de père, lorsqu’il a été lui-même confronté à la négation de son existence en tant qu’être humain (c’est la douloureuse question posée par leurs enfants, aux rescapés des camps de la mort nazis) ou lorsqu’il a été en but à l’exclusion, politiquement décidée, d’une communauté humaine (ce fut le cas des citoyens français d’origine juive en Algérie sous le régime de Vichy), ou à l’exclusion de fait, mais déniée dans le discours social : tel est le cas des harkis arrivés en France en 1962.

    Ce qui fait alors problème est le nouage entre la loi symbolique et le juridique, avec la difficulté psychique de soutenir le paradoxe suivant : le juridique, qui devrait représenter la loi symbolique qui instaure l’humain-parlant, contrevient à ses fondements même, par la mise en place de lois scélérates qui prônent et légitiment l’exclusion.

    Ce détour par l’Histoire et par le fondement du droit pour un sujet donné, permet de saisir, dans la clinique, en quoi les symptômes d’un sujet peuvent venir recouvrir, une douleur et un questionnement qui ont partie liée avec l’Histoire. Cette douleur et ce questionnement sont, certes, ceux de tout sujet : " Qui parle ? A qui ? De quel lieu ? et encore : Que veux-tu ? ". Mais lorsque les fondements institutionnels sont impliqués et ont participé du traumatisme, on prend le risque, si on élude la dimension de l’Histoire, c’est-à-dire celle de l’institution qui fait lien social, on prend le risque donc, de soutenir ce phantasme : " cela n’a pas eu lieu ".

    Or, lorsqu’un événement est dénié, les effets du déni apparaissent sous la forme la plus mortifère qui soit : la violence contre l’autre ou contre soi-même, dans un équivalent tragique : quelqu’un ne doit pas exister. Cette affirmation inconsciente : "quelqu’un ne doit pas exister ", fait entrer le sujet dans le domaine de l’arbitraire, y compris pour ce qui le constitue comme être vivant, c’est-à-dire la parole, support du symbolique. Lorsque l’autre sait tout, le sujet à qui il est renvoyé que c’est l’autre qui sait pour lui, ne sait pas quoi dire et demeure muet dans une pétrification de la pensée. Cette pétrification de la pensée, indique, pour l’analyste, quelque chose quant au savoir inconscient du sujet car : " Le paradoxe dans lequel est le sujet qui ne parle pas, parce qu’il " ne sait pas quoi dire ", tient à ce que le fait même de se poser cette question signifie que, en fait, il sait inconsciemment ce qu’il redoute de dire : il le sait, car, vivant sous le regard de l’Autre, qu’il n’oublie pas, il est amené à parler en s’observant, pour ne pas énoncer le lapsus que le regard attend déjà de lui " (p72 A.D Weill)


PROGRAMME


Mireille Nathan-Murat: " Identifications à un destin de génocide"
("Poursuivi par la chance" Ed L’Harmattan)

Il ne suffit pas de ne pas pouvoir oublier pour se souvenir. Avant même de s’exercer au devoir de mémoire, les enfants des survivants de génocides reçoivent en héritage l’empreinte indélébile de la ségrégation raciste, du marquage, de la séparation, de la relégation, de la déportation et de la destruction étatiquement orchestrée. J’en témoigne comme fille et petite-fille de Français d’origine juive qui ont résisté au génocide perpétré par le gouvernement français de Vichy et l’état nazi avec lequel il collabora. Psychanalyste, j’interrogerai l’emprise mortifère de la cruauté légalisée dont les parents furent l’objet.


Hélène Piralian : "Quand l’autre disparaît. Eclipse ou destruction"
("Génocide et Transmission" Ed L’Harmattan)

Si le projet génocidaire vise avant tout la destruction de la Transmission, c’est-à-dire la disparition de l’autre comme constituant du sujet, quelles conséquences cette disparition a-t-elle pour les survivants ? Peut-il y avoir pour eux, pour certains, une ré(ins)tauration de l’autre, et dans ce cas, dans quelles conditions et sous quelles formes?


Simone Molina : "Entre deux rives et deux oublis"

Certains événements traumatiques impliquent le collectif: " L’autre guerre " dont parle J. Hassoun, pour nommer la Shoah. Ces guerres nommées, puis oubliées : "Abolition de la citoyenneté française aux juifs d’Algérie sous le gouvernement de Vichy ", mais aussi ces guerres déniées en tant que telles : " Evénements d’Algérie ", " Maintien de l’ordre par les français musulmans". Lorsqu’un sujet s’y est trouvé pris, comment ses descendants peuvent-ils " faire histoire " d’un événement dont la transmission a été plus ou moins muette?


Jacques Hassoun: interviendra comme discutant de cette rencontre, à partir de son ouvrage récemment paru " L’obscur objet de la haine ". (Ed Aubier 1997)


Sonia Lawniczak: Rétrospective - Gouaches et Acryliques

"Nostalgie d’un temps où je pouvais " mettre mes cauchemars en peinture", tout nus, en pleine force. Maintenant que ma douleur est moins vive,(...) j’ai l’impression que ma peinture reflète une fadeur nouvelle, comme ce corps retrouvé, si lourd, si encombrant, si coupable. Car ces personnages que j’ai peints, je les aime (...) Ils étaient la représentation de retrouvailles: à la fois moi et les morts - ma mère et ses déportés qu’elle avait rejoints(...).

Extrait d'un texte de Sonia Lawniczak. publié dans le livre de Mireille Nathan-Murat
"Poursuivi par la chance De Marseille à Buchenwald- Mémoires partagées."
1906-1996 " (Ed L'Harmattan)

Sonia Lawniczak

 

 

Sonia Lawniczak

 

 

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3 Oeuvres de Sonia Lawniczak

L’atelier de photographie "Nadar"
l’atelier d’écriture
"Papier de Soi"
Service du Dr Pandelon (Montfavet)

"La trace comme une image"