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Béatrice Deville
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1


Il est des mots qui ne peuvent s'écrire que très tard le soir dans la solitude noire et glaciale de l'hiver. Dans ces longues nuits de tourment et de délire, les mains courent sur les touches grises du clavier. Ces mains médiatrices entre notre monde intérieur et la feuille blanche où vont s'imprimer les mots de la déprime. Comme l'enfant que la mère porte en son sein et qui à force d'être lourd s'échappe du ventre maternel, les mots longtemps enfouis au plus profond de la souffrance, sortent lancinants comme le cri d'un nouveau-né.


2


des murs blancs comme le silence
impénétrable
un espace saturé de vide
immobile
une lumière dénudée de couleurs
impalpable
le temps s'écoule
fluide
et la souffrance muette
grave son nom dans ma mémoire


3


pourquoi faut-il que des mots viennent troubler ce silence?
dans cette parenthèse au temps
ces minutes de paix
sont comme un cadeau de Noël
offert par la mère à son enfant
bien enroulé dans sa chrysalide
noyé dans sa léthargie
bercé par le lointain murmure du monde
les paupières closes
paisible il dort

il neige en été
sur son jardin secret
où fleurissent pêle-mêle
orchidées, orties et immortelles
dans son sommeil
il papillonne insouciant
d'une fleur à l'autre
d'un rêve à l'autre
d'une vie à l'autre
pourquoi ses mots viendraient-ils troubler ce paradis?
il a déjà tant vécu
il a tant de choses à dire
il n'a plus rien à dire


4


sur la toile de lin désespérément grise
elle peint une infinité de gouttes de pluie
mélange d'automne et de solitude
qui ruissellent comme des souvenirs délavés
le long des craquelures d'une enfance saccagée


5


penchés sur le corps des noyés
on tente encore de sentir
sur nos visages blêmes
le souffle tiède de la vie

ces corps tourmentés
rejetés par la mer
lors des marées d'équinoxe
s'échouent sur la grève, lourds
comme des troncs d'arbres torturés

enveloppés de nos robes de crépuscule
nous sentons autour de nos cous
la corde de chanvre qui nous rattache au port
cette corde qui nous promet le gibet, la mort

alors à genoux
près de ceux qui ont choisi
les tempêtes et les ténèbres de la mer
et qui maintenant délestés de leur lourd secret
redeviennent sable
nous fermons leurs yeux grands ouverts
sur l'immensité du ciel


6


à peine avons nous refermé la porte
que déjà s'installe le silence
sur le seuil de l'absence
un bruissement d'ailes
léger comme un souffle
nous pousse vers le vide
et nous enveloppe de son crêpe noir
voyageur sans bagage
nous emportons dans notre mémoire
le reflet transparent du visage aimé


7


le mâle a mal
il veut se tirer
se tirer une balle
une balle dans la tête
mais il part
part faire la fête
rencontre
une femelle
la trouve
belle
tire son coup
puis se fait
la malle

la belle
en cloque
et en loque
débloque et
soliloque
elle veut faire
la peau
la peau
au mâle
et ne rate pas
son coup

le mâle
a mal
peau de balle
la belle
file
file à l'anglaise
à l'angle de la rue
la rue des bons enfants

là sur un divan
une femme
suffoque
déballe ses mots
mal de mère, mal de père
mal d'enfance
mal d'amour


8


Tant de fois tu es venue
les soirs de désespoir
frapper à la porte de mon histoire

je ne savais qui tu étais
mais à l'encre noire
dans la marge de ma vie, je t'ai écrit

tant de fois tu es venue
à midi, à minuit qu'importe
toujours en quête d'identité

je ne te connaissais pas
pourtant à ton adresse
j'ai confié mes mots

entre mes lignes
j'ai découvert ta détresse
mon insolence et nos silences

tu me surprend
je te ressemble tant
je t'ignore pourtant
toi mon autre moi-même


9


elle s'appelait Musette
il s'appelait Flon-Flon
elle venait des Minguettes
il était en rade à Toulon

du soir au matin
son Walkman aux oreilles
sur son skate elle surfait
entre les guimbardes couleur groseille

du matin au soir
son béret sur la tête
au son du clairon il obéissait
aux ordres d'un capitaine d'opérette

ils se sont rencontrés
un soir de 14 juillet
au loin un feu pétaradait
leurs yeux pétillaient

alors dans un grand drapeau étoilé
sous l'œil de la Grande Ourse amusée
sans tambour ni trompette
Musette a largué sa jupette
et Flon-Flon d'un air fanfaron
a jeté son pompon


10


sur le papier de petits insectes noirs et crochus se mélangent, s'accouplent, donnant naissance à des syllabes, des mots. Pris au hasard des lectures, empruntés aux poètes, les mots nous parlent, résonnent à nos oreilles comme une douce mélodie. Les mots s'enchaînent et l'esprit s'évade.
 


© Béatrice Deville
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