Professeur de Sociologie
Université de la Méditerrannée
MARSEILLE 2004
L'Inconscient Politique
Comment émerge un concept à la conscience,
au savoir ? Comment émerge une notion ? Un
mot, ou comme ici un agencement de mots surprenants
? De quelle naissance, à l'être du
savoir sommes-nous redevables ? Quels sont les forceps
de la connaissance ? Je vous invite à suivre
le chemin d'une découverte, celle de l'inconscient
politique, comme instance de la subjectivité
et de la militance. C'est à partir d'une
pratique, d'une pratique théorique que la
notion a émergé, elle s'est construite
par analogie avec la notion d'inconscient poétique,
elle entretient avec cette dernière une affinité
sémantique plus que théorique.
La question de l'engagement politique est posée
ici à sa racine, classe et conscience de
classe, théorie du reflet, sur-détermination
des forces productives et des rapports sociaux,
idéologie dominante et classes dominées,
nous semblent trop courts pour expliquer la force
de l'engagement et surtout sa fidélité.
L'inconscient politique nous permet de mieux nous
approcher de la racine subjective d'un engagement
que le concret des rapports questionnera, enrichira,
déstabilisera, reconfigurera. Un inconscient
politique, fait d'un rapport insu au monde des signifiants
qui partage le juste de l'injuste, plus tard, le
légitime de l'illégitime.
Venons-en maintenant à la matière
d'une démarche inédite, matérialiste.
*
Il s'agit d'un groupe de paroles et d'un atelier
d'écritures, d'un espace-temps où
nous nous réunissons à la cadence
d'une fois par mois, depuis douze mois, dans la
salle mauve de la Fédération du Parti
Communiste, à Marseille, rue de Lyon (quinzième
arrondissement). Nous, désigne ici huit camarades
du parti, et le sociologue que je suis (1).
Communauté d'esprit, esprit du commun, mise
en partage de paroles, d'écrits, de réflexions,
critiques, tout est passé au peigne fin de
l'analyse. Il a d'abord fallu que le groupe existe,
devienne collectif, bloc d'amitié. Travail
sur le temps et la fidèlité qui ont
été les nôtres tout au long
de ces douze mois, pour qu'au final émerge
la notion d'inconscient politique.
Je restitue ici sa première énonciation,
en Juillet 2003 : Nous fondons le parlécrit,
comme Lacan le parlêtre, l'être s'écrit.
Le parlécrit creuse une militance où
se rencontrent des sujets de paroles, d'actes, écrits.
Cette totalité est inédite, elle se
dit là. Ou plutôt se balbutie. C'est
dans le bégaiement de nos réunions,
ici évoquées, que se profile un nouveau
langage, une langue de verre. La transparence est
illusion, l'apparence défaite. S'il existe,
nous allons à la rencontre d'un inconscient
politique. Il serait fait de traces mnésiques,
traumatiques, éthiques, et poétiques.
L'inconscient politique, nous fait agir et penser
à notre insu, le savoir nous motive.
*
Télescopage, percussions, rencontres inédites
entre la poésie, la politique et la psychanalyse.
Henri Meschonnic, nous a beaucoup aidé, qui
milite à l'intersection de l'éthique,
du poétique et du politique (2).
C'est à la racine, que nous puisons la source,
l'ouverture à l'autre, tout autre, tous les
autres comme autruis, concernement et dévoilement
du regard, du geste et de la parole qui inaugure
par la question-interrogation, le pourquoi du partage,
de la souffrance, de l'injuste, de la douleur et
de la vie. Ethique, poétique et politique
s'entrelancent des mêmes filaments inconscients
où se mêlent le regard et la voix.
L'atelier, quant à lui, est traversé
de part en part par la multiplicité des chants
d'expériences, ceux où chacun écrit
le récit de sa vie, sa pratique, son engagement.
Parole militante, parole créatrice de valeurs.
A travers ces paroles, ces dires, ces essais d'écritures,
je voyais se profiler, un savoir insu, un savoir
non-dit, un être sensible à l'être-commun
; enfoui, profond, indicible parce qu'inaccessible
au chant du savoir et de la pratique, une chose
qui nous pousse à être-ensemble, à
êtres de justices, sans que nous le sachions,
ni pourquoi. On pourrait reprendre la notion de
grâce, dont parle Alain Juranville (3),
ce qui pousse et conduit à l'idée
juste à sa gestualité, et à
celle du tiers, comme instance d'humanité,
lieu du symbolique (4).
*
De fait, c'est la lecture de Pierre-Jean Jouve,
qui a déclenché la mise en relation
des champs entre eux. Pierre-Jean Jouve parle d'inconscient
poétique : "Par-delà, les structures
instinctuelles définies, en elles et en dehors
d'elles, on devrait pouvoir supposer une zone d'images,
que j'appelerai inconscient poétique, zone
génératrice et lieu d'inspiration
selon les deux grands schémas fondamentaux
: éros et mort." (5)
Une zone d'images, bribes de rêves. L'inconscient
politique est structuré comme une image.
Cette image, nous envisage. Bien évidemment,
cela n'exclut en rien le langage, mais nous voulons
insister sur cette zone d'ombres, d'impressions
fugaces, fugitives, auditives aussi, qui font très
tôt, le bain, le lien du politique. Paraphrasant
Pierre-Jean Jouve, nous disons : "Le diseur
de mots, est celui qui dans l'extrême veille,
harponne un équivalent du rêve..."
(6)Le militant,
est celui qui dans l'extrême action, harponne
un équivalent du sens d'humanité ;
ce sens est insensé, non transparent à
lui-même, antérieur à l'acte.
Il ne peut être qu'intercepté, entre
deux gestes, deux dires, deux crises. A l'origine,
et bien plus tard à l'échéance,
il dira : le visage de ma mère transfigure
les rapports sociaux.
*
Il y a une quête, un désir, un souhait,
une envie, un arrachement à l'être-là.
Une volonté de savoir, vouloir et de pouvoir.
Une force qui pousse, au-delà les limites
du sens. A la recherche du temps impatient. L'inconscient
poétique nous ouvre à la métaphore
et à sa mélodie, il rend possible
la subversion de la parole, il est le lieu d'une
invention sublime. L'inconscient politique nous
ouvre à l'autre comme juste, il rend possible
la pensée subversive, dont il épingle
l'éthique. Bien au-delà, encore, il
saute par-dessus le temps : pose un défi
à la mort, à sa propre mort ; en son
ouverture post-chronique, il tente d'arracher à
l'inacceptable une transcendance de l'action transmise.
*
L'inconscient poétique d'un côté,
notion pré-existante à notre expérience-démarche,
le vécu intense de l'atelier d'écritures,
déplacement et condensation, fondent cette
proposition d'inconscient politique comme télescopage
entre mon savoir de l'inconscient, mon écoute
du groupe, la notion du poète. De la fusion
de ces trois chants, émerge dans la pensée
l'inconscient politique : le fil rouge de nos engagements,
il en est le ressort, le sens profond, caché,
pulsionnel ou plutôt désirant.
Savoir, écoute-collectif, concept, si je
parle des trois chants, pour dire aussi les champs
épistémologiques, c'est à dessein,
à vouloir insister sur la chant de la parole,
de la voix, de la mélodie. Le champ des savoirs
est aussi le chant du savoir.
Dans l'atelier Jacques Baudoux, nous parle, des
années Viet-Nam, en termes bouleversants
: pendant la guerre d'Indochine, le père
de Jacques a été sauvé par
son futur beau-père, guérisseur par
les plantes d'une blessure au pied. Il nous parle,
il écrit de sa naissance et du voile qui
sépare son berceau de la salle commune. Il
entend parler vietnamien, cette langue qu'il ne
parlera pas, mais que sa mère parlera clandestinement
dès son arrivée à Marseille.
A l'adolescence, Jacques qui a perdu sa mère,
rencontrera des communistes qui l'adopteront. Jacques
va très loin dans la remontée des
souvenirs, il les écrits-décrits,
pour la première fois de sa vie, s'annoncent
et s'énoncent simultanément ce rapport
aux politiques de la cité en guerre. Jacques
écrit un livre, recueil de textes au titre
délicat : Garance de soi.
J'interrogeais également, les bases adolescentes,
de mon engagement politique : les brigadistes espagnols
réfugiés à Toulouse, les travailleurs
immigrés et la guerre d'Algérie, ne
berçaient pas mon enfance. Ce sentiment étrange
que la guerre n'était pas finie. Comment
pourait-elle l'être dans notre souvenir, sans
avenir ? Sans avenir, donc sans espoir, c'est précisément
ce à quoi je m'accroche, reprenant, le chant
des partisans de Vilno : Ne dis jamais que tu suis
ton dernier chemin. Ici encore, la guerre, les guerres
comme autant d'injures faites aux idéaux
qu'enfant je chérissais. Et la volonté
de réparer, certes, mais aussi de m'associer,
d'être avec, ensemble, portés par cette
pulsion commune, qui est à la racine du mot
communiste.
On l'aura compris, c'est à partir de l'idée
communiste que j'étaye le trépied
: pulsion commune, inconscient politique et parole
militante. Au centre, mon engagement personnel,
et la question de la crise du lien social, du lien
politique, dont je fais l'hypothèse qu'elle
est d'ordre anthropologique et non idéologique.
Ces crises ne seraient en fait que l'expression
phénoménale de nouvelles subjectivités
en uvre de ruptures, celles où précisément
l'inconscient politique, deviendrai autre, par absence
de transmissions, d'élaborations, d'inscriptions
signifiantes : cet autre nous le nommons barbarie.
*
1. L'inconscient poétique "bribes de
rêves", l'inconscient politique "bribes
de luttes" .
Je forge et force ici l'hypothèse, d'une
infrastructure de personnalité construite
à partir d'une totalité où
les idéaux nourrissent et se nourrissent
des réels incorporés, des évènements,
des faits et lieux, paroles, jusqu'aux odeurs. Tout
ça m'a été transmis par mon
père. La faucille et le marteau. C'était
déjà là. C'est déjà
là, telle est la définition des rapports
sociaux que donne Marx. "L'essence de l'homme,
n'est pas une abstraction inhérente à
l'individu isolé. Dans sa réalité
elle est l'ensemble des rapports sociaux."
(7)
Quelle est l'inscription subjective des rapports
sociaux ? Par quelles diffractions, effets de sens
et d'émotions, poinçonnent-ils en
le sujet le désir de justice ? La question
demeure posée. Ici, nous faisons l'hypothèse
d'une pulsion commune : elle vise à lier
les choses et les êtres, au-delà de
la seule dimension altéritaire, liée
à éros elle vise à rassembler,
à aimer les similitudes, quitte à
les créer, les recréer. La pulsion
commune, on l'a compris, serait à la base
ontologique de l'idée communiste, non pas
comme un donné, un instinct, tout au contraire
comme un dépôt archaïque, ancestral,
une archéologie du vouloir ouvert à
la multitude. (8)
Engagement de chacun pour tous. Ce tous n'est pas
anonyme et chacun n'est pas solitaire. Tous, c'est
tout un chacun, c'est la multitude des être
vivants, des sujets de la terre asservis, dominés,
exploités, persécutés. Tous
ceux qui sont là, à l'instant à
venir aussi au monde et à l'histoire. Il
y a un universel à être communiste,
à vouloir le juste pour tous et à
être conscient d'être un être
pour la multitude. Un être singulier. Un être
à être ensemble dans la même
symbolique des valeurs et des concernements. Etre
concerné par tout un chacun, persécuté.
Et chacun pour tous. Etre concerné à
être pour la vie, à lutter contre les
forces de la mort. Une mise en partage, en commun,
d'un espoir fou, à créer une nouvelle
pulsion qui résoudrait la contradiction hystérique
entre pulsion de vie et pulsion de mort. C'est la
pulsion commune.
Elle participe de la conscience de classe et de
sa prise. Elle est à la base de la conscience
de classe. C'est à partir d'elle que transite
l'inconscient politique. Elle lie les hommes entre
eux à partir de la prise de conscience simultanée
de l'inconscient et de l'exploitation-dominations
et de la route piégée qui conduit
à l'émancipation. Elle rattrape la
pulsion de mort avant qu'elle frappe, fut-ce contre
soi-même, elle ramène la pulsion de
vie au réel, à sa résistance.
Et oblige à inventer avec l'autre juste,
le tiers symbolique. La pyramide symbolique.
Il s'agit ici d'une expérience, d'un vécu,
d'une traversée, d'un éprouvé,
paraphrasant Emmanuel Lévinas, "Une
pensée philosophique, repose sur des expériences
pré-philosophiques" (9),
nous avançons : Un engagement politique repose
sur des expériences pré-politiques.
Il nous faut chercher les chemins, les filets du
maillage des représentations, des symboles,
du désir des parents, qui jalonnent cette
expérience singulière, et en même
temps commune. De ce qui à moment donné,
donne un sens supérieur au sens idéologique.
Un sens personnel, un sens éthique, un sens
politique. Un être au monde du bébé
accueilli dans le monde. Accueilli pour certains,
déportés pour d'autres. Déportés
hors du champ des registres symboliques qui fondent
le politique, le religieux ou l'éthique,
l'inconscient politique s'autorise du presque rien,
du peu, du dérisoire. Très tôt
tu captes, tu raptes, une force. Une photo. Un chant.
Une photo dans un cadre. Le cadre est là,
donné, posé à même la
télé. Le regard rieur, d'un grand-père,
italien, le foulard rouge serré autour du
cou. Enfant tu regardes une image qui te regarde.
Tu deviens l'image de l'image. Tu es sage.
A ton insu, dans cette douleur-joie qui est faite
au temps, tu deviens toi-même, tu te politises,
mais tu ne le sais pas. Tu le sais, sans le savoir.
Tu le sens. A cet instant se forge ta sensibilité
politique. Du sens mis sur le signe, né le
signifiant.
*
L'inconscient politique est structuré comme
une image. Celle de l'humiliation et de sa riposte.
Celle du regard que le père posait sur la
mère, et le monde. Ce regard pour lui conscient,
ou presque, imprime ton inconscient. Une trace indélébile,
elle t'appartient plus que te ne lui appartiens,
et détermines de quel côté tu
te situes. Poétiser c'est mettre des rapports
en images, politiser c'est mettre des images en
rapports. (10)
Cette image n'est pas un fantasme, tout au contraire
c'est une construction réelle de la réalité
pour ce qu'elle est de rupture avec la mort et l'inceste.
Cette image, te poursuis, t'appartient, ce n'est
qu'après-coup qu'elle fera sens, effet de
vérité de l'unicité de ton
être, elle te raccroche à l'universelle
métaphore. Nous avons osé écrire
: seule la parole militante n'est pas incestueuse,
parce qu'elle rompt le rythme du même au même,
et inscrit la rupture dans l'écriture. La
pulsion commune nous arrache du fantasme incestueux,
communautaire, fraternel, pour raccrocher tous les
fragments possibles de tous les possibles comme
universaux. Brise l'Un, totalité totalitaire,
au fil de l'unicité identitaire.
La crise du lien politique s'origine ici, dans
l'impossible décollage, du même au
même, et par la fascination qu'exerce l'hypnose
sociale, quant à inverser les registres du
symbolique et de l'imaginaire. Cette chute, cette
perte, ce gouffre, interrogent en son essence le
fond de transmission qui défaille, mais aussi
la capacité à inventer de nouvelles
réthoriques qui rassembleraient en un front
commun les sujets forts du savoir d'eux-mêmes,
forts du savoir des luttes, forces de vie plus que
forces de travail.
*
L'inconscient politique refoule du défoulé,
du déroulé socio-politique, qui ne
fait pas forcément effraction dans la vie
psychique, mais y infiltre dans les gestes du quotidien,
la caresse, l'ambiance, le signe et le symbole sur
lequel enfant je raccroche le désir et la
loi. Ce peut être une conversation, une scène,
une émotion, un geste ineffable qui se présente
à toi, tu es perméable et aussi vulnérable,
éponge, tu absorbes inconsciemment le sens
de ta révolte. A-t-on jamais pensé
la perméabilité du nourrisson, de
l'enfant aux signifiants du politique ? A-t-on jamais
réfléchi au bain de langage qui l'entoure,
des réunions de cellule à la maison,
du tract tiré, distribué, du porte
à porte qu'il accompagne, de la manif qu'il
conduit ? A-t-on jamais pensé à l'impact
de cet imaginaire, déboulé du social,
dans les sphères conscientes, pré-conscientes
et inconscientes de la psyché ? Il faut reconstituer
ces perméabilités signifiantes pour
les nourrissons-enfants-adolescents en quêtes
de valeurs transcendantales aux conflits dipiens.
L'inconscient politique c'est la rencontre originale
et originelle d'un désir, d'un signifiant,
d'une valeur.
Il lie le sens des rapports sociaux, entre eux,
en donne la configuration subjective, sens commun
et sens partagé, s'originent du sens personnel.
Sens personnel qui n'existe que de la pré-existence
du sens commun. Les rapports sociaux sont un donné,
l'inconscient politique un construit. Un diaphragme
subjectif de réalité sociale, devenue
réel humain. Il n'est pas un reflet mais
un nouage subjectif, faits de bouts de signifiants
eux-mêmes, issus-produits des rapports sociaux
et de leurs écritures. Il transnomme la violence
en faïence, le fiasco en crédo utopique
: le monde à venir, qu'aucun il n'a
vu.
*
Avoir une culture politique c'est plus qu'en détenir
un savoir et une expérience c'est en transmettre
le goût, la saveur, le désir, et ouvrir
l'avenir. L'inconscient politique c'est le rapport
inconscient à la politique. On parle de sensibilité
politique, mots apparemment antinomiques, voire
antagoniques, et pourtant ce qui sous-tend mon désir
est aussi du registre du monde sensible, infra-conscient.
D'un monde déjà là, qui m'accueille
et que j'invente à partir de là, de
lui, d'elles. La Commune a fait Rimbaud. Shoah Celan.
*
2. La forclusion-du-nom-de-tous-les-père-associés
L'essence in-humaine n'est pas une abstraction
inhérente à l'individu isolé
(pris à part). Dans sa réalité,
c'est l'ensemble des rapports a-sociaux. In-humanité,
rapports a-sociaux, Marx l'a très peu pensé
et pourtant le social est traversé de part
en part par cette réalité, et son
anthropologie. La violence sociale, économique,
familiale, conjugale, empêche de penser, d'aimer,
désirer-se-projeter. La violence met les
corps et la mort en partage. Le partage en tant
qu'essence est a-néantisé.
Penser le politique et son inconscient à
partir de là, avec ceux-là, voire
contre eux, est un pari. Ne pas le penser c'est
la dérive populiste, le penser c'est interroger
encore plus profondément, la destruction
des valeurs, des langages, des identités,
des cultures dans le capitalisme triomphant et leurs
ravages subjectifs que l'absence de projet précipite
: La mort, c'est l'absence de projet.
Nous sommes allés à cette rencontre
dévastatrice, et voyons naître sous
nos pieds des fleurs empoisonnées. Que s'est-il
passé en l'espace de trente ans ? Que se
passe-t-il aujourd'hui, qui nous alerte d'une déshumanisation
rampante, d'une in-humanité récurrente,
que rien ni personne ne semble vouloir contenir
?
La perte du travail, la précarisation généralisée
des emplois, l'insécurité sociale,
les violences domestiques, la toxicomanie, frappent
de plein fouet la classe ouvrière et ses
enfants. Il aura fallu une génération
1974-2004, pour anéantir, l'essence des idéaux
et des acquis, laissant venir au monde des enfants
morts-nés aux cultures de luttes.
*
Il y a. Il y a eu. Il y aura. Il y aura une rencontre,
une injustice dont nous serons témoins ou
victimes, plus tard -peut-être- bourreau.
Un être là, blessé(e), et répare
dans la quête d'une symbolique politique qui
donne sens à l'insensé, et bloque
l'effondrement psychotique. Il ne s'agit pas du
Nom du Père, mais du Nom-de-tous-les-Pères.
La politique c'est : Le-Nom-de-tous-les-Pères-associés
à mains-tenir l'être vivant debout.
C'est autour de leurs sacrifices, de leurs luttes,
de leurs joies, drapeaux déployés
que l'inconscient politique forge les images archaïques
de l'engagement.
L'infra-structure de la personnalité est
touchée à ce point précis où
l'idée de l'homme co-existent à celle
de tous les hommes, et où la reconnaissance
de l'unicité de chacun passe par la connaissance
de la solidarité de tous
Aucun tract, aucun discours, aucune déclaration
d'intention ne peut greffer ce qui est absent définitivement,
fait trou, fait creux. La forclusion du Nom-de-tous-les-Pères.
Et l'autre a pu s'auto-baptiser le petit père
des peuples, il n'en demeure pas moins que la roue
de l'Histoire, nous a rendu presque tous fous, presque
fous. La forclusion du Nom du Père, signe
la psychose, celle du Nom de tous les Pères
la barbarie. Les deux la sauvagerie.
*
Cette forclusion, n'est pas sans rapport avec l'attaque
révisionniste et/ou négationniste.
Là où meurt la mémoire, meurt
aussi l'espérance, et l'être de mémoire
que je suis ne peut être que dans un rapport
réel à la mémoire réelle,
jusqu'à l'immémorial d'une essence
incertaine, traumatique.
L'entame est plus profonde, elle touche à
l'essence des valeurs-solidaires-de-justice qui
fondent le sujet, sa division et les signifiants
qui l'inscrivent. L'association, n'est pas un concept
propre à la psychanalyse, l'A.I.T (Association
Internationale des Travailleurs) fondée par
Marx, le montre, les hommes s'associent entre eux
pour transformer les rapports sociaux. Ils le font
en conscience et inconscience de classe. Ne laissent
pas leur inconscient dans le vestiaire de la lutte
des classes. Inconscients de l'inconscient ils vont
défaillir quant à la transmission
laissant sur le carreau de l'insu, du non-dit, du
non transmis, des pans entiers de leurs histoires
singulières et collectives. Elles deviendront
forcloses. Rejetées à l'extérieur
du champ de la conscience et de l'inconscience.
Le passé tel qu'il a existé n'existe
pas. Il est forclos. Dans ce passé, il s'agit,
d'en référer, à tous les a-nonymes,
les sans-noms, les sans voix, no vox, les voix,
et les noms qui ont fait l'histoire, qui n'existent
pas, qui n'existent plus dans l'histoire révisée.
"Forclore : exclure, priver, chasser, empêcher,
bannir, omettre, retrancher, empêcher, enfermer
au dehors, clore à l'extérieur, de
manière à barrer un chemin... Clouer
au dehors un fait réel. Le réel est
ici défini par le 'dehors', c'est-à-dire
par son exclusion du symbolique...Ce forclos sera
à jamais ininscriptible, à jamais
illisible, à jamais imparlable. Il sera à
tout jamais exclu de l'histoire du sujet, où
il ne se retrouvera plus jamais ; ce qui tiendra
lieu de trace sera de l'étrange, de l'hétérogène...
Ce qui est refusé du symbolique reparaît
dans le réel .
A quel prix ?
Que faire ?
*
Résister et construire : telle est la fonction
paternelle, telle est la fonction militante. Les
militants sont les pères de l'histoire. Il
leur incombe de creuser, d'inventer le champ des
possibles dans les champs du réel. Dans les
champs de mines. Les militants sont des inventeurs,
inconscients de leurs rôles, de leurs fonctions,
bien souvent ils avancent dans la nuit de leurs
convictions, certitudes, posent un pied devant l'autre,
un tract après l'autre, émerge la
frêle parole de lutte, gouttes de rosée
sur la cité. Le rouge s'écarlate.
Les militants sont les pères de l'histoire.
Et, si j'insiste sur la forclusion du nom-de-tous-les-pères-associés,
c'est parce qu'elle nous laisse orphelin, nous qui
avons du mal, beaucoup de mal, à maintenir
dans l'histoire ce qui nous maintient de l'histoire.
*
"L'inconscient, c'est la politique",
énonce Jacques Lacan, le 10 Mai 1957, dans
le séminaire : La logique du fantasme.
"Deux lectures peuvent en résulter
: la première est que l'inconscient psychique
n'est jamais solitaire, jamais refermé sur
lui-même, mais immédiatement fonction
de l'autre, c'est-à-dire fonction du discours
qui l'identifie... la seconde relie la question
politique à celle de la domination , c'est-à-dire
au discours de l'Autre comme discours du Maître."
Jamais, l'articulation des champs de l'inconscient
et du politique n'auront posé questions avec
tant d'acuités, et d'urgences. De la politique
nous en savons l'action, de l'inconscient une pré-science,
le geste qui accompagne ce texte, peut-être
qualifié de militant. Construit à
partir de propos tenus par des militants, nous avons
fait retour des hypothèses, de conclusions
co-construites. Nous avons rompu la solitude, certes
l'inconscient psychique n'est jamais solitaire,
et nous avons quêté dans sa présence,
la vie. Mot étrange, que celui qui vient
à point nommer, dire la pluralité
des signifiances. La vie. La vie, comme valeur nous
oblige à penser l'être social autrement.
Des vies sans valeurs de vies. Untermensch. Stücke.
Déchets.
Nous avons interrogé les formes de résistances
communes, les partages et les désirs communs,
avons rencontré la pulsion commune, l'inconscient
politique et la parole militante. Contre-pieds,
contre-poids, à la forclusion du nom-de-tous-les-pères-associés,
nous mesurons l'ampleur du désastre, des
lacunes, qu'aucune voix ne vient réparer.
Elle ne le saurait d'ailleurs. Qu'à la construire
nous-mêmes.
*
"Dresse ton grain de poussière, Solidarisez-vous,
Ayez souvenance du tract."
**
*
Vivances. "Garde le pas, garde le pas de la
révolution ! Ne va croire que les autres
se soient endormis !" , L'écriture du
poète est de part en part -traversée-
par la résistance : résister à
l'absence, au deuil, à la perte des vivants
et des solidarités. Luttes des classes. Dans
la langue. Dans la langue surtout. Nous nous sommes
risqués dans la théorie, à
partir et dans la langue aussi. L'enjeu : faire
face, faire front, les autres ne se sont pas endormis,
loin de là, près de toi la guerre,
la haine régulent. Faire face, faire front
commun dans un geste politique qui revendique origines
et filiations. Le souci : assister à la chute
d'idéaux porte-valeurs par défaillances
des chaînes de transmissions, qui nous rivent
aux chaînes invisibles de la haine. Le but
: s'organiser. Lévinas, encore, ne pas bâtir
le monde, c'est le détruire. Après
tout ce temps passé, il est urgent de nous
renouveler. Ce que nous n'avons pas fait, il est
urgent de le faire. Non pas rattraper le temps perdu,
mais l'interroger, le dépasser, l'intégrer,
l'inventer, et ce dans la violence d'un bras de
fer permanent entre pulsion commune et pulsion d'effacement
*
Entre faïences et défaillances, l'inconscient
politique -concept et réalité- interroge
la transfiguration des fonds d'(in)-humanités,
par ce texte décrit.
Jacques
Broda
Notes:
1 Il s'agit de
: Leïla Arif, Jacques Baudoux, Michel Carrière,
Suzanne Catelin, Sophie Celton, Jean-Marc Coppola,
Geneviève Droin, Christine Mendelshon, et
Jacques Broda.
2 Meschonnic,
H ; Politique du rythme, Ed Verdier, Lagrasse,
3 Juranville,
A ; Lacan et la politique, Cités, 16, 2003
4 Lévinas,
E ; De Dieu qui vient à l'idée, Ed
Vrin, Paris, 1986
5 Jouve, P-J ;
En miroir, Mercure de France, Paris, 1954
6 Jouve, P-J ;
op cité,
7 Marx, K ; L'idéologie
allemande, Paris, Editions Sociales, 1968
8 Le communiste,
désigne ici, le comme-un de tous, il ne rabat
pas le signifiant sur le signifié-parti.
Tout au contraire, il ouvre sur la sensibilité,
la posture, la position d'écoute, de parole
et d'action. Le commun de chaque-un, ouvre l'autre
comme autrui, en se décalant du discours
du Maître, se risque au discours du Prolétaire,
à construire. Il y a une infrastructure inconsciente,
intrinsèque au sujet divisé ; elle
contient pulsion et représentations, nous
la nommons inconscient politique.
9 Poirié,
F ; Emmanuel Lévinas, Qui êtes-vous
?, Editions La Manufacture, Paris, 1987
10 Quand l'ensemble
devient Nous, se pose la question du sujet, du désir
commun, de la pulsion commune, jusqu'à la
clé d'une rime qui fond poétique en
politique. Ecoutons le dialogue entre Jean Bollack
(J.B) et Paul Celan (P.C) : "Comme je m'interrogeais
(J.B) dans une conversation sur la valeur du Nous,
dans le poème Cologne, Am Hof, mon interlocuteur
(P.C) me dit: Ce sont les hommes, l'humanité."(*)
Je souligne ce trait majeur de la poésie
de Celan, engagée, au bout, d'un texte dédié
à Eluard, qui se clôture par un Nous,
terrible. "(A), celui qui lui disait tu / rêve
avec lui : Nous." Ce nous convoque plus qu'un
vague tous ensemble, il fonde la co-fraternité
militante à la pointe extrême du désir
de l'être politique, de sa filiation, êtres
d'idées et d'actions envisagées.
*
in Bollack, J ; " L'écrit, une poétique
dans l'uvre de Paul Celan", PUF, Paris,
2003)
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