Dalila Azouani, Farida Benchaa, Jacques Broda
Esma El Amraoui, N'Goran Kouamé, Sonia Serra.

photographie de Jean-Pierre Vallorani

Nous nous sommes risqués à un Voyage au bout de la vie, de la misère, de la galère de la grande paupérisation qui frappe la ville de Marseille et dont nous voyons les effets dévastateurs sur le corps décharné de cet entant dénutri. Nous nous sommes risqués à écouter, entendre, dire, citer ses paroles anonymes et singulières et partout resurgit le cri de Fayçal : Donnez-moi de l'Espoir !
Nous avons touché le fond du désespoir et nous avons rebondi, nous sommes remontés à la surface, dignes, fragiles et déterminés.
Ma vie ne peut se raconter, les mots me manquent. Nous désirons avec vous, grâce à vous, mettre en partage et en circulation cette découverte terrible : au seuil du troisième millénaire nous assistons à une véritable mutation anthropologique qui remet en cause le développement du genre humain.

L'enfant du ghetto peut-être considéré comme le père de l'homme.

Au début était la parole, au centre était l'écriture. Le " Dire pour Agir " du Secours Populaire et les Cahiers de l'Espoir nous ont d'abord réunis, puis nous nous sommes émancipés de l'Association et nous sommes associés à notre tour autour d'un atelier de paroles où s'entrecroisaient dires et traces des dires s'écrivant. Les paroles furent ressaisies, blanchies, aiguisées, transcrites et traduites.
Un livre est né : ILS NAISSENT UN COUTEAU AU CŒUR et des enfants meurent à petit feu chaque jour sous nos yeux, comme une consumation. Le mourir à petit feu est devenu une façon de vivre.
Le livre n'est pas que cela, nous nous sommes révélés à nous-mêmes, nous sommes devenus auteurs-compositeurs d'une parole universelle. L'unisson de nos dires singuliers a fait exploser les timidités, inhibitions, hontes qui nous collaient à la peau, comme des écailles. De cette aventure nous sommes ressortis grandis et de par le monde allons un livre aux lèvres :
" L'écriture m'a empêché de banaliser la misère, j'ai découvert la possibilité de pouvoir écrire pour transmettre ma révolte..".

Le retour à la vie se fit par l'écriture.


Editions le Temps des Cerises et L.E.A (Lire Ecrire Agir) 2001
Couverture : photographie de Jean-Pierre Vallorani


Préface


Juillet 1998, je lis dans Convergences, une interview de Cathy, elle fait référence aux Cahiers de l'Espoir, aux chants de l'An 2000. À ces Cahiers qui sont lus, écrits, remplis, annotés, partout en France, auprès des antennes du Secours Populaire, par des bénévoles, des personnes en difficulté, des enfants, des jeunes en galère, des hommes et des, femmes qui décident à un moment donné de rompre - dans l'énoncé de leurs vies -le mur du silence.
D'instinct, je téléphone à Sonia Serra et lui propose un travail similaire à celui que nous avons conduit pendant sept ans à l'Univers-Cité Populaire de Martigues. Travail sur la parole, le sens, travail d'élaboration et de co-construction de savoirs-ignorants. Reprise par l'écriture de la parole donnée, échangée, métabolisée en mots, métaphores, percussions de sens et de cultures.
Très vite, un groupe se constitue, il se réunit une fois tous les quinze jours, le lundi, entre midi et deux, au quarante-six de la rue Locarno. Il est formé par des bénévoles, des permanents, des invités du Secours Populaire de Marseille, j'en donne ici la liste non limitative des Iprénoms, comme autant de sujets prêts à dire leurs histoires Sonia 1, Sonia 2, Farida, Cathy, Maryvonne, Isabelle, José, Suzanne, Dalila, Rékia, Jacques...
Je suis venu des jours, des nuits, autour d'une table, d'une cuisine africaine, nous avons parlé à deux, à trois, à dix, à vingt, à cent mille. La Télé est venue, elle a filmé l'aide alimentaire au Trente et un de la rue Locarno. Anus Mundi. J'ai croisé le fer et le regard avec chacun, jusqu'à la cité de la Solidarité, entouré de chats et des enfants de Josette. Chacun ici vient déposer une bribe de sa vie, de la vie de celui qui chauffe sa chambre avec un fer à repasser. Parler est interpréter et donner à interpréter. Le texte qui suit est une interprétation libre de l'horreur contemporaine, les paroles livrées sont interprétation consonante des vécus militants.
La faim et le froid sont devenus les adversaires de classe. Pour les vaincre, l'argent et le travail ne suffisent plus, le désir partage le vivant du mort et le mort du vivant, combustible de l'amour et de l'espoir il déplace le caillou, le caillot.
Nous avons traduit et transmis la tradition de lutte, nous l'avons traduit dans la langue des forçats, nous l'avons transmise aux galériens de tous les quartiers. Lorsque par 20 000, ils descendent les Canebière, à pied, à genoux, à cloche-pied, drapeaux-rouges et sans-papiers en tête, ils insistent pour dire la vie, la lutte et sa tradition millénaire.


Pages relatives à Jacques Broda:

Le Camp domestique - L'Inconscient Politique - Ils naissent un couteau au coeur
Vivance - Elles